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Russie : La mutinerie du groupe Wagner était-elle authentique ou orchestrée ? À quoi s’attendre maintenant ?

Russie
Moscou, 24 juin 2023. La place Rouge entièrement bouclée en raison de la mutinerie du groupe Wagner. | Source : Getty Images

Deux scénarios pourraient expliquer les évènements récents en Russie impliquant le groupe Wagner et son chef Evgueni Prigojine : mutinerie montée de toute pièce qui aurait mal tournée ou une véritable rébellion, un chaos qui a pris fin assez mystérieusement. Après examen de ces deux options, quelles seront les conséquences de cette mutinerie dans les jours et les semaines à venir ?

 

Il est presque impossible de déterminer l’authenticité d’un incident politique en Russie ces derniers temps, en raison de la stratégie de désinformation menée par Vladimir Poutine depuis des décennies. Pour reprendre le titre du célèbre livre de Peter Pomerantsev, en Russie, rien n’est vrai tout est possible. À première vue, il semble hautement improbable que les évènements chaotiques de ce week-end aient été orchestrés. Quel pouvait être le but recherché ? Qu’est-ce qui a été accompli ? Il est important de garder à l’esprit que s’il s’agissait bien d’une sorte de kabuki, ce type de machination n’est pas nouveau dans l’histoire de la Russie et remonte à l’époque tsariste. Il suffit de jeter un coup d’œil au roman classique du XIXe siècle de Mikhaïl Lermontov Un héros de notre temps, qui traite du brouillage délibéré de la réalité par les autorités au point d’induire une paranoïa généralisée.

Par ailleurs, Staline autorisait des mini-rébellions afin de déterminer qui représentait une menace pour son pouvoir. Il disparaissait de son poste sans explication pendant quelques semaines et ceux qui commençaient à émerger de la broussaille pour prendre le pouvoir étaient impitoyablement éliminés. L’approche de Vladimir Poutine est légèrement différente. Il a toujours encouragé les inimitiés internes et les joutes entre les silovarques en jouant le rôle d’arbitre. Il se sert d’un camp pour tenir les autres en échec. Si vous ignorez cela, le cas d’Evgueni Prigojine peut vous sembler mystérieux, car il a publiquement critiqué le pouvoir pendant des semaines et des mois sans être mis en sourdine ou puni. Vladimir Poutine a manifestement trouvé ces sorties médiatiques tolérables, voire utiles, sinon les atouts et les canaux d’information de Wagner auraient déjà souffert.

Selon le Washington Post, les analystes du renseignement américain étaient au courant des projets de rébellion d’Evgueni Prigojine depuis la mi-juin. S’ils le savaient, vous pouvez être sûrs que Moscou le savait aussi. Cependant, le Kremlin n’a rien fait pour l’arrêter rapidement. Le chef du groupe Wagner a même que l’armée russe avait attaqué ses forces. Les photographies du lieu de l’attaque, récemment analysées, n’ont montré aucune attaque de ce type. Evgueni Prigojine s’en prend également aux généraux pour leur incompétence, leur mauvaise planification, leur sous-approvisionnement en troupes et bien d’autres choses encore. Le groupe Wagner, avec ses quelque 25 000 mercenaires équipés de matériel lourd, de chars et de missile, s’est enfoncé dans le territoire russe, atteignant presque Moscou. Curieusement, il n’y a aucune preuve de pertes massives : quelques hélicoptères de combat et un avion-espion du côté russe, et un bombardement du côté du groupe Wagner, qui s’est emparé du QG stratégique du district militaire sud à Rostov. Cependant, aucune preuve visuelle n’a été fournie par l’un ou l’autre camp. Et à mesure que Wagner progressait vers le nord, on aurait pu s’attendre à une résistance, à des bombardements sur le convoi de véhicules sur groupe de miliciens. Rien. Vladimir Poutine a prononcé un discours dénonçant la mutinerie. L’homme fort de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, qui, selon des informations antérieures, s’était réfugié en Turquie, a apparemment appelé Evgueni Prigojine, l’a persuadé de se retirer et d’aller vivre en Biélorussie sans être inquiété… après avoir abandonné ses milliers de combattants Wagner en pleine mutinerie.

Tout cela est très insatisfaisant. S’il s’agit d’un coup monté, quel était le but recherché ? Il faut en premier lieu admettre que de telles machinations existent. Deux exemples : le Venezuela en 2002 et la Turquie en 2016. Dans les deux cas, les évènements ressemblaient à de faux coups d’État à moitié ratés et ont eu pour effet de renforcer le pouvoir du président en place. Dans le cas de la mutinerie de Wagner en Russie, quel serait l’objectif ? Redonner du pouvoir à Vladimir Poutine ? Si oui, contre qui ? Peut-être voulait-il voir qui hésiterait à le soutenir in extremis et éliminer les « traîtres » à la manière de Staline. Ou peut-être l’idée était-elle d’humilier les dirigeants militaires aux yeux du public, afin de procéder à une purge et rendre ces dirigeants responsables des désastres en Ukraine. On peut supposer que le ministre de la Défense, Sergeï Choïgou, et ses généraux sont maintenant encore plus affaiblis après cette farce publique, puisqu’ils ont déjà obtenu de si mauvais résultats en Ukraine. Néanmoins, encore une fois, si Vladimir Poutine voulait se débarrasser de son ministre, il n’avait certainement pas besoin d’Evgueni Prigojine.

Tout cela reste mystérieux, car quelqu’un a certainement empêché l’armée régulière de lancer des roquettes ou des bombardements aériens sur les miliciens de Wagner sur la route de Moscou, sinon celle-ci aurait été couverte de cadavres et de camions carbonisés. Peut-être que le dernier acte public du coup de théâtre devait se terminer là, sans effusion de sang. Cependant, quelle serait la morale de toute cette histoire ? Il est possible que Vladimir Poutine ait voulu que les troupes de Wagner soient détachées puis incorporées légalement à l’armée régulière. De cette façon, le président russe retarde la nécessité d’une nouvelle conscription civile à l’échelle nationale. En outre, il a souvent remanié divers ministères en y intégrant des groupes militaires presque privés, afin de bousculer leur allégeance au patron de leur ministère. Cependant, aux dernières nouvelles, les troupes de Wagner n’étaient pas contraintes de s’enrôler dans l’armée régulière.

Et s’il s’agissait d’un authentique acte de mutinerie ? Dans quel but ? Si Evgueni Prigojine a planifié cela pendant deux mois, il n’avait sûrement pas l’intention de se retrouver seul en Biélorussie. Voulait-il simplement extraire ses combattants et les transférer dans un pays d’Afrique où il pourrait vivre comme le Monsieur Kurtz de Joseph Conrad, tout puissant et tyrannique ? Dans ce cas, pourquoi les abandonner ? Et il ne croit certainement pas qu’il sera autorisé à finir ses jours paisiblement en Biélorussie. Si le FSB ne le défenestre pas un jour, un commando ukrainien le fera certainement. Va-t-il se taire en exil, cela fait-il partie du marché ? Car s’il ne le fait pas, il ne tiendra pas longtemps. Il n’y a aucune chance qu’Alexandre Loukachenko protège un Evgueni Prigojine qui fulmine publiquement et qui offense constamment le Kremlin. D’un autre côté, l’exemple d’Igor Strelkov pourrait fournir un indice. Igor Strelkov a joué un rôle de premier plan dans l’annexion de la Crimée et du Donbass, puis a fait une crise de nerfs semblable à celle d’Evgueni Prigojine, est entré dans la clandestinité et s’en prend aujourd’hui à Vladimir Poutine sur les chaînes Telegram.

Si la mutinerie d’Evgueni Prigojine n’était que cela, une mutinerie avec une planification à court terme mais sans vision à long terme, il est possible qu’il ait été véritablement fatigué et écœuré par l’incompétence et l’horreur qui l’entouraient, et qu’il ait simplement voulu s’en aller. La situation a dégénéré en quelque chose de bien plus grand que ce qu’il avait prévu. Peut-être est-il heureux de disparaître et de boire jusqu’à la mort en Biélorussie avant que les assassins ne l’attrapent.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Melik Kaylan

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