Les bonnes nouvelles n’en finissent pas de succéder aux bonnes nouvelles sur le front économique. De quoi sombrer dans un optimisme béat qui pourrait bien nous jouer un tour. Car entre un climat des affaires au plus haut en juin, des défaillances d’entreprises toujours en baisse, une bonne résistance des PME à la crise et des projections macro-économiques suggérant que notre économie retrouverait dès le début de l’année 2022 son niveau d’avant Covid-19, difficile de ne pas pavoiser.
D’aussi heureux présages méritent malgré tout d’être scrutés à la loupe, car les menaces pesant sur la croissance française sont loin d’être négligeables. Et le scénario du « miracle économique », postulant un redressement rapide et quasi-généralisé, est loin de présenter un niveau de probabilité suffisant pour autoriser à baisser la garde. Et en admettant même que l’économie de l’hexagone parviendrait à se sortir plus vite que prévu du ralentissement provoqué par la crise sanitaire, de grands défis l’attendent sur le long terme, comme le rapport des économistes Tirole et Blanchard remis au président de la République le 23 juin dernier le laisse présager.
Reconnaissons-le d’abord : alors qu’on annonçait déjà un « Tsunami », une « vague de défaillances », une « cascade de dépôts de bilan » et même un « mur de la dette », le pire n’est pas arrivé !
Les défaillances d’entreprises, qui avaient déjà connu un recul l’an dernier, restent toujours en net repli sur un an à -29,7% en mai 2021. Une baisse qui concerne tous les secteurs et la plupart des catégories d’entreprises.
Contrairement à ce qui avait été imaginé par certains chantres de l’alarmisme, les PME de l’hexagone n’ont pas sombré corps et biens. Malgré une activité restreinte l’an dernier, les entreprises ont présenté un résultat net en hausse de +2% l’an dernier en moyenne sur les 1 million de liasses fiscales dépouillées par le Conseil de l’Ordre des experts-comptables ces dernières semaines.
Les entreprises de petite et moyenne taille continuent à se montrer solides, avec plus de deux tiers d’entre elles qui n’ont toujours pas touché au « matelas » du prêt garanti par l’Etat (PGE) et plus d’un dirigeant sur deux déclarant même son intention d’investir dans les prochains mois. Preuve que les aides (activité partielle, fonds de solidarité, reports de charges, etc.) ont bien joué leur rôle d’amortisseur, mais aussi que la consommation des ménages a soutenu l’offre productive nationale.
Dans cet environnement finalement bien moins dégradé que ce qu’on imaginait, nos entreprises se sont même montré plutôt solidaires les unes des autres. Le deuxième baromètre annuel d’Altares pour Pacte PME mesurant les comportements de paiement des grands comptes indique que 67% des factures réglées par ces derniers l’ont été en temps et en heure en mai dernier, soit un résultat quasiment stable par rapport à celui enregistré en 2020 à la même époque.
Des performances individuelles et collectives qui semblent amorcer une pente macro-économique très favorable à moyen terme, si on exclut les conséquences durables des mesures d’urgence et du plan de relance sur les finances publiques, avec une dette qui pourrait remonter à plus de 115% du PIB en 2023.
Révisées à la hausse, les dernières projections de la Banque de France en date du 14 juin dernier n’hésitent pas à prédire un taux de croissance de 5,75% pour cette année, avec en ligne de mire un niveau d’activité pré-crise qui pourrait être dépassé dès le début de l’année prochaine. Une prévision justifiée d’abord par le rebond anticipé des dépenses des ménages au second semestre 2021, grâce à un revenu préservé. Mais les économistes de la Banque centrale soulignent aussi la « bonne tenue » des marges des entreprises, de bonne augure pour soutenir leur investissement. Si l’on ajoute à ces deux facteurs le rebond qualifié de « vigoureux » des exportations, sous l’effet d’une reprise du commerce international, on voit que tout concourt à soutenir la croissance, et même l’emploi qui pourrait reprendre des couleurs dès 2022, après une remontée temporaire du chômage à 9,2% cette année.
