En 2012, Frank McCourt a cédé les Dodgers de Los Angeles pour une somme astronomique. Depuis, il a bâti un empire dans les secteurs du commerce et des médias, et orchestré la création d’un consortium visant à racheter TikTok.
Un article de Phoebe Liu pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
Le milliardaire Frank McCourt, investisseur et entrepreneur connu pour avoir été propriétaire des Dodgers de Los Angeles, a officiellement déposé une offre pour acquérir TikTok. Cette initiative est portée par Project Liberty, un groupe qu’il a fondé pour promouvoir l’idée selon laquelle les utilisateurs devraient posséder leurs propres données, plutôt que de les laisser aux mains de géants technologiques comme ByteDance (maison mère de TikTok), Meta ou Alphabet. En mai 2024, Project Liberty avait annoncé son intention de faire une offre, et, le jeudi 9 janvier, il a confirmé le dépôt officiel de sa proposition, baptisée « People’s Bid for TikTok » (« L’offre du peuple pour TikTok »).
L’investisseur et Project Liberty ont déposé cette offre en collaboration avec la banque d’investissement Guggenheim Securities, le cabinet d’avocats Kirkland & Ellis, ainsi qu’un consortium d’investisseurs, parmi lesquels Kevin O’Leary, star de Shark Tank, et plusieurs technologues de premier plan déjà impliqués dans l’initiative Project Liberty. Le montant de l’offre reste confidentiel, mais le plan de Project Liberty inclurait également un financement par emprunt auprès de « l’une des plus grandes banques des États-Unis ».
Frank McCourt s’est toujours montré très critique envers les géants de la technologie, notamment la société chinoise TikTok. « Nous devons casser ce modèle ou le transformer en un système qui restitue le contrôle, l’autonomie, le choix, la propriété et les droits aux individus », a-t-il déclaré à Forbes en novembre 2023. Âgé de 70 ans, il a ajouté : « Vous avez le choix : une technologie chinoise ou une technologie américaine ».
Son consortium a affirmé avoir obtenu plus de 20 milliards de dollars d’engagements de la part de ses investisseurs, selon un communiqué publié en décembre. Ce montant correspond à l’estimation que M. McCourt attribue à TikTok, a-t-il déclaré au New York Times le 10 janvier, et se situe dans la partie basse des évaluations proposées par les analystes et dirigeants. (TikTok représenterait probablement moins de 15 % du chiffre d’affaires annuel de ByteDance, estimé à 120 milliards de dollars, une entreprise que Forbes évalue à plus de 230 milliards de dollars).
ByteDance n’a pas officiellement réagi à l’offre et n’a fourni aucune indication sur son intention de vendre les activités américaines de TikTok, ni précisé quelles parties de l’entreprise pourraient être concernées par une éventuelle cession. Cependant, lors des plaidoiries du 10 janvier, la Cour suprême a semblé pencher en faveur de la validation de la loi fédérale interdisant TikTok à moins d’une séparation avec ByteDance.
« En maintenant la plateforme opérationnelle sans dépendre de l’algorithme actuel de TikTok et en évitant une interdiction, des millions d’Américains pourront continuer à profiter de ses services », a déclaré M. McCourt dans un communiqué de presse publié en janvier. « Nous sommes prêts à collaborer avec ByteDance, le président élu Trump et la future administration américaine pour aboutir à cet accord. »
Après avoir vendu les Dodgers de Los Angeles en 2012, Frank McCourt a consacré la majeure partie de la dernière décennie à investir les 850 millions de dollars issus de cette vente via sa société McCourt Global. Il a diversifié ses placements dans des secteurs tels que le sport, l’immobilier, la technologie, les médias et une société d’investissement spécialisée dans le crédit privé. En janvier 2023, il a quitté son poste de PDG de McCourt Global pour se concentrer sur le projet Liberty, tout en conservant son rôle de président exécutif et la pleine propriété de l’entreprise.
La valeur des actifs de M. McCourt est estimée à 1,4 milliard de dollars, ce qui lui a permis de faire son entrée sur la liste des milliardaires de Forbes cette année. Cependant, sa fortune reste bien inférieure à celle de ByteDance, évaluée à 230 milliards de dollars. Selon Semafor, M. McCourt prévoit de lever des fonds auprès de fondations, de fonds de dotation, de fonds de pension et du grand public pour financer un projet visant à transférer les comptes des utilisateurs vers un protocole leur offrant un meilleur contrôle sur leurs identités numériques et leurs données.
L’offre de TikTok pourrait être confrontée à la concurrence des géants technologiques que Frank McCourt critique pour leur contrôle sur l’infrastructure numérique mondiale. Cependant, l’entrepreneur est habitué aux projets de grande envergure et sur le long terme, à l’image de la vaste ambition portée par Project Liberty. « Il faut commencer avec l’idée que tout est possible, puis relever les défis et les surmonter un par un », a-t-il déclaré à la fin de l’année dernière à propos de sa volonté de réformer la technologie. « Au final, il n’y a jamais de garantie de réussite. »
L’héritage entrepreneurial de Frank McCourt trouve ses origines en 1893, lorsque son arrière-grand-père a fondé la McCourt Company, une entreprise de construction basée à Boston. Diplômé en économie de l’université de Georgetown en 1975, il est retourné dans le Massachusetts pour se lancer dans le développement immobilier autour du port de Boston dans les années 1980.
En 2001, Frank McCourt a tenté d’acheter les Red Sox de Boston, qu’il admirait tant, mais l’offre a été remportée par les milliardaires John Henry et Tom Werner. Quelques années plus tard, il aurait utilisé neuf hectares de terrain situés sur le South Boston Waterfront comme garantie pour acquérir les Dodgers de Los Angeles, une transaction évaluée à 371 millions de dollars en 2004. Sa période de gestion controversée des Dodgers, marquée par des accusations de mauvaise gestion financière et d’évasion fiscale, a conduit l’équipe à se placer sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites en 2011. Frank McCourt a finalement vendu les Dodgers en 2012 pour 2,2 milliards de dollars, établissant un record de vente dans l’histoire du sport à l’époque. Cette transaction lui a rapporté environ 850 millions de dollars en liquidités après impôts et un divorce très médiatisé.
Entre-temps, l’entrepreneur a cédé la majorité de ses biens immobiliers à Boston, principalement en 2006, pour ensuite diversifier ses investissements. Aujourd’hui, son portefeuille immobilier inclut un ensemble de bâtiments dans le Design District de Dallas ainsi que des participations dans divers biens commerciaux et résidentiels en Californie, au Texas et à Londres. (McCourt Global a notamment vendu une participation dans un projet immobilier à Miami pour 363 millions de dollars en 2022.)
Il a également poursuivi ses investissements dans le sport. En 2014, sa société McCourt Global a acquis 50 % du Global Champions Tour et de la Global Champions League, deux des compétitions de saut d’obstacles les plus prestigieuses du monde équestre. Il a revendu ses parts en 2022 pour un montant resté confidentiel. Quatre ans après avoir vendu les Dodgers, il a acquis l’emblématique club de football