Rosalie Mann, présidente fondatrice de No More Plastic Foundation et autrice d’un nouvel ouvrage, No More Plastic, aux éditions La Plage, nous partage les motivations de son combat mené contre la pollution plastique, dont l’impact n’est pas tant écologique qu’une véritable question de santé publique. En restituant un corpus fourni d’études et de chiffres, elle déconstruit le mythe selon lequel le recyclage serait la solution.
Un article issu du numéro 29 – hiver 2024, de Forbes France
Quel message souhaitez-vous faire passer à travers votre nouvel ouvrage ?
ROSALIE MANN : À travers No More Plastic, je souhaite mettre en avant une réalité trop souvent sous-estimée : l’impact de la pollution plastique va bien au-delà des questions environnementales, c’est un enjeu majeur de santé publique. Dans cet ouvrage, j’ai recensé toutes les maladies associées à l’injection des micro et nanoplastiques (MNP) dans notre quotidien, en m’appuyant sur des faits scientifiques et des études rigoureuses. Contrairement aux idées reçues, la pollution plastique ne commence pas lorsque le produit devient un déchet, mais dès sa création car ils génèrent des MNP. Les MNP se retrouvent ainsi dans notre organisme et endommagent nos cellules humaines. C’est une pollution invisible qui nous empoisonne quotidiennement et met en péril la santé des générations futures.
Le recyclage n’est donc pas la solution ?
R.M. : Le recyclage du plastique est loin d’être une solution, il ne l’a jamais été. C’est une hérésie et un non-sens sanitaire. Il exacerbe la pollution plastique et le réchauffement climatique. Une étude de 2018 a démontré que tout produit contenant du plastique, lorsqu’il est exposé aux rayons UV du soleil, émet des gaz à effet de serre. Cela concerne donc évidemment les déchets dans l’environnement mais aussi nos voitures, immeubles, vêtements, lunettes de soleil, et tout autre objet en plastique.
Bien que nous soyons aujourd’hui en mesure de calculer et d’estimer les émissions de carbone générées par tous ces objets, il n’existe malheureusement aucune donnée précise ni exhaustive à ce sujet. Par ailleurs, le plastique, même recyclé, libère constamment des substances toxiques tout au long de son cycle de vie. Pire encore : de nombreuses études montrent que le plastique recyclé est souvent plus toxique qu’un plastique vierge, générant davantage de microparticules que nous ingérons tous quotidiennement. On en a dans le cerveau, dans les poumons, dans le cœur, dans les testicules mais aussi dans le placenta ou le fœtus.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Californie a engagé récemment des poursuites contre le géant pétrolier ExxonMobil, l’accusant d’avoir mené pendant des décennies des campagnes trompeuses sur le recyclage et tenté de nous convaincre que cela serait la solution miracle à la crise de la pollution plastique. Ces campagnes ont entretenu un mythe qui détourne l’attention des vraies solutions.
Peut-on réellement se passer de plastique dans un monde encore très dépendant du pétrole ?
R.M. : Oui, et il est impératif de commencer dès maintenant. Nous vivons bien plus à l’ère du plastique qu’à l’ère numérique. Il est vrai que le plastique est fantastique, qu’il nous a permis d’entrer dans notre époque moderne. Il a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs prix Nobel de chimie. Mais le vrai problème, c’est qu’il est toxique et que nous l’avons intégré dans la quasi-totalité de nos produits du quotidien, dans la bouche de nos enfants et dans nos produits intimes. Nous sommes actuellement à 460 millions de tonnes de plastique produites par an, et deux secteurs à eux seuls (l’emballage et le textile) représentent plus de 50 % de cette production. En ciblant seulement ces deux industries, nous pourrions donc déjà résoudre 50 % du problème. Il est important de comprendre que toute industrie qui a un niveau élevé de dépendance au plastique ou au plastique recyclé ne peut être considérée comme durable, non seulement d’un point de vue écologique, mais également économique. Il est urgent d’anticiper et de penser le plan de la transition des business modèles des entreprises pour opérer la « déplastification » de nos industries. Celles qui ne prendront pas ce virage dès maintenant perdront indubitablement des parts de marchés, et certaines risquent même de disparaître d’ici trois à cinq ans à mesure que les attentes du marché évoluent.
Il est aussi devenu impératif que les centres de recyclage allouent une part de leur activité à l’éradication des plastiques plutôt que de vouloir les réinjecter dans le système, sous le prétexte de la « valorisation des déchets » qui se fait au détriment de notre santé et de l’environnement. Des bactéries capables de décomposer les polymères plastiques ont été identifiées, offrant une perspective prometteuse pour la gestion de tous les déchets plastiques déjà existants. Il existe également de nombreuses alternatives au plastique comme le mycélium ou les algues brunes. Il y a une vraie tendance internationale qui émerge sur le sujet, où l’on parle déjà d’une « seaweed revolution » notamment aux États-Unis, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, en Indonésie, en Chine ou au Danemark.
Le verre se présente aussi comme un matériau d’avenir, grâce à des avancées technologiques qui permettent de le réinventer. Aujourd’hui, il est possible de produire du verre à base d’algues, très léger, pratiquement incassable et recyclable dans des fours générant beaucoup moins de CO2 qu’auparavant. Il faut changer notre perception du verre, souvent limité à l’image des bocaux de nos grands-mères, pour le reconsidérer dans le contexte de notre société moderne. Avec une vision audacieuse et innovante, le verre pourrait jouer un rôle clé, remplaçant le plastique dans de nombreux domaines et s’intégrant pleinement dans une économie circulaire.
Concernant les vêtements, la laine s’impose comme une alternative durable et performante aux fibres synthétiques, un moyen de rendre nos tissus résistants et parfaitement recyclables. L’entreprise suisse Mover a démontré qu’il est possible de se passer du polyester pour fabriquer des vêtements de sport et de ski imperméables en utilisant exclusivement de la laine, et sans matériaux plastiques. La marque française de sportswear, Circle, a produit avec Woolmark la première paire de running sans plastique, fabriqué à 100 % à partir de matériaux naturels.
Ces exemples montrent qu’un monde sans plastique n’est pas une utopie, mais un objectif réaliste et atteignable, à condition de rediriger nos investissements vers ces solutions plutôt que de continuer à privilégier le recyclage du plastique, qui aggrave la situation et revient à perpétuer une crise au lieu de la résoudre.
Où en est l’Europe face à ce défi d’ampleur ?
R.M. : L’Europe et la France accusent un retard significatif dans la mise en œuvre de solutions par rapport au reste du monde, et la situation de Duralex, qui peine à trouver des investissements, en est une illustration frappante.
Pourtant, la France, en tant que deuxième puissance maritime mondiale, pourrait jouer un rôle central en développant la production industrielle d’algues brunes. Malheureusement, l’idéologie politique et la pression des lobbys de l’économie circulaire centrée sur le plastique freinent ces avancées. Pendant ce temps, les impacts du réchauffement climatique, illustrés par les récentes intempéries en France et à Valence, et l’augmentation alarmante de près de 80 % des cancers chez les moins de 50 ans à l’échelle mondiale, renforcent l’urgence d’agir. En fin d’année, les États membres de l’ONU devraient finaliser un accord juridiquement contraignant dans le cadre du traité international contre la pollution plastique.
Parmi les priorités essentielles figurent la nécessité de plafonner la production mondiale de plastique et d’éliminer les substances chimiques toxiques qu’il contient. Il est également crucial qu’il y soit enfin abordée la question des pratiques de recyclage et de réemploi du plastique, qui perpétuent et aggravent la crise. Sans une action décisive sur au moins l’un de ces aspects, ce traité international risque de ne produire aucun impact positif ni sur notre santé, ni sur la pollution plastique ou la lutte contre le réchauffement climatique. Nous espérons que ces enjeux seront pris en compte avec sérieux et que les scientifiques qui documentent cette pollution seront enfin entendus. Il est temps de sortir du déni.
À lire également : Paiements instantanés : l’Europe à l’aube d’une transformation bancaire
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits