La Silicon Valley, écosystème entrepreneurial emblématique située en Californie, parce qu’elle est au cœur du capitalisme mondial, offre d’une certaine façon un bon indicateur des réussites et défaillances du système Américain.
Il y a 10 mois, à un peu plus d’une heure au sud de San Francisco, sur le campus de Stanford, Anand Giridharadas présentait son nouvel ouvrage Winners Take All: The Elite Charade of Changing the World. Le message du livre : alors que la philanthropie développée par les milliardaires et les entrepreneurs à succès de la Silicon Valley n’a jamais été aussi importante aux Etats-Unis, le niveau d’inégalités n’a jamais été aussi élevé.
Dans les rues de San Francisco, 7500 sans domicile fixe survivent dans des conditions d’hygiène catastrophiques. Ramené à la population de San Francisco, c’est comme si Paris avait six fois plus de SDF qu’aujourd’hui. Face à ce phénomène, l’auteur appelle urgemment à un retour du rôle de l’Etat américain qui ne doit pas laisser quelques milliardaires disposer du modèle social.
Le chauvinisme technologique ou les limites de la puissance
Le chauvinisme technologique c’est la conviction que les technologies associées à de nouveaux modèles d’affaires peuvent résoudre les plus grands défis de l’humanité. De Facebook à Tesla, chaque année l’industrie de la Silicon Valley produit de telles solutions qui changent le monde.
Les sommes investies par les VC (Venture Capitalists) aux Etats-Unis pour y parvenir sont très élevées et extrêmement concentrées. Si l’on rassemble la région de San Francisco et la Silicon Valley, ce sont près de 46% des investissements qui y étaient investis en 2018 au niveau américain (cf. CB Insights Money Tree Report).
Des entrepreneurs formés au plus proche de Silicon Valley
Au-delà des aspects financiers, les talents entrepreneuriaux restent également largement situés en Californie. En janvier 20017, près de 40% des fondateurs de Licornes (entreprises de moins de 10 ans dont la valorisation dépasse le milliard de dollars) avaient un diplôme d’une université californienne. Le cas de Stanford, université californienne, est emblématique de cette concentration puisque les anciens élèves représentaient près de 25% de l’échantillon total des fondateurs de Licornes dans le monde (cf. Sage 2017).
D’après une étude de Chuck Eesley, sur les 145 000 anciens de Stanford encore vivants, 29% d’entre eux ont créé une startup à un moment de leur carrière, ce qui a contribué à créer plus de cinq million d’emplois et un revenu total agrégé au niveau mondial d’environ trois trillons de dollars !
La face cachée
D’un côté, un écosystème entrepreneurial unique envié et copié partout dans le monde ; d’un autre côté, une accumulation de ratés et de scandales qui pointent, non pas seulement quelques failles, mais plutôt les impacts directs du système ; qu’il s’agisse d’enjeux sociaux, écologiques ou encore démocratiques. Le scandale Facebook Cambridge Analytica qui a éclaté début 2018 suite à la campagne présidentielle américaine pointe ainsi les effets induits de ces nouveaux modèles.
De toutes ces réalités a priori éloignées, nous pouvons en tirer une leçon : la force d’un territoire est le fruit de ses institutions. Sans l’Université de Stanford, la Silicon Valley ne saurait exister. Nous avons besoin d’entrepreneurs, de leur énergie et de leur engagement, mais n’oublions pas la valeur d’institutions solides pour faire face aux immenses défis du 21ème siècle. Les quelques belles histoires d’entrepreneurs passionnés de technologies ne doivent pas cacher le rôle déterminant des institutions. Il est temps de leur redonner plus de place dans les discours sur l’entrepreneuriat. Sans elles, l’avenir pourrait trembler de manière totalement incontrôlée…
De la même façon, les défaillances des institutions américaines pour gérer les inégalités sociales, les défis climatiques et démocratiques montrent toute la limite d’un modèle qui laisse à quelques entrepreneurs fascinés par le digital le soin de changer le monde.
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