La loi de blocage, qui interdit aux entreprises françaises de communiquer directement des informations sensibles « d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique » en cas de demandes émanant d’autorités publiques étrangères, vient d’être modifiée. Cette réforme était très attendue tant ces demandes d’informations se sont multipliées ces dernières années, notamment dans le cadre d’enquêtes internationales.
Jusqu’à présent, la loi de blocage, malgré l’interdiction stricte qu’elle édicte, n’a eu qu’une efficacité limitée, tant vis-à-vis des entreprises françaises que des autorités étrangères, compte tenu de l’absence de cadre clair et de la faiblesse des sanctions.
L’objectif de la réforme[1], entrée en application le 1er avril 2022, est double. D’une part, elle précise les obligations procédurales pesant sur les entreprises destinataires de demandes de communication d’informations sensibles par des autorités publiques étrangères. D’autre part, elle vise à renforcer l’opposabilité de la loi de blocage à l’étranger.
Une clarification de la procédure applicable pour les entreprises
Depuis le 1er avril 2022, les entreprises faisant l’objet d’une demande de communication d’informations sensibles de la part d’une autorité publique étrangère doivent, « sans délai », transmettre cette demande au Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE). Elles doivent également y déposer, « dans les plus brefs délais », un dossier qui doit notamment comporter les motifs de la demande et les échanges ayant eu lieu avec l’autorité étrangère.
Les entreprises bénéficient donc désormais d’un service unique qui pourra les accompagner quelles que soient les demandes d’une autorité étrangère. En effet, jusqu’à présent, en raison de la confusion des textes, il était difficile pour les entreprises de savoir, en pratique, quel ministère[2] informer.
En outre, compte tenu des difficultés pour les entreprises à déterminer si une information était sensible, le SISSE, l’AFEP et le MEDEF ont publié, concomitamment à l’entrée en vigueur de la réforme, un guide pratique d’aide à l’identification des données sensibles susceptibles de relever de la loi de blocage. Le guide précise qu’elles doivent être appréciées à l’aune d’une part des critères de confidentialité de ces données, et d’autre part des mesures de protection assurant leur disponibilité et intégrité. Il fournit également des exemples de données potentiellement sensibles, telles que les données relatives à la recherche et au développement (notamment algorithmique) ou plus simplement les données relatives à des clients ou prestataires.
Un renforcement de l’opposabilité de la loi de blocage à l’étranger
Autre nouveauté introduite par la réforme, le SISSE est désormais tenu d’adresser à l’entreprise, à la suite du dépôt de son dossier, un avis portant sur l’application de la loi de blocage. Cet avis doit intervenir dans un délai d’un mois à compter du dépôt du dossier au SISSE. Ces avis juridiques non contraignants pourront être transmis par les entreprises françaises aux autorités étrangères.
L’introduction de ce délai devrait renforcer la sécurité juridique des entreprises françaises. En effet, jusqu’à présent, un tel délai n’existait pas et les retours des autorités françaises pouvaient prendre plusieurs mois. Ainsi, les entreprises se retrouvaient, en pratique, face à un choix délicat : communiquer des informations éventuellement sensibles à des autorités étrangères au risque d’être condamnées pour violation de la loi de blocage ou refuser une telle communication mais s’exposer à des sanctions de la part des autorités étrangères.
Des impacts difficiles à prévoir
Il est encore trop tôt pour dire si la réforme aura un impact positif sur l’efficacité de la loi de blocage. Notamment, il est difficile d’anticiper la manière dont les juridictions étrangères vont apprécier la portée des avis rendus par le SISSE. Se pose à cet égard la question de savoir si ces avis auront un effet suffisamment contraignant[3].
Surtout, la réforme n’est pas venue modifier les sanctions applicables en cas de violation de la loi de blocage, contrairement à la proposition du rapport dit Gauvain du 26 juin 2019. Rappelons pourtant que la loi de blocage était souvent écartée par les autorités étrangères en raison de la faiblesse des sanctions encourues (6 mois d’emprisonnement et/ou 18.000 euros d’amende pour les personnes physiques et de 90.000 euros d’amende pour les personnes morales) et de l’absence de décision de justice mettant en œuvre ces sanctions (une seule condamnation jusqu’à ce jour).
[1] La réforme repose sur le décret n°2022-207 du 18 février 2022 et sur l’arrêté d’application du 7 mars 2022
[2] Ministère des Affaires étrangères, de la Justice, de l’Economie ou de l’activité dont relevait l’entreprise concernée
[3] Rappelons que les autorités étrangères ont la possibilité de demander la communication d’informations via des traités et accords internationaux de coopération et notamment, la Convention de la Haye de 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale.
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