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RH et technologies la nouvelle donne de l’après-covid

Depuis la pandémie de Covid et la banalisation du travail hybride, le marché du travail connait des tensions par à-coups. La flexibilité est devenue une nécessité pour recruter des jeunes. Le bien-être des salariés n’est plus une donnée « déclarative ». Les modalités de recrutement et d’on-boarding sont chamboulées avec le digital et l’IA. La formation est plus cruciale que jamais. 

Un article issu du numéro 28 – automne 2024, de Forbes France

Depuis trois ans, la gestion des ressources humaines a connu des changements en profondeur, le principal étant une nouvelle flexibilité du travail, plus radicale. On constate également de nouvelles formes d’engagement des collaborateurs et une recherche d’autonomie personnelle et par équipe.

Si grand bouleversement il y a, c’est certainement le modèle de travail hybride qui domine – cette alternance entre télétravail et travail au bureau. Beaucoup d’organisations s’y sont résolues. Pour rappel, en 2020 en France, 47 % des salariés en ont fait l’expérience.

Chez les jeunes diplômés notamment, le souhait de pouvoir télétravailler s’affirme de plus en plus. Mais ce n’est pas tout. Sens au travail, autonomie, dimension environnementale : ces critères sont montés très haut dans leurs souhaits. En réponse, des outils collaboratifs (comme Klaxoon, Jira, Confluence, Slack…) ont été largement déployés, rendant les communications plus fluides, tout en renforçant la cohésion d’équipe à distance.

Dans certains domaines d’activités, comme le tertiaire, il devient plus compliqué de maintenir l’intégralité des équipes en « présentiel » dans l’entreprise. Les réunions internes sont contraintes de s’ouvrir à la visioconférence.

Nombreux sont les dirigeants qui n’y voient pas d’objections et constatent même que c’est devenu « un atout majeur, tant pour recruter que pour retenir les talents dans l’entreprise », observe une enquête Gallup et Workhuman. Aux États-Unis, 76 % des travailleurs adeptes du modèle hybride font valoir que le home office (travail à domicile) améliore l’équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle.

 

Sylvain Letourmy, directeur Stratégie solutions RH, Oracle

 

Le team anywhere ou faire confiance

L’une des nouvelles tendances s’appelle le team anywhere, pratiqué par des entreprises internationales comme Atlassian, éditeur australo-américain spécialisé dans les solutions collaboratives. Son CEO, Mike Cannon-Brookes, déclare sans ambages : « Nous ne nous imposons aucune présence physique au sein des bureaux et nous faisons confiance à notre équipe pour choisir l’endroit où elle travaille le mieux. C’est cela le team anywhere. » Et il ajoute : « Venir au bureau une fois par semaine, une fois par mois ou tous les jours de l’année, c’est une décision entièrement personnelle. Cela ne nous empêche pas de toujours valoriser nos locaux ; nous en possédons dans le monde entier où nos équipes peuvent toujours se rendre pour travailler. La réalité du travail a changé : aujourd’hui vous collaborez rarement avec la personne assise à côté de vous. Bien qu’il faille parfois faire des compromis, nous veillons à adapter nos pratiques. Nous nous concentrons sur les opportunités qu’offre cette manière de travailler plutôt que sur ses inconvénients. »

De la période du Covid, on retient également de nouvelles formes d’engagement des collaborateurs et la recherche d’autonomie. « Il s’y ajoute la volonté de privilégier l’apprentissage ou le développement de son expertise, et la recherche du sens et du sentiment d’appartenance à son organisation », observe Sylvain Letourmy, directeur Stratégie solutions RH chez Oracle France. « Cela nous oblige à avoir une approche holistique du développement humain, une approche plus personnelle des collaborateurs. Historiquement, on venait d’un monde très fractionné entre domaines fonctionnels : formation d’un côté et gestion de la performance de l’autre, rémunération, recrutement, paie, etc. Aujourd’hui, tout cela tend à se conjuguer de façon plus cohérente, car les interactions sont de plus en plus fortes, y compris avec la DAF [administration et finances]. »

 

