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Sébastien Badault : « Alibaba N’A Pas Vocation À Concurrencer Amazon En France »

Présidant aux destinées d’Alibaba France depuis décembre 2015 après avoir fourbi ses armes chez les mastodontes américains Google et Amazon, Sébastien Badault dresse pour Forbes France la feuille de route du géant du e-commerce chinois dans l’Hexagone et s’adresse également aux prestigieuses marques françaises désireuses de s’installer – ou d’accroître leur influence – en Chine, un marché au potentiel de croissance des plus vertigineux.

Vous avez pris les rênes d’Alibaba France en décembre 2015. Dans quelles conditions s’est effectuée votre intronisation à la tête de l’entité française de la plateforme de e-commerce ?

J’ai été recruté via un cabinet de chasseurs de têtes qui a été mandaté au niveau international pour trouver différents patrons à la tête des entités « locales » d’Alibaba. Toutefois, un épisode précède, à mon sens, l’arrivée de l’entité Alibaba sur le territoire français.  En l’occurrence, la visite de Jack Ma (PDG Alibaba Group) en France, il y a un peu plus de trois ans, où il s’est entretenu avec le président Hollande. Une rencontre qui a débouché sur un MoU (Memorandum of Understanding ou protocole d’entente) entre Alibaba et la France… rédigé, pour la petite histoire, par un certain… Emmanuel Macron alors secrétaire général adjoint à l’Elysée. Un « acte fondateur » qui a consacré notre installation en France. Pour en revenir à mon cas personnel, dans le cadre du processus classique de recrutement que j’évoquais en préambule, j’ai décroché une entrevue de Michael Evans, président international, en charge du développement de la stratégie internationale. Ancien de Goldman Sachs, il est l’un des premiers à avoir investi, à l’époque, dans Alibaba. Fort d’un parcours atypique – Michael Evans a également décroché la médaille d’or d’aviron aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984 – son discours m’a énormément séduit. Il m’a clairement indiqué qu’il était à la recherche de personnalités désireuses de s’inscrire dans la durée. C’est d’ailleurs ce qui différencie, selon moi, Alibaba d’autres entreprises qui ont une vision davantage « court-termiste ». Jack Ma dit d’ailleurs souvent espérer que l’entreprise atteigne « au moins » les 102 ans, afin de traverser 3 siècles, dans la mesure où Alibaba a vu le jour en 1999. La globalisation que nous appelons de nos vœux obéit d’ailleurs parfaitement à ce cap « long terme » que nous nous sommes fixés.

Justement, avant Alibaba, vous avez occupé le poste de directeur du marketing et du développement européen chez Amazon mais également celui de directeur commercial chez Google. Avec le recul et au regard de votre expérience, quelles différences et similitudes percevez-vous entre ces trois entités mondialement reconnues ?

La différence est davantage culturelle. J’ai longtemps vécu aux Etats-Unis et je me sens même, par certains aspects, un peu Américain. Je maîtrise parfaitement la langue, donc il était bien plus facile pour moi de m’adapter au sein de ces deux environnements. J’ai commencé chez Amazon au premier mois de la création de l’entité française mais le pilotage de l’internationalisation a été réalisé par des personnalités qui maîtrisaient ce sujet sur le bout des doigts. Or, hormis Michael Evans et les patrons des entités locales, Jack Ma et d’autres responsables chinois n’ont travaillé que chez Alibaba, donc ils ne possédaient pas initialement l’expérience d’ouvrir des bureaux dans d’autres pays, de travailler avec d’autres cultures etc. Le challenge, pour moi, a été de créer un pont culturel entre ce qui ce qui se passe, ici, sur notre marché, et le modus operandi en vigueur en Chine. En somme, l’idée est de faire chacun un pas vers l’autre. En l’espace d’une année, nos homologues chinois ont particulièrement progressé sur ce terrain. Nous devons, de notre côté, mieux appréhender et comprendre leur manière de réfléchir et de voir les choses. Lorsque l’on s’intéresse de plus près à ces trois entreprises, on perçoit également une différence stratégique. Les sociétés américaines ont tendance à avoir une stratégie plus « frontale » dans leur développement et réussissent sans doute plus facilement à franchir les obstacles. Tandis que la réflexion d’Alibaba réside davantage, plutôt que d’affronter directement divers obstacles, à travailler sur nos points forts.

Dans ce même ordre d’idée, la sempiternelle comparaison Amazon / Alibaba n’a-t-elle pas tendance à vous agacer ?

Tout le monde nous demande si nous allons concurrencer Amazon en France. La réponse est non car ce serait justement prendre un « tournant stratégique frontal », aux antipodes de ce que nous prônons. Nous avons deux forces : 450 millions de consommateurs en Chine avec une croissance potentielle monumentale car seule la moitié de la population est « online » couplée à la relation que nous avons avec des centaines de milliers de marchands chinois qui vendent sur nos plateformes des produits d’excellente facture. Ce sont les deux tenants principaux de notre stratégie. Ensuite, la force de l’Europe ou de la France est de posséder des marques, un savoir-faire. L’idée est donc, une fois de plus, de créer du liant entre ces deux univers. Utilisons ainsi nos forces comme leviers plutôt que de nous lancer dans un affrontement avec la concurrence que tout le monde attend.

Comment justement inciter les prestigieuses marques françaises, détentrices d’un certain savoir-faire et d’une exigence de qualité, à ouvrir un espace sur votre portail ?

Nous menons des discussions quotidiennes avec des centaines de marques en France. Parmi elles, nous en avons déjà 250 qui figurent sur notre place de marché « TMall » qui retranscrit parfaitement l’environnement des marques étrangères. Par exemple, une marque comme Lancôme contrôle totalement son environnement sur « TMall » et décide de mettre en avant tel ou tel produit. Elles disposent de toute latitude pour aménager leur vitrine à leur guise. Cela n’existe nulle par ailleurs. Pour en revenir aux discussions menées avec les marques françaises, le potentiel de développement est tel que cela les intéresse forcément. Mais il y a également un peu de frilosité, imputable au fait que de nombreuses entités ont clairement raté leur lancement sur le marché chinois. Mais les décideurs et stratégistes prennent un risque, avec notre démarche, qui est relativement faible par rapport à ce que cela peut rapporter au regard du potentiel économique du pays développé en préambule. Il y a encore un travail d’accompagnement à faire avec toutes ces marques mais l’accueil est globalement très positif.

Autre aspect, particulièrement important, que préconisez-vous pour rassurer lesdites marques sur la question particulièrement sensible de la contrefaçon ?

Il y a eu une véritable prise de conscience, ces dernières années, au sein même de l’entreprise. Nous avons une tolérance zéro sur la contrefaçon qui ne bénéficie qu’à une seule personne, le contrefacteur en l’occurrence. C’est mauvais pour nous en tant que plateforme, c’est néfaste pour les marques bien entendu, et évidemment pour les consommateurs. Nous mettons énormément de moyens en œuvre pour endiguer ce fléau. Sur la seule année 2016, nous avons retiré près de 360 millions de produits de nos plateformes, soit deux fois plus que l’année précédente. Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de contrefaçon, mais cela met simplement en exergue notre volonté farouche de lutter contre cela. C’est une problématique que j’avais également à gérer chez Google car lorsque vous tapiez dans la barre de recherche « faux sac Vuitton », il existait des liens menant sur d’autres plateformes vendant ce type de produits. Cela peut toucher tout le monde, YouTube avec le contenu pirate, Amazon, le Bon Coin…, la contrefaçon n’est pas l’apanage des Chinois. On se range vraiment du côté des marques. Sur les plateformes classiques, la marque doit prouver que le produit est contrefait avant que celui-ci soit retiré de la vente. Chez Alibaba, nous avons noué un partenariat avec 1 100 marques et dès qu’elles nous signalent un produit contrefait, nous prenons le parti de la marque et c’est aux vendeurs de nous prouver que le produit n’est pas une vulgaire copie. La bonne foi est du côté de la marque.

Quelles sont les clés pour séduire les consommateurs chinois, qui ont une appétence particulière pour le savoir-faire « à la française » type vins, cosmétiques, luxe, etc. ?

70% des requêtes commerciales sont faites sur Taobao, notre application de shopping. Ce qui nous permet de mieux cibler l’intention d’achat des consommateurs. Nous avons également quinze ans d’’historique d’achat sur nos diverses plateformes. Ce qui est résolument intéressant à ce sujet est que nos clients achètent nos articles via une plateforme de paiement mobile baptisée Alipay… également utilisée pour faire des emplettes sur des milliers d’autres sites. Alipay est également utilisée « dans la vraie vie », dans la mesure où le consommateur chinois n’a plus – ou quasiment plus – de carte bleue ou de cash, et règle ses achats via ce dispositif. Pour résumer, nous avons à disposition via TMall, Taobao (C to C) ou encore Alipay – qui sont regroupés sous la même ID – une masse d’informations considérable – mais également très précise – sur les habitudes d’achats de nos clients. Typiquement, certaines marques françaises peuvent voir leurs produits vendus sur Taobao que l’on peut assimiler au « Bon coin », ce qui permet de savoir si ladite marque est recherchée et connue par le consommateur chinois. Nous savons également, via tous ces différents canaux, quels sont les clients qui, éventuellement, achètent du cosmétique français et recherchent des nouvelles marques. Nous allons, en quelque sorte, faire ainsi office de facilitateur dans la « rencontre » entre les deux parties grâce à des techniques marketing particulièrement bien ciblées.  

Pouvez-vous, pour terminer, nous parler également d’AliExpress dont l’influence est grandissante dans l’Hexagone en matière d’utilisation ?

Avec AliExpress, nous permettons, par l’intermédiaire de notre vaste réseau de marchands, au consommateur français d’acheter pléthore de produits. Lorsque vous achetez une coque d’iPhone – dont le prix oscille entre 10 et 15 euros -, ce coût est représentatif des quatre ou cinq intermédiaires existants entre le fabricant et le lieu où vous l’avez acheté, alors qu’elle a dû coûter environ 50 centimes à fabriquer. Le producteur se trouve d’ailleurs probablement en Chine, et nous sommes certainement en contact avec lui, et il vous la facturera, sur Aliexpress, probablement aux alentours de 2 ou 3 euros. Le tout en deux semaines. Le seul défaut de la plateforme concerne peut-être la présentation et les traductions un peu approximatives, mais nous y travaillons. AliExpress, comme vous le soulignez dans votre question, est particulièrement plébiscité par les Français, la France étant l’un des plus gros marchés d’AliExpress. Nous œuvrons ainsi à son développement. Nous obligeons, par exemple, les marchands pour tous les produits supérieurs à 5 dollars, à mettre en place un tracking du paquet. En matière de développement, nous ne négligeons pas non plus notre « plateforme originelle », en l’occurrence Alibaba.com spécialisée dans l’achat « en gros ». Je ne sais pas combien d’entreprises françaises l’utilisent, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle dispose d’un avantage concurrentiel assez intéressant puisqu’elle arrive à acheter des produits de qualité à des tarifs défiant justement toute concurrence.

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