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Rétrospective 2018 : La Chute Du « Samouraï » Carlos Ghosn

Getty Images

En ce dernier jour de l’année 2018, retour sur l’un des événements les plus marquants des douze derniers mois, à savoir la spectaculaire arrestation, mi-novembre, de celui qui était considéré comme l’un des patrons les plus puissants du monde, Carlos Ghosn. Celui-ci va ainsi entamer l’année 2019 derrière les barreaux du plus grand centre de détention de l’arrondissement de Katsushika, au nord de Tokyo.

Une onde de choc. Un séisme. Un tsunami. Un tremblement de terre. Ce sont les « sensations » qui ont parcouru le monde des affaires en ce lundi 19 novembre, en milieu de matinée en Europe,  où la nouvelle de l’arrestation de Carlos Ghosn a été rendue publique par la presse japonaise. Le flamboyant patron qui a hissé, un an auparavant,  l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi sur le trône des constructeurs mondiaux (les observateurs restent encore divisés sur la question certains accordant la première place à Volkswagen), vient d’être interpellé par les autorités nippones à la sortie de son jet-privé sur le tarmac de l’aéroport de Tokyo Haneda. Principale accusation : avoir minoré ses revenus sur la période 2010-2015 à hauteur de 38 millions d’euros. Une « omission » aux autorités boursières locales qui pourrait lui coûter très cher. Et écorner à tout jamais sa réputation de dirigeant au sang-froid, sûr de sa force. Si ce n’est déjà fait.  Considéré (presque) comme une divinité au Japon où il œuvré, depuis 1999, au spectaculaire redressement de Nissan, celui qui n’était encore qu’un « gaijin » (un étranger) bouscule alors la quiétude et les méthodes en vigueur au sein de l’archipel. Le polytechnicien français, né au Brésil d’origine libanaise, jette toutes ses forces dans la bataille. Il rompt avec certaines pratiques en cours au pays du Soleil levant, supprime plus de 20 000 emplois, et fait appel à de nouveaux fournisseurs.

Une recette « détonante » qui ne tarde pas à porter ses fruits. Dès l’année suivante, en l’an 2000, Nissan signe des résultats record. Celui qui avait mis sa démission dans la balance si jamais Nissan ne renouait pas avec la rentabilité a réussi un coup de maître. Le premier d’une longue série. Architecte de l’Alliance Renault-Nissan (rejoint, plus tard, par Mitsubishi Motors), Carlos Ghosn voit ses efforts récompensés en 2017, année où il parvient, comme évoqué en préambule, à hisser sur le toit du monde le constructeur franco-japonais.  Avant cela, seulement quatre ans après sa prise de fonctions chez Nissan, la dette est entièrement remboursée et ses hauts « états de service » lui ouvrent en 2005 la porte de Renault, l’emblématique constructeur hexagonal à la recherche, lui aussi, d’un second souffle. Entre temps, le « gaijin » est devenu un héros de manga, privilège rare pour un étranger. Un manga destiné, selon les termes de l’éditeur cité à l’époque par Libération, à « redonner le moral aux employés japonais déboussolés par la crise économique ». Une parfaite allégorie de la situation de Nissan avant l’arrivée aux manettes de Carlos Ghosn.  L’idylle se poursuit, quasiment sans nuages, avant ce funeste 19 novembre où la « statue du commandeur Ghosn », l’un des patrons les mieux payés du Japon (9 millions d’euros en 2017) est déboulonnée par les mêmes qui l’avaient porté au pinacle.

Du Capitole à la roche tarpéienne 

De « héros » à « fraudeur présumé », il n’y a qu’un pas. Emprisonné dans une cellule de 7m2 dans des conditions particulièrement rudes selon plusieurs journaux (ce qui a permis également de mettre un coup de projecteur sur les « spécificités » du système pénal japonais), Carlos Ghosn vient récemment de voir sa garde à vue prolongée jusqu’au 11 janvier par le tribunal de Tokyo.  A l’issue d’une première période de détention, le dirigeant a été inculpé le 10 décembre pour n’avoir pas déclaré l’intégralité de sa rémunération chez Nissan de 2010 à 2015. Le même jour, l’enquête a été élargie aux trois années suivantes, ce qui a entraîné une nouvelle mise en détention. Par la suite, Le PDG de Renault et de l’Alliance Renault-Nissan a de nouveau été placé en état d’arrestation le 21 décembre sur la base de nouvelles accusations, selon lesquelles il aurait fait passer dans les comptes du constructeur automobile japonais des pertes de 1,85 milliard de yens (14,5 millions d’euros) sur des investissements personnels. Bouté hors de la présidence de Nissan et de Mitsubishi pendant sa détention, l’homme d’affaires brésilo-franco-libanais conserve, pour le moment, les rênes de Renault. En dépit des pressions de Nissan qui enjoint son partenaire français à le révoquer, la marque au losange préfère temporiser. En effet, Renault avait ouvert sa propre enquête interne, confiée à la direction de l’éthique et de la conformité. Celle-ci a “conclu, de manière préliminaire, à la conformité des éléments de rémunération du PDG de Renault et des conditions de leur approbation au regard des dispositions légales et des recommandations de l’Afep-Medef.” Fin de citation.  

A l’inverse de Nissan et Mitsubishi Motors, Renault n’a donc pas destitué Carlos Ghosn (qui nie les accusations portées contre lui), préférant une solution « transitoire » avec la mise en place d’une direction bicéphale avec un administrateur référent, Philippe Lagayette, qui assurera la présidence du conseil d’administration, et le directeur général adjoint, Thierry Bolloré, promu directeur général délégué. « A ce stade, le conseil n’est pas en mesure de se prononcer sur les éléments dont disposeraient Nissan et les autorités judiciaires japonaises à l’encontre de M. Ghosn. Mr. Ghosn, temporairement empêché, demeure Président-Directeur général », avait confirmé un communiqué du constructeur hexagonal publié à l’issue du précédent conseil d’administration du jeudi 22 novembre, soit trois jours après l’arrestation de Carlos Ghosn en terre nippone.  Une position dans la droite ligne de celle défendue par le gouvernement et Bruno Le Maire – l’Etat est actionnaire à hauteur de 15% de Renault – qui avaient demandé, dès le lendemain de l’arrestation du patron de Renault, la mise en place d’une direction intérimaire. 

2019, année cruciale 

 Mais le début d’année, sur le front judiciaire, s’annonce particulièrement chargé pour Carlos Ghosn et la question de son maintien à la tête de Renault va peut-être également devoir se poser en fonction des développements à venir. Le constructeur tricolore ne peut décemment pas se complaire ad vitam dans cet « entre-deux » et maintenir le statu quo. Mais il devrait encore s’écouler plusieurs mois avant que Carlos Ghosn ne soit jugé, et il est fréquent que les suspects ne soient pas libérés sous caution pendant cette période. Pourtant, la semaine dernière, l’ancien administrateur de Nissan Greg Kelly, soupçonné de complicité, a été libéré contre une caution de 560 000 euros, un tribunal ayant décidé de ne pas prolonger sa détention en attendant son procès. Le PDG de Renault va-t-il réussir à éviter la sortie de route définitive ? Réponse (probablement) en 2019.  

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