Les plateformes SIRH s’adaptent

On parle souvent désormais de core RH ou possibilité d’irriguer le cœur des processus RH avec des applications spécifiques : on-boarding, gestion administrative du personnel, gestion des temps et activités, entretiens avec les salariés, formations, recrutement…

Cela explique qu’il est de plus en plus pertinent d’accéder aux informations de l’organisation et des collaborateurs à partir d’une même plateforme (cf. Workday, SAP SuccessFactors, Oracle HCM, Kelio-Bodet Software…). C’est la promesse de pouvoir partager les référentiels, les indicateurs clés, etc., et de faciliter la dématérialisation des dossiers « salariés » en même temps que la gestion administrative.

L’approche SIRH se justifie toujours pour faciliter le suivi des budgets, pour bénéficier d’une vision prospective et d’une capacité à anticiper et à définir des scénarios sur l’évolution de l’organisation, grâce à des outils analytiques spécifiques aux RH. L’accès à des bases de référentiels métiers et des candidatures contenant des milliers voire des millions d’enregistrements (cf. Skill Nexus, Dynamic Skills, etc.) accélèrent les processus.

Dans le même temps, ces solutions tendent à se rapprocher de la dimension personnelle, sociale, familiale, associative des collaborateurs. Les « instants de vie » peuvent converger vers un « parcours guidé, conceptualisé et individuel », impliquant, par exemple, les requêtes ou démarches auprès des mutuelles d’assurance ; ou encore les implications d’une promotion avec toutes les étapes à suivre (qualification, grille salariale, etc.).

Ces solutions facilitent aussi la mise en conformité avec la réglementation (cf. les exigences RGPD et RSE). Les plans de formation des personnels sont suivis de façon plus rigoureuse ; ils répondent mieux aux besoins de l’organisation (gagner en compétences) et aux aspirations des jeunes générations. Le recrutement s’est « digitalisé » ; il fonctionne de plus en plus avec des entretiens en visioconférence et des évaluations en ligne. Des plateformes (comme LinkedIn, Indeed, Glassdoor, etc.) facilitent la sélection, la prise de contact et le suivi.

 

L’irruption de l’intelligence artificielle (IA)

Depuis peu, les solutions RH bénéficient de plus en plus d’algorithmes d’intelligence artificielle. L’IA est, par exemple, utilisée pour automatiser les processus de recrutement, comme le tri des CV et la présélection des candidats. Des chatbots assistent les employés en fournissant des réponses instantanées à des questions récurrentes et en renvoyant aux bons documents.

L’IA peut aider à la fixation d’objectifs pour les entretiens annuels. Les suggestions faites seront, bien sûr, relues et validées par un manager. De même, l’IA peut créer des mini-sondages. À partir d’une thématique, l’outil génère les libellés des questions et les réponses possibles, et il construit la structure du sondage.

Dans le domaine du recrutement, il existe des modules d’IA qui vérifient, entre autres, que les annonces ne comportent pas de biais de discrimination. La plateforme Indeed propose Smart Sourcing, un algorithme qui sélectionne et hiérarchise les candidats à l’embauche sur des critères de performances et d’expérience. L’IA se répand également dans les supports de formation personnalisés (cf. Pega GenAI Socrates) mais également dans l’aide à la communication, un levier toujours plus crucial dans les RH, qui répond aussi au souci de personnalisation. Ainsi, les e-mails pour les entretiens annuels peuvent être mieux personnalisés.

Modes de fonctionnement plus humains

Toutes ces approches participent de la nécessité de stimuler l’engagement et la fidélisation des personnels. Le bien-être des salariés ne peut plus être seulement déclaratif : il doit être tangible. Les spécialistes parlent de « journeys » ou parcours suivi pas à pas, permettant de susciter une meilleure symbiose entre la vie des collaborateurs et l’engagement de l’entreprise.

Un responsable des systèmes de gestion des RH résume ainsi l’état des lieux : « Un cap technologique a été franchi ces derniers mois après des années où l’humain a subi l’outil informatique en devant se conformer à ses particularités. Aujourd’hui, on est entré dans une nouvelle ère où la technologie est suffisamment avancée et accessible de façon plus naturelle voire invisible ; et donc elle joue un rôle de soutien, elle nous permet de revenir à des modes de fonctionnement plus humains. »

Priorité à une vie personnelle et professionnelle épanouie 

 

CÉCILE PASDELOUP, DIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT RH À LA POSTE

 

Ce qui a changé depuis la pandémie de Covid ? Il y a eu une prise de conscience que la vie est précieuse, estime Cécile Pasdeloup, directrice du développement RH du groupe La Poste (*).

« Oui, tout le monde a pris conscience que la vie est précieuse ; il faut savoir en profiter. Et donc les priorités ont changé. Aujourd’hui, on a envie d’une vie personnelle et professionnelle épanouie. »

« Nous avons à gérer cette nécessité d’offrir à chacun des possibilités d’épanouissement, d’accomplissement dans son travail. Nous devons apporter des garanties sur ces engagements ; il faut donner envie à des candidats de nous rejoindre. »

L’enjeu est de taille car La Poste, 34 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, compte environ 232 000 collaborateurs dont 20 % à l’international et recrute massivement : le groupe a signé 9 000 postes en CDI l’an passé. Outre le cœur de métier (collecte, distribution du courrier et des colis), il existe toute l’activité de services et de sécurité numérique, de banque, d’assurance, de protection sociale, d’immobilier. Et La Poste aujourd’hui délivre des médicaments, livre des repas à des personnes âgées ou peu mobiles, et propose même des prestations de travaux à domicile.

Actuellement, deux lignes directrices orientent la gestion des RH du groupe : l’expérience et la qualité de vie au travail.

« Nous sommes engagés à apporter aux candidats une expérience de recrutement qui fasse date. Pour capter des profils plus expérimentés, nous organisons des sessions de “job dating” autant que possible dans des lieux originaux (musée de La Poste, sommet de la tour Montparnasse, ou le Jamel Comedy Club…). »

Pour détecter des candidats « à fort potentiel », La Poste peut organiser des jeux collectifs : « Nous les mettons en situation d’accomplir une mission par équipe de cinq ou six comme, par exemple, préparer une ascension du mont Blanc. Nous organisons également des débats autour de problématiques actuelles. Cela se passe dans une salle sous l’œil des recruteurs. »

Un bon nombre de recrutements sont effectués à distance, en visioconférence. Autre innovation, le recours à l’intelligence artificielle : « Nous avons commencé à utiliser des outils d’IA capables d’analyser les réponses à des questionnaires ou des entretiens. Nous obtenons des scorings très probants. Mais il s’agit seulement pour le moment d’une expérimentation. »

La Poste n’hésite pas à utiliser et tester diverses plateformes comme Indeed pour la présélection ou préqualification de candidats ou HelloWork pour diffuser les offres d’emploi avec des contenus originaux (photos, vidéos, articles…). Le réseau social DogFinance sert à recruter dans la finance, la banque, l’assurance et l’IT, de même que Welcome to the Jungle.

« Nous utilisons aussi les réseaux sociaux, que ce soient TikTok ou Instagram pour cibler les publics jeunes, et notamment grâce à un partenariat avec HugoDécrypte ou LinkedIn pour les plus expérimentés. »

Les postiers sont fidèles à leur entreprise (moyenne d’âge : 49 ans) car il est possible de changer d’activité tout au long de sa carrière. Ainsi, l’école de la « data / IA » prépare des data analystes, des data ingénieurs et des acheteurs en procurant un diplôme.

Pour son SIRH, La Poste a récemment choisi SuccessFactors (SAP) et Neobrain, « une solution particulièrement utile en mobilité interne, car elle permettra bientôt de proposer à chacun les opportunités d’emploi et de formation, et de montrer les parcours possibles au sein du groupe ».

 

(*) Diplômée de l’ESSCA et de la Southern Illinois University Edwardsville, Cécile Pasdeloup a occupé précédemment des postes de direction RH notamment au sein des groupes Monoprix et Auchan.


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