Les projets de transport ultrarapide dits « hyperloop » quittent progressivement le domaine de la science-fiction pour pénétrer dans le monde réel. Le concept, initié par Elon Musk en 2013 dans la culture start-up et écolo, vise à faire circuler des navettes ou capsules, transportant des passagers et du fret, à l’intérieur de structures tubulaires sous-pressurisées et à des vitesses avoisinant les 1 000 km/h !
Qui sont ces entrepreneurs embarqués dans les projets de « shuttle-trains » du futur qui promettent d’atteindre, voire de dépasser le mur du son (1 220 km/h) ? Des fantaisistes ? Des startuppers aventuriers, émules d’Elon Musk, le fantasque visionnaire concepteur des navettes spatiales Space-X et des voitures électriques Tesla ? Ou plutôt la nouvelle génération des capitaines d’industrie, héritiers de pionniers comme Jean-Luc Lagardère (Matra) ou Marcel Dassault ? Et que nous préparent-ils ? Des TGV du XXIe siècle à sustentation magnétique sur lesquels travaillent des conglomérats japonais, chinois et coréens ? Non, plus prosaïquement, ils tentent de concevoir un « 5e mode de transport » ultrarapide s’insérant entre l’avion et le TGV, destiné à couvrir des centaines de kilomètres. Mais pourquoi pas aussi des dessertes d’aéroports ou certaines liaisons intercités dans des navettes très rapides, non polluantes et autonomes ? Les TGV, comme ceux produits par Alstom et Siemens (ICE 3) roulent à une vitesse « commerciale » volontairement limitée à 320 ou 350 km/h, en raison de marges de sécurité conformes aux infrastructures existantes. Techniquement, le TGV d’Alstom exploité par la SNCF a atteint 575 km/h, mais sur un tronçon d’essai spécifique, et en tolérant une très forte élévation de température des motrices. Actuellement, la demande des compagnies de chemin de fer vise d’abord une automatisation qui doit permettre de fluidifier le trafic et d’augmenter de 30 % la fréquence des trains.
TGV G4 ou G5 : des investissements colossaux
Pour pouvoir circuler couramment à une telle vitesse et au-delà – le besoin s’en fait sentir pour plus encore concurrencer l’avion, tout en réduisant nos émissions de CO2, il faudra investir des sommes colossales dans de nouvelles infrastructures ferroviaires et dans de nouvelles technologies, notamment celles de sustentation (ou lévitation) magnétique : on parle de projets « maglev » (pour magnetic levitation) développés notamment par les Allemands, Japonais et Chinois, en attendant les Coréens. Celui du Japonais JR (Japan Rail) a atteint les 603 km/h et l’exploitation commerciale pourrait démarrer en 2027 entre Tokyo et Nagoya à la vitesse de 500 km/h. Son concurrent chinois, le géant CRRC (China Railroad Rolling Stock Corporation), fournisseur de locomotives hybrides auprès de la Deutsche Bahn et déjà implanté aux États-Unis, prévoit pour 2021 les premiers essais d’un train équivalent au « maglev » japonais. Le « Transrapid », co-développé avec les Allemands, du Shanghai Maglev Train, aurait déjà atteint la vitesse de 430 km/h.
Toutes ces initiatives de trains ultrarapides sur voie ferrée proviennent de grands groupes ou consortiums de dimension internationale. Faute d’un rapprochement empêché par la Commission de Bruxelles, Alstom et Siemens continuent leurs développements, chacun de leur côté, à l’heure où les voies ferrées vont être encore plus ouvertes à la concurrence (2020 et 2021, troisième « paquet ferroviaire »). « L’Europe se donnera-t- elle les moyens et la possibilité d’avancer, avant que les jeux ne soient faits ailleurs ? », s’inquiète Pascal Hureau, CEO d’Ecosystem Consulting, expert en mobilité durable et adjoint au maire de Montrouge, en charge du numérique.
Des projets d’inspiration nord-américaine
En parallèle, depuis l’Amérique du Nord, se développent les projets d’hyperloop (hyperboucle), proches du concept relancé en 2013 par Elon Musk. Ils marient les technologies de l’aéronautique, du ferroviaire et des véhicules autonomes du futur. À la source, il s’agit d’un « vaccum train » (ou vactrain), c’est-à-dire train tubulaire : des navettes ou capsules circulent dans des tubes dépressurisés (l’air en est retiré par des pompes à vide), mesurant 4 mètres de diamètre. L’absence d’air permettrait d’atteindre de très grandes vitesses.
Ces trains-navettes, selon les modèles, pourraient transporter des passagers ou des marchandises. Le principe de sustentation sur coussins d’air semble être écarté au profit de la sustentation magnétique. Pour la propulsion, il est également fait appel à des champs magnétiques : des moteurs à induction linéaire, interférant entre la navette et la structure tubulaire, de façon active et passive, par l’effet d’aimants répartis sur la capsule. La vitesse pourrait dépasser les 1 000 km/h. Certains chercheurs évoquent deux à trois fois cette vitesse – tout cela restant théorique…
Un concept décrit par Elon Musk
Pour l’infrastructure, le concept hyperloop d’Elon Musk évoque deux tubes suspendus (aller et retour) à 5 ou 6 mètres de hauteur, côte à côte ou l’un au-dessus de l’autre. Certains initiateurs de ces projets – invoquant la protection de l’environnement et la sécurité – envisagent plutôt une installation souterraine ou semi-enterrée. Un mix des deux est vraisemblable, selon la topologie, le contexte géologique ou l’environnement (paysager, urbain ou non).
Pour atteindre ces vitesses, il faut également compter avec la durée et la distance nécessaires à une accélération confortable. Elle devra être inférieure à 0,2 G (environ 2 m/s2) – ce qui signifierait une distance de 10 à 15 km pour atteindre la vitesse de pointe. Idem pour la décélération.