S’accrocher à ce scénario est bon pour le moral. C’est incontestable. Gageons qu’il soit même « auto-réalisateur » et que le fait d’espérer aussi fort la reprise va encore l’amplifier. Après tout, comme l’avait déjà noté JM Keynes en son temps, l’économie relève autant de la psychologie des acteurs que de la rationalité des marchés.
L’espoir n’exclut pas pour autant la vigilance. Restons ainsi circonspects. Car les incertitudes ne manquent pas non plus et sont plus de nature à contredire l’hypothèse d’un retour à la normale dans les prochains mois qu’à l’alimenter. Passons-les en revue.
- Première incertitude : l’hypothèse d’un rebond important de la consommation, de nature à favoriser le redressement de l’offre productive, repose non seulement sur la préservation des revenus qui est actée, mais aussi sur l’usage qui sera fait du surplus d’épargne financière (qui pourrait atteindre 180 milliards d’euros à la fin de l’année), plus incertain. La Banque de France parie sur une baisse de 20% de ce surplus sur deux ans (2022-2023). Mais rien n’est moins sûr, surtout si les Français devaient continuer à privilégier un comportement d’épargne de précaution, afin de se prémunir contre une éventuelle nouvelle dégradation du contexte sanitaire et économique.
- Seconde incertitude : la capacité à vaincre l’épidémie de Covid-19 rapidement et sans avoir à repasser par de nouveaux épisodes de restrictions sanitaires. La montée en puissance du variant « Delta » (d’origine indienne), qui pourrait devenir majoritaire dès fin août prochain dans les cas identifiés, crée un doute majeur sur l’ampleur de la reprise espérée au second semestre. Une fois encore, une course contre la montre est lancée entre la vaccination et le virus, avec une incertitude majeure sur son issue.
- Troisième incertitude, enfin : le retour possible de l’inflation. Ce n’est certes pas le « scénario central » comme le reconnait l’économiste Patrick Artus dans les colonnes de Challenges (24 juin 2021, n°704, page 39), mais si la hausse des prix, déjà constatée aux Etats-Unis, venait à perdurer et à contaminer l’Europe, il en résulterait une hausse des taux, qui serait d’une grande violence. Celle-ci compromettrait alors probablement la dynamique d’investissement des entreprises et mettrait à l’épreuve celles dont l’endettement est déjà élevé. Avec un indice des prix affichant une hausse de 5% en mai dernier, des métaux en hausse de 50% sur un an et un pétrole passé de 20 à 70 dollars le baril sur la même période, le choc sur les matières premières est là et crée des contraintes d’approvisionnement déjà visibles pour l’industrie.
Face à ces trois incertitudes, les pouvoirs publics doivent rester mobilisés. Car, on le sait, plusieurs dizaines de milliers d’entreprises (entre 65 000 et 100 000 selon la CPME de François Asselin) restent exposées du fait d’un endettement élevé, et compte tenu d’un risque non nul de « rattrapage » des défaillances, actuellement à un niveau anormalement bas qui ne saurait perdurer.
Tant que la reprise projetée pour le second semestre 2021 n’est pas confirmée, le rempart des aides ne doit pas être touché. D’autant que si l’économie française parvenait, comme on l’espère, à sortir de la crise rapidement, elle aura face à elle des défis centraux pour notre avenir : le climat, les inégalités et le vieillissement. Olivier Blanchard et Jean Tirole l’ont écrit au président de la République -dans un rapport de plus de 500 pages- élaboré avec 24 autres économistes : la France devra reprendre aussi vite que possible le chemin des réformes structurelles afin que ses orientations économiques ne passent pas à côté des enjeux clés de notre siècle, toujours susceptibles d’être sacrifiés sur l’autel du court terme.
Qu’on se le dise: un « miracle économique », comme celui qui avait caractérisé les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale dans les pays durement touchés par celle-ci (Japon, Allemagne, Italie, etc.), ne survient qu’en cas de combinaison réussie entre une intervention publique efficace pour combattre la crise (aides à court terme, plan de relance…) et la capacité de l’initiative privée à se réinventer. De ce point de vue, jamais autant par le passé, les conditions n’avaient été si bien réunies qu’aujourd’hui pour faire mieux coïncider à l’avenir l’impératif de croissance immédiate et les ambitions de plus long terme, désormais organisées autour du triple défi social, climatique et démographique.
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