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Réindustrialiser, investir, innover : la méthode Draghi pour l’Europe face aux géants américains et chinois

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Mario Draghi (Getty)

Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), insiste à plusieurs reprises sur l’urgence pour l’Europe de se réarmer économiquement. Un message partagé dans un discours le 18 mars 2025 à Rome et proposant des solutions pour renforcer sa compétitivité et son autonomie stratégique face aux menaces américaines et chinoises. Un projet à hauteur de 800 milliards d’euros par an serait nécessaire.

Ancien économiste notamment chez Goldman Sachs, puis président de la BCE, Mario Draghi a publié en septembre dernier un rapport fondateur sur la compétitivité européenne et sur l’avenir de l’UE. Une doctrine à nouveau défendue ce 18 février 2025, lors de la semaine parlementaire européenne à Bruxelles, affirmant que les 27 doivent fonctionner « de plus en plus comme si nous étions un seul État ».

« Lorsque le rapport a été rédigé, le principal thème géopolitique était l’ascension de la Chine. Désormais, l’UE doit faire face à des droits de douane imposés par la nouvelle administration américaine dans les mois à venir, probablement dans les semaines à venir, entravant l’accès à notre plus grand marché d’exportation », expliquait Mario Draghi dans son discours mardi.

Dans son rapport de 400 pages, l’ancien président de la BCE mettait en avant des questions telles que les réformes du marché de l’énergie, l’importance de l’innovation et la nécessité de réduire les barrières internes pour améliorer la compétitivité. Critiqué pour son évaluation financière jugée irréaliste, ce rapport revient plus que jamais au goût du jour. Parmi les mesures proposées figure aussi la mise en œuvre d’un marché unique pour notamment fluidifier les transactions et harmoniser la fiscalité au sein de l’UE ou encore attirer les financements dont l’industrie européenne a besoin.


 

Le décrochage de l’Union européenne

À l’ouverture d’un Conseil européen d’une importance colossale ces 20 et 21 mars, et alors que Donald Trump et Vladimir Poutine sont en train d’acter un rapprochement historique en ouvrant les négociations sur la fin de la guerre en Ukraine, Mario Draghi revient sur les priorités qu’il avait identifiées en septembre dans son rapport. Enlisée dans la stagnation ces dernières années, l’Europe est aujourd’hui loin derrière les États-Unis et la Chine en termes de croissance. Elle doit se relancer grâce à des investissements massifs dans l’innovation numérique, la transition verte et les industries de défense pour atteindre 5 % du PIB par an, estime Mario Draghi, qui chiffre les besoins entre 750 et 800 milliards d’euros par an. Dans son discours, il cite notamment les prix de l’énergie, grande préoccupation des entreprises européennes. 

« Les prix du gaz naturel […] ont augmenté d’environ 40 % depuis septembre », note Mario Draghi. « Les prix de l’électricité ont aussi augmenté dans de nombreux pays et restent 2 à 3 fois plus élevés qu’aux États-Unis », relève-t-il.

L’Union européenne accuse également un sérieux retard par rapport aux États-Unis et la Chine en matière de technologies, notamment sur l’intelligence artificielle, et les projets actuels pourraient ne pas suffire à combler cet écart. « La principale raison pour laquelle la productivité de l’UE a divergé de celle des États-Unis au milieu des années 1990 est que l’Europe n’a pas su tirer parti de la première révolution numérique », observe Mario Draghi dans son rapport.

En effet, avec une capitalisation boursière totale de 19 000 milliards de dollars fin décembre 2024, les fleurons de Wall Street (Broadcom, Apple, Tesla, Microsoft, Meta, Amazon, Alphabet, Nvidia) distancent de loin les capitalisations des talents européens que sont ASML, Criteo, Mistral AI ou Ledger. Le 11 février 2025, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait annoncé un plan de 200 milliards d’euros visant à développer l’IA en Europe. Mais les réglementations posées notamment par l’IA Act risquent d’être un frein pour l’Europe dans la course à l’IA. Dans un récent rapport européen, il apparaît que seulement 7% des investissements mondiaux dans les logiciels et applications numériques proviennent de l’Europe, contre 71% pour les États-Unis.

Une dépendance de l’UE sur des points stratégiques

L’Europe est dépendante sur des plans stratégiques. La transition écologique en fait partie car elle nécessite d’importantes quantités de matières premières critiques. L’offre est géographiquement concentrée et les grandes entreprises du secteur sont principalement contrôlées par des acteurs extérieurs à l’Union européenne. Les productions de nickel, de cuivre et de cobalt sont concentrées chez des investisseurs hors Europe, notamment par les États-Unis, l’Australie, ou encore la Chine.

Pour réaliser ses objectifs climatiques qui visent à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030, l’Europe risque de devenir encore plus dépendante de ses importations en matières premières critiques. Les éoliennes, les batteries ou encore les réseaux électriques, indispensables à la transition énergétique, nécessitent de grandes quantités de ces matières premières critiques. La concentration géographique de l’offre rend l’UE vulnérable à des mesures de restrictions commerciales, comme celles infligées actuellement par Donald Trump. Selon l’OCDE, plus de 70 % des mesures de restrictions aux exportations portent sur ces matières premières critiques. Pour réduire ces risques, le rapport Draghi propose la création d’une « plateforme européenne dédiée » à la gestion des matières premières critiques et appelle à la mise en œuvre rapide de la réglementation européenne adoptée en mars dernier.

Décarbonation, compétitivité et défense

Pour restaurer la compétitivité de l’Europe, Mario Draghi propose de mobiliser des investissements à hauteur de 800 milliards d’euros par an, soit l’équivalent d’environ 4,5 % du PIB de l’UE. Ces ressources constitueraient un outil clé pour regagner le terrain perdu face aux États-Unis et à la Chine en termes de croissance économique, d’innovation et de productivité. Selon Mario Draghi, l’avenir économique de l’Europe dépend de sa capacité à mettre en œuvre une « nouvelle stratégie industrielle européenne » qui unira les 27 États membres dans un effort efficace. Dans son rapport, l’ancien président de la BCE souligne le « défi existentiel » auquel l’Europe fait face : augmenter la productivité et la croissance économique ou se voir contrainte de renoncer à la lutte contre le changement climatique, la défense du modèle social européen ou le financement de l’État-providence. Un enjeu plus que jamais d’actualité, alors que l’écart entre le PIB européen et celui des États-Unis est passé de 15 % à 30 % au cours des vingt dernières années, la Chine continuant sa progression.

Autre solution pour pallier cet écart drastique que creusent les États-Unis et la Chine avec l’Europe : Mario Draghi propose d’accélérer l’innovation, en particulier dans le secteur technologique. Il souligne que l’Europe accuse un retard important par rapport aux autres puissances mondiales dans ce domaine, ce qui nuit gravement à sa compétitivité. Pour l’ancien président du Conseil italien, il faut éliminer les barrières qui empêchent la mise sur le marché rapide des innovations et attirer davantage de financements.

La réduction des prix de l’énergie dévrait également être un pilier majeur de la stratégie européenne, étant donné leur coût 5 fois plus élevés qu’aux États-Unis. Mario Draghi propose donc un « plan conjoint de décarbonation et de compétitivité » qui aborde la réduction des émissions tout en favorisant la croissance des industries émergentes telles que les technologies propres. Il propose enfin une plus grande coopération entre les pays européens en matière de défense. « La détérioration des relations géopolitiques crée de nouveaux besoins en matière de dépenses de défense et de capacité industrielle de défense », note-t-il.

Faire baisser les factures d’énergie, assouplir les réglementations, réarmer le continent… Les propositions ambitieuses, mais nécessaires, de Mario Draghi dans son rapport et lors de son discours ce mardi, demandent à l’Europe de passer à la vitesse supérieure pour rattraper son retard accumulé. « Les choix qui nous attendent sont d’une importance historique, peut-être comme jamais depuis la fondation de l’Union européenne », plaidait-il. Une action coordonnée et ambitieuse (à travers ces investissements de 800 milliards d’euros par an) devra être mise en place pour assurer l’avenir prospère de l’Union européenne.

 


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