Elon Musk a estimé le coût de la liaison San Francisco/Los Angeles (550 km) à 6 milliards de dollars, « un dixième du prix du TGV », selon lui (soit 10 M$ par km ; c’est en fait, la fourchette basse du coût LGV… La ligne LGV a coûté entre 10 et 25 M€/km, selon la topographie – estime Tristan Vandeputte, directeur Innovation chez Systra). Lui-même, cofondateur de PayPal, ne s’engage pas. Il dit attendre que des investisseurs le fassent. Outre SpaceX, Tesla et SolarCity (qu’il préside), il possède The Boring Company, une entreprise de construction de… tunnels. Mais ici, son approche est pour le moins originale : il n’envisage pas de déposer de brevets d’hyperloop mais encourage une « production participative et collaborative », sur le modèle open source GPL en informatique.
Il ne fait pas mystère de ses visions à long terme, que d’aucuns jugent très radicales, sinon loufoques : l’humanité est engagée dans un plan A visant à sauver la planète ; et, à défaut, il faut un plan B consistant à coloniser d’autres planètes, à commencer par Mars. Le fait est que sa fortune le place au 23e rang aux États- Unis avec 19,9 milliards de dollars (classement Forbes 400, octobre 2019) et son programme de navette Space-X est en train de bluffer la Nasa. Le 19 janvier dernier, Crew Dragon a réussi à se désaccoupler du lanceur Falcon 9 et à amerrir sans incident. En avril, un nouvel essai sera effectué avec deux cosmonautes à bord – le but étant de s’arrimer dans les prochains mois à la Station spatiale internationale (ISS). Concernant Tesla, le succès de la Model 3 à la suite des Model S et X, conformément à son « master plan », vient de hisser la valeur boursière de l’entreprise au second rang mondial, après Toyota, à plus de 100 milliards de dollars. Ou comment passer du rêve à la réalité des affaires profitables…
La vision européenne
Plusieurs investisseurs du vieux continent (d’abord des indépendants milliardaires) se sont positionnés. L’Union européenne a parcimonieusement soutenu certaines initiatives (quelques dizaines de millions d’euros) en France, en Italie, à travers le fonds régional Feder, en mettant dans la boucle (!) des collectivités, des universités ou des centres de recherche.
Tous les projets semblent rester au milieu du gué, avec de six mois à deux ans de retard. La course aux levées de fonds continue. Les entrepreneurs de cette nouvelle « frontière » cherchent-ils à se placer pour tirer parti de l’ouverture à la concurrence des voies de chemin de fer en Europe dans les dix ans à venir ?
Richard Branson fiche son billet
L’un des plus imposants projets est sans doute l’Américain Virgin Hyperloop One (ex-Hyperloop Technologies Inc.). En 2017, Richard Branson, patron de Virgin, l’a rebaptisé après y avoir injecté, avec le sultan Ahmed Bin Sulayem de Dubaï (DP World), 50 M$, ce qui aurait porté le financement à 300 M$ environ. SNCF, partenaire de ce projet, en a été l’un des premiers investisseurs en 2016. Sa filière Systra a participé à des essais. Mais après des essais au Nevada à des vitesses de 324 et 387 km/h sur 450 m, les premiers retours sont mitigés, même si des brevets ont été déposés. Sept États d’Amérique sont cependant candidats pour des essais.
Autre programme ambitieux, d’un autre américain : Hyperloop Transportation Technologies (HTT). Il a été lancé par un Allemand, Dirk Ahlborn, et financé initialement par un crowdfunding (JumpStartFund). Il a été soutenu par des ingénieurs payés en stock- options, dont certains de l’université de Californie (UCLA), ainsi que par Ansys, éditeur de logiciels de simulation de fluides. Après des projets à Dubaï et des contacts en Europe centrale, la société disposerait de 200 M$. C’est la course aux accords de co-développement en Australie, Inde, États- Unis… Un protocole a été signé en 2017 avec la Corée pour une liaison Séoul-Busan. Depuis, le programme semble en stand-by.
HTT s’est aussi établi près de Toulouse, à Francazal, sur le site d’une ancienne base aérienne où promesse a été donnée d’investir 40 M€ sur cinq ans. Un prototype de navette de 32 mètres, d’une capacité de 30 à 40 passagers, a été livré par l’équipementier espagnol Carbures. Les essais devraient démarrer en avril 2020 dans une première structure de seize tubes de 20 mètres de longueur et de 4 m de diamètre, déjà livrée par l’Espagnol Haizea Wind Group.
En France aussi…
En France, deux projets gagnent en visibilité. Tout d’abord, celui du Canadien Transpod, cofondé par un Français, Sébastien Gendron, à Toronto. Il devrait tenir la vedette sur le pavillon France de l’exposition universelle de Dubaï (octobre 2020 – avril 2021). Ensuite, celui baptisé Spacetrain, d’Emeuric Gleizes, un peu divergent puisqu’il revient sur les traces de l’Aérotrain de Jean Bertin à Orléans (cf. encadrés).
À l’initiative de la direction Transport de la Commission de l’UE, qui étudie une certification hyperloop à deux ou trois ans, tous ces entrepreneurs « hyperloopéens » se réunissent à Bruxelles tous les trois mois. On y retrouve une start-up espagnole, Zeleros, le Hollandais Hardt Hyperloop et le Polonais Hyper Poland. Pas d’Allemands, pas d’Italiens. Pour autant, qui jurerait qu’il n’en sortira rien ? La partie, planétaire, est encore à jouer. Pour preuve, l’Afnor vient de prendre un ticket.
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