Rencontre avec… Joan Burkovic 31 ans, fondateur de Bankin’, l’appli qui permet de gérer l’ensemble de ses comptes bancaires en une seule interface, depuis son iPhone. Avec 1,6 million d’utilisateurs et 2 millions de comptes bancaires synchronisés chaque jour, la start-up, créée en 2011, est déjà un énorme succès.
Vous en avez de la chance : une directive européenne et la loi Macron sont venues lancer votre business !
C’est vrai, nous avons de la chance ! Mais nous avions créé Bankin’ bien avant ces deux événements : nous nous sommes lancés en 2011. La loi Macron a été promulguée en août 2015, et la directive européenne que vous évoquez a été signée en novembre de la même année ! Grâce à cette dernière, un tiers peut accéder officiellement aux données bancaires d’un utilisateur sans avoir besoin de l’accord de sa banque (mais avec le consentement explicite du client, naturellement). Les banques, qui ne nous ont pas toutes accueillis avec enthousiasme, sont donc désormais obligées de collaborer avec nous et de nous laisser accéder aux données de leurs clients. Grâce à cette même directive, nous avons également le droit de transférer un ordre de paiement d’un utilisateur, et la banque doit exécuter cet ordre. Ce service d’intermédiaire est disponible chez nous depuis le début de l’année.
C’est vous qui avez réussi à convaincre l’Union européenne ?
Non, c’est venu d’Allemagne, où les gens n’aiment pas du tout utiliser la carte bleue. Ils préfèrent le cash. C’était un énorme frein pour le e-commerce, donc une start-up a inventé une solution, qui consiste à injecter le RIB du commerçant dans l’interface bancaire de l’utilisateur et à donner l’ordre de paiement. Le succès a été phénoménal, mais les banques n’ont pas du tout apprécié, et c’est remonté à l’Union Européenne. Comme, au même moment, les banques françaises se plaignaient de notre apparition, le sujet a été traité rapidement. Et heureusement, l’Europe a choisi l’innovation.
Quelles banques vous ont mis des bâtons dans les roues ?
Pas les petites banques, qui n’ont pas les moyens de faire de l’innovation. Mais les grandes banques, elles, avaient dépensé des millions pour créer de bonnes applis ! Parmi elles, certaines ont discuté avec nous, comme Axa Banque, le Crédit Agricole, la Banque Postale… Et d’autres ont tout fait pour nous faire disparaître. Parmi elles, certaines ont tenté de couper nos connexions, de dénigrer notre appli sur les réseaux sociaux, l’une d’elle a même lancé une campagne téléphonique pour expliquer à ses clients qu’il ne fallait surtout pas nous utiliser… Manque de chance, ils sont tombés sur Robin, mon associé !
Vous avez porté plainte ?
Non, parce que ça n’a rien changé : nos utilisateurs sont restés avec nous, et la directive européenne a appuyé notre business. Les banques sont obligées de collaborer avec nous.
Et la loi Macron, en quoi vous a-t-elle aidé ?
Cette loi aide à la mobilité bancaire, en assouplissant les conditions de changement de banque. Elle ne concerne que les comptes courants, mais justement, ils coûtent cher en frais bancaires, Du coup, nous en profitons à double titre : d’une part, les gens déménagent leur compte courant, mais pas leur PEL, ou leur Assurance Vie. Cela favorise la multi-bancarisation et cela rend notre appli, qui permet de consulter tous ses comptes en une seule fois, très utile. D’autre part, nous apportons plus de transparence, puisque nous faisons le point sur les frais bancaires.
Vous êtes un jeune entrepreneur, vous avez fondé Bankin’ à 26 ans ?
Oui, nous étions encore étudiants à l’Essec, avec Robin Dauzon. Mais nous avions les mêmes ambitions, les mêmes envies, on s’entendait bien et nous étions complémentaires : Robin savait coder, et moi, je sais commercialiser. Nous avons fait un essai avec un microprojet, EbaySniper, qui permettait d’enchérir au dernier moment si le plafond que l’utilisateur s’était fixé n’avait pas été atteint. Par exemple, si un objet qui vous intéressait était mis en vente au Japon, vous n’aviez pas besoin de vous lever dans la nuit, à cause du décalage horaire, pour faire vos enchères. Ce projet a bien marché : il nous a permis de vérifier que nous pouvions bien travailler ensemble, et il a généré des fonds, qui nous ont permis de vivre quand on a créé Bankin’.
Combien de temps avez-vous mis à sortir ce projet ?
Nous avons été admis dans un accélérateur de start-up en janvier 2011, en même temps qu’une dizaine d’autres porteurs de projets. Entre nous, il y avait une vraie émulation, nous nous sommes vraiment mis la pression, travaillé comme des fous, et huit mois plus tard, en octobre, nous avions réussi à mettre au point la première version de Bankin’ pour iPhone.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour convaincre le public ?
Malgré tout ce que l’on a pu nous dire, « ça ne marchera jamais, personne n’utilisera une appli inconnue qui ne sort de nulle part, les gens préfèreront se connecter directement à leurs banques », la réussite a été instantanée. Le jour où nous avons lancé notre appli, des dizaines de milliers de personnes se sont connectées. Nous avions donné l’info à quelques blogueurs, qui avaient écrit des articles sur « enfin, on peut consulter ses comptes sur son iPhone », et cela a rencontré une adhésion immédiate. Dans les premières semaines, le mouvement s’est accéléré.
Vous avez donc pu vous rémunérer tout de suite ?
Non ! C’était gratuit, c’était basique. Mais cela nous prouvait une chose : il y avait un vrai besoin, une demande forte. Nous avons donc pu commencer à lever des fonds. Fin 2012, nous avons levé 400 000 € auprès de trois business angels (Simon Dawlat, Didier Kuhn et Franck Lhuerre). Nous avons enfin pu nous verser un petit salaire et, surtout, recruter du monde. Il y a eu deux autres augmentations de capital : début 2015, nous avons levé 1 million d’euros auprès de Génération New Tech, puis début 2017, 7 millions d’euros auprès d’Omnes Capital, CommerzVenture et encore Oddo.
Et maintenant, comment pourriez-vous faire évoluer votre business ?
Nous voulons passer au conseil sur la gestion d’argent puis mettre nos utilisateurs en relation avec des partenaires s’ils le souhaitent. A chaque mise en relation nous sommes rémunérés, et cela est complètement transparent pour l’utilisateur. Il y a 3 sujets capital dans la gestion d’argent : la banque au quotidien, l’épargne, et le crédit. Nous pouvons intervenir dans chacun de ces trois secteurs. Par exemple, nous pouvons proposer à nos clients de leur trouver quelqu’un qui les aidera à renégocier leur prêt immobilier, ou à devenir propriétaires. Grâce à nos algorithmes, nous pouvons aussi prévenir l’utilisateur sur un risque de découvert ou encore calculer sa capacité d’épargne. Ainsi, on peut lui conseiller de faire des virements automatiques, pour ne pas laisser trop d’argent sur son compte courant. Cette activité de coach financier dans ta poche, nous y travaillons, et cela va sortir dans quelques mois.
Vous allez vous lancer à l’international ?
Nous sommes déjà en France, en Espagne, en Allemagne et en Angleterre. Notre priorité, c’est de devenir le leader européen, incontournable et incontesté, du conseil financier intelligent dans ta poche.
Avez-vous d’autres relais de croissance ?
Oui : nous sommes connectés à 350 banques et institutions bancaires, dans 4 pays. Nous avons réalisé un mapping européens de la donnée financière. Beaucoup d’industries souhaitent pouvoir bénéficier de nos technologies. Nous avons donc créé une activité connexe et ouvert une API pour permettre à d’autres industries de connecter les comptes bancaires de leurs clients. Par exemple, c’est très utile pour les comptables qui ont besoin de récupérer les relevés de comptes pour faire la compta. Ils reçoivent la donnée déjà standardisée et identifiée en temps réel. C’est bien plus rapide ! Idem pour les acteurs de crédit : juste en synchronisant les comptes, ils pourront dire extrêmement rapidement si oui ou non ils accordent un crédit à celui qui en fait la demande. Ou encore pour les gestionnaires de patrimoine, les banques privées, les FinTechs qui font de l’affacturage… L’accès à notre API est payant et cela constitue une source de revenus importante.
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