En attribuant une rémunération cumulée de 66 millions d’euros à son directeur général, Carlos Tavares, le groupe Stellantis s’est placé dans une situation délicate vis-à-vis de ses actionnaires, de ses salariés et plus largement de l’opinion publique.
Certes, il est normal de récompenser un dirigeant performant. Stellantis a d’ailleurs rappelé à juste titre que le groupe était passé, en moins de huit ans, « d’une situation de quasi faillite au rang d’entreprise leader de son secteur au plan mondial ».
Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le mérite de cette trajectoire remarquable revient, sans aucun doute à son dirigeant et ses équipes qui ont su définir une stratégie gagnante, mais qu’il est aussi le fruit d’un effort collectif consenti, notamment, par les salariés et les actionnaires qui courent le risque social.
Enfin, si toute création de valeur doit être récompensée, elle doit l’être avec discernement, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, le processus de validation ex post de cette rémunération entame profondément la confiance des actionnaires de Stellantis envers leur groupe. En effet, en profitant de l’absence de caractère contraignant du say on pay aux Pays-Bas, lieu d’immatriculation du Groupe, le conseil d’administration a pu s’affranchir de l’avis de l’assemblée générale qui s’était opposée à l’attribution du package de M. Tavares.
Sur le fond, l’attribution d’une rémunération de cet ordre pourrait avoir des conséquences dommageables bien plus profondes, et ce à trois échelons.
À l’échelon national en premier lieu, la rémunération des dirigeants, et en l’espèce celle de monsieur Tavares, revêt une valeur hautement symbolique. Par son montant – inégalé dans l’histoire du capitalisme européen ; plus encore, par le contexte dans lequel elle s’inscrit – une période électorale centrée sur les questions d’inégalités et de pouvoir d’achat.
Loin de servir la cause de la récompense des talents, cette rémunération risque de ressusciter le serpent de mer du plafonnement des packages attribués aux patrons des grandes entreprises privées. Rappelons que pour les entreprises publiques, la rémunération des dirigeants mandataires sociaux est limitée à 450 000 € bruts depuis un décret de 2012.
A l’échelon européen en deuxième lieu, des voix réagissent en réclamant une harmonisation du droit de l’Union européenne inspiré de la législation française, en profitant notamment de la maîtrise de l’agenda législatif qui échoit à la France et lui assure la présidence du Conseil de l’Union Européennes jusqu’en juin prochain.
À l’échelon international enfin, une intervention réglementaire – même circonscrite à la France – pour limiter la liberté de rémunération affaiblirait significativement la Place de Paris dans la concurrence que se livrent les entreprises pour attirer les meilleurs patrons. Tâchons de ne pas oublier que l’argent est toujours plus abondant que les talents.
Les acteurs de Place l’ont d’ailleurs bien compris en ne réclamant par une intervention du législateur mais en questionnant l’opportunité pour Stellantis d’avoir fixé une rémunération de cette importance d’une part, pour son conseil d’administration de l’avoir maintenue contre l’avis de ses actionnaires d’autre part.
Les entreprises sont désormais des corps intermédiaires. Ce faisant, elles se voient conférer des missions appartenant traditionnellement au domaine régalien. Dans le même temps, elles se doivent de répondre à la montée en puissance des enjeux sociaux et environnementaux. Or, ce nouveau paradigme leur confère un pouvoir d’influence jamais égalé.
Concomitamment, les attentes de la société civile à leur encontre n’ont jamais été aussi fortes, obligeant les dirigeants à agir en compréhension intime du contexte notamment social.
Carlos Tavares a encore la possibilité de le faire, en décidant de reverser une partie de sa rémunération à une fondation, dédiée par exemple à la mobilité et ses enjeux. En montrant qu’il n’est pas sourd aux inquiétudes de notre temps, il y gagnerait une magnifique légitimité et reconnaissance, de la puissance à agir aussi.
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