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Interview | Raphaël Llorca : « Les marques racontent la France »

Le récit national se démocratise et les marques s’engouffrent avec assurance dans l’imaginaire collectif. Dans son livre, Le Roman national des marques, le nouvel imaginaire français, Raphaël Llorca raconte cette ascension, ses dangers et la nouvelle vision de souveraineté nationale ramenée au goût du jour par les grandes marques qui font la France. Interview.

 

Votre ouvrage solde cinq ans de travail sur le rôle des marques dans la société. En cela, vous avez ouvert une véritable boîte de pandore. Quel enseignement majeur en tirez-vous ?

Raphaël Llorca : L’écriture de ce livre est le fruit de nombreuses réflexions à la croisée de la pratique et de la théorie pour savoir ce qu’incarnent les marques dans notre société contemporaine. L’angle que j’ai choisi, c’est la dimension politique. Mon propos était de se dire que les marques ne façonnent plus simplement nos imaginaires de consommation, mais plus largement nos imaginaires collectifs et politiques. Il était impossible de s’attaquer à un tel sujet dans un simple livre. C’est pourquoi j’ai ouvert un Observatoire des marques à la Fondation Jean Jaurès en septembre dernier à des fins d’exploration d’un sujet à mille ficelles.

 

Dans ce vaste sujet, vous avez donc choisi de spécifier votre propos en tirant le fil du roman national.

R.L. : J’ai établit un véritable questionnement sur le storytelling des entreprises à travers l’idée qu’une nation produit un certain nombre de narrations pour se raconter elle-même. Le roman national a longtemps été l’apanage d’une élite culturelle et politique. Aujourd’hui, un nombre croissant de marques se sont mises à produire des éléments de roman national. La France n’est plus seulement un élément de décor dans les publicités comme avant, où l’on utilisait la tour Eiffel ou encore le typique village française comme toile de fond. La France est le sujet principal dans la communication des marques. Se pose alors la question : quelle est la place des marques dans le roman national ?

 

Alors, comment les marques racontent-elles la nation ?

R.L. : Naomi Klein a été la première à mettre le doigt sur la « révolution » dans la création de valeurs dans son livre « No logo » en 1999. Dans le « Roman national des marques », je voulais aller beaucoup plus loin. Des marques se sentent autorisées à ériger au même titre que des politiques pour formuler leur vision de la société française. Les trois exemples que j’aime utiliser sont ceux de la SNCF, de la FDJ et de Renault. La SNCF, dans son spot publicitaire hexagonal, renoue avec une longue tradition historiographique française qui est celle de réaliser des tableaux de la France, en exposant la diversité de ses paysages, ses traditions et sa population. La FDJ, elle, a transformé son fer de lance publicitaire, « faire gagner les Français », en une intention plus collective avec son nouveau slogan « et voir la France gagner ». En ce qui concerne Renault, c’est un optimisme conquérant sur la nation française qui tranche singulièrement avec le déclinisme ambiant. Et pour faire valoir ses nouvelles valeurs, Renault laisse le made in France au placard en faveur d’un made of France, sous-titré « fait d’esprit français ». Tout ce qui constitue le patrimoine immatériel de la France, Renault cherche à se l’approprier.

 

Vous exposez une certaine dépolitisation de la société française, portée par l’influence grandissante des marques…

R.L. : Je tenais à me pencher sur l’impact psychologique du type de campagne de communication insufflé par ces trois enseignes, qui ne s’arrêtent pas à la sphère commerciale. Il y a aujourd’hui une concurrence symbolique entre les marques et les politiques. L’un des enseignements majeurs de l’étude de la Fondation Jean Jaurès menée pour fournir les pages de ce livre est révélé par la liste des acteurs majeurs qui, selon les Français, font la France. Celle-ci relève une perception massive d’un déficit de conteurs nationaux. S’il n’y a plus personne pour raconter la France, les marques sont peut-être le bienvenu pour le faire. Mais qui peut raconter la nation ? Quelle est la légitimité d’acteurs commerciaux non élus à porter un discours aussi politique de la société française ? Il en va d’une fabrique de dépolitisation parce que l’imaginaire collectif s’habitue à l’idée selon laquelle les marques sont plus puissantes, plus enthousiasmantes et plus efficaces que les politiques. Il ne faut pas se perdre dans les discours portés par les grandes marques et flairer un danger démocratique certain.

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