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Russie : Comment Vladimir Poutine a-t-il amassé une si grande fortune ?

Vladimir Poutine
C'est l'une des énigmes patrimoniales les plus insolubles du siècle : à combien s'élève la fortune personne de Vladimir Poutine ? Pour répondre à cette question, les équipes de Forbes ont élaboré trois théories. | Source : Getty Images

ENQUÊTE | Alors que le gouvernement américain envisage de prendre des sanctions contre la fortune personnelle du président russe Vladimir Poutine, deux questions se posent : quelle est l’ampleur de cette fortune, et comment Vladimir Poutine est-il parvenu à amasser autant d’argent ?

 

Ces deux questions font l’objet de nombreuses recherches au sein de Forbes depuis 20 ans. Déterminer la fortune de Vladimir Poutine est probablement l’une des énigmes les plus difficiles à résoudre en matière d’évaluation du patrimoine. Il est plus aisé de calculer le patrimoine d’héritiers, d’autres chefs d’État ou encore de barons de la drogue, que Forbes a financièrement démasqués au fil des ans. L’évaluation de la richesse privée est une tâche que les équipes de Forbes prennent très au sérieux, notamment en Russie où le rédacteur et fondateur de Forbes Russie, Paul Klebnikov, a risqué sa vie pour cette cause avant d’être abattu dans les rues de Moscou en 2004 alors qu’il enquêtait sur la fortune des premiers oligarques russes.

Alors que le président américain Joe Biden menace de s’attaquer à la fortune personnelle de Vladimir Poutine en cas de conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, l’on ignore l’ampleur de cette fortune. Cependant, au fil des ans, grâce à ses sources et à son expertise, Forbes a élaboré trois théories.

 

Théorie 1 : Le modèle Khodorkovsky

Tout a commencé en 1997, lorsque Forbes a entamé ses recherches sur les milliardaires russes. Dans un article publié en 2002, Paul Klebnikov dressait le portrait d’un oligarque russe alors en pleine ascension, Mikhaïl Khodorkovski. À l’époque, sa société, Yukos, représentait 17 % de la production pétrolière russe. En outre, de nombreux observateurs considéraient que la société Yukos et son fondateur avaient une influence significative sur le Kremlin. La fortune personnelle de l’oligarque russe s’élevait à 3,7 milliards de dollars, faisant de lui l’homme le plus riche de Russie. L’un de ses anciens employés a même été ministre du Carburant et de l’Énergie. Un autre de ses employés a ensuite été chef de cabinet adjoint de Vladimir Poutine. La fortune de Mikhaïl Khodorkovski a doublé au cours de l’année suivante. En octobre 2003, il est condamné pour fraude et évasion fiscale (accusations qu’il a toujours contestées) et est envoyé en prison.

Il ne faisait alors aucun doute que Vladimir Poutine était à l’origine de son arrestation, du gel de sa fortune et de la dissolution de son entreprise. Le sort réservé à Mikhaïl Khodorkovski a servi de leçon puissante pour les autres oligarques russes. Pourtant, la question demeure : quelle part de la fortune de Mikhaïl Khodorkovski le président russe a-t-il confisquée pour son usage personnel ?

Le financier américain Bill Browder* suit cette affaire depuis des années. Selon lui, après avoir arrêté Mikhaïl Khodorkovski, Vladimir Poutine a passé un accord avec les principaux oligarques de Russie. « Le marché était le suivant : “Tu me donnes 50 % de ta richesse et je te laisse garder les autres 50 %” », explique Bill Browder. « Si vous refusez, [Vladimir Poutine] prendra 100 % de votre richesse et vous jettera en prison. »

Sur la base de ce « pacte », Bill Browder a estimé en 2017 que la fortune de Vladimir Poutine s’élevait à 200 milliards de dollars, ce qui aurait fait de lui la personne la plus riche au monde à l’époque. Le calcul du financier américain était simple : il a additionné les fortunes nettes de tous les oligarques russes et les a divisées par deux.

Pyotr Aven, qui dirige la plus grande banque privée de Russie et dont la fortune est estimée par Forbes à 4,8 milliards de dollars, a validé cette théorie lors d’un entretien avec Robert Mueller (procureur spécial américain) dans le cadre de l’enquête sur l’ingérence électorale américaine de 2016. Le milliardaire russe a affirmé au procureur qu’il faisait partie des 50 hommes d’affaires russes qui rencontrent régulièrement Vladimir Poutine au Kremlin. « Pyotr Aven a indiqué prendre ces réunions sérieusement et comprendre que toutes les suggestions ou critiques émises par Vladimir Poutine étaient des directives implicites, et qu’il y aurait des conséquences pour Pyotr Aven s’il n’y donnait pas suite », peut-on lire dans le rapport de Robert Mueller.

 

Théorie 2 : Le modèle mafieux

Selon une autre théorie, la fortune de Vladimir Poutine provient de l’aide qu’il a fournie à son entourage proche pour s’enrichir en leur attribuant des marchés publics ou des participations dans des entreprises. En retour, le président russe reçoit des pots-de-vin en espèces ou des participations dans les entreprises. D’une certaine manière, cela ressemble à un modèle mafieux : les soldats et les capos (dans le cas présent, les milliardaires) ont une dette perpétuelle envers le boss (Vladimir Poutine). Ils font le sale boulot, le boss prend une part du gâteau.

Dans son ouvrage sur le capitalisme de copinage russe (Russia’s Crony Capitalism, Yale University Press, 2019), l’économiste suédois Anders Aslund explique comment Vladimir Poutine a recruté sa famille, ses amis d’enfance, ses gardes du corps et d’autres personnes pour détenir sa fortune. Il estime que chaque personne possède entre 500 millions et deux milliards de dollars et que la fortune du président russe se situe entre 100 et 130 milliards de dollars.

Parmi les amis de Vladimir Poutine qui sont devenus extrêmement riches, l’on trouve son ancien sparring-partner de judo, Arkadi Rotenberg, avec qui il joue apparemment toujours au hockey sur glace. Arkadi Rotenberg aurait reçu plus de sept milliards de dollars grâce à divers contrats à l’approche des Jeux olympiques de Sotchi. Plus récemment, le milliardaire (dont le frère Boris et le fils Igor sont également milliardaires) a affirmé être le propriétaire d’un immense complexe de bâtiments sur les côtes de la mer Noire, que le chef de l’opposition russe Alexeï Navalny a qualifié de « palais de Poutine ».

Ensuite, il y a Kirill Chamalov, l’ancien gendre de Vladimir Poutine. Fils d’un ami de longue date du président russe, Kirill Chamalov a commencé à profiter de ses relations familiales lorsqu’il est devenu conseiller en chef du département juridique de Gazprombank, l’une des plus grandes institutions financières de Russie. Toutefois, la voie royale s’est ouverte lorsqu’il a épousé la fille de Vladimir Poutine au cours d’un mariage secret. Peu après, Kirill Chamalov a acheté une participation de 17 % dans Sibur à un autre ami du président russe, Gennady Timchenko, après avoir emprunté les fonds à Gazprombank. Selon Anders Aslund, Gazprombank est à l’origine des deux tiers de la fortune de Vladimir Poutine. Trois ans après son mariage avec la fille du président russe, Kirill Chamalov est devenu milliardaire à l’âge de 34 ans. Cependant, le mariage a été dissout en 2016 (ou en 2017), et Kirill Chamalov aurait alors été dépouillé de sa fortune. En outre, il aurait dû vendre sa participation dans Sibur.

En 2016, les Panama Papers ont mis en cause l’un des amis les plus proches de Vladimir Poutine, un violoncelliste nommé Sergueï Roldouguine, avec qui le président russe s’est lié d’amitié lorsqu’il était jeune à Leningrad. Selon les Panama Papers, le violoncelliste russe aurait entretenu des liens avec un réseau de sociétés dont les flux de trésorerie atteignent deux milliards de dollars. En outre, il serait à la tête de 100 millions de dollars d’actifs. Sergueï Roldouguine a déclaré au Guardian que l’argent provenait de dons de riches hommes d’affaires dans le cadre d’une initiative pour acheter des instruments de musique à des étudiants pauvres.

« Plus vous vous enrichissez, plus vous devenez dépendant », indique Anders Aslund. « La richesse ne vous donne pas la liberté, en tout cas pas en Russie. Il y a tellement de choses qui peuvent arriver quand vous possédez trop d’argent. »

 

Théorie 3 : Le modèle de l’esbroufe

Pour faire simple, en l’absence de preuves contraires, il est possible que la fortune personnelle de Vladimir Poutine soit faible et que ce dernier souhaite simplement faire croire qu’il possède une immense fortune, car qui dit argent dit pouvoir.

Cela est possible, sur le papier du moins. La déclaration officielle de situation financière du président russe, publiée chaque année par le Kremlin, fait état d’un revenu d’environ 140 000 dollars pour l’année 2020. Les seuls biens que Vladimir Poutine déclare posséder sont trois voitures, une remorque, un appartement de 74 m2 et un garage de 18,5 m2. Il a également déclaré utiliser un appartement de 149 m2 et deux places de parking. Sur sa déclaration, Vladimir Poutine ne fait aucune mention de son importante collection de montres haut de gamme ni du « palais de Poutine » dont il serait le propriétaire, sans parler des palais, yachts et avions qu’il utilise en tant que président de la Russie.

Certains experts expliquent que ces nombreux avantages étatiques font que Vladimir Poutine n’a pas besoin de richesses personnelles. « Il a le pays entier à sa disposition », écrivait en 2013 le chroniqueur de Bloomberg Opinion, Leonid Bershidsky. « Il suffit que Poutine claque des doigts pour que les entreprises publiques cèdent des actifs à ses amis à des prix cassés. Un murmure de sa part, et de riches hommes d’affaires privés se cotiseront pour la somptueuse rénovation d’une résidence présidentielle. »

Finalement, Vladimir Poutine n’a peut-être pas besoin d’argent, tant qu’il fait semblant d’en avoir grâce aux avantages que lui confère son statut de président de la Russie. Alors que Vladimir Poutine continue de faire pression sur la communauté internationale et l’Ukraine, l’on peut espérer que dans ce cas également il ne s’agit que d’une simple esbroufe.

 

*Bill Browder est à l’origine des lois Magnitsky pour les droits humains et la redevabilité. Ce cadre législatif autorise le président américain à imposer des interdictions de visas et à geler les avoirs des personnes étrangères responsables de violations flagrantes des droits humains.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Forbes Wealth Team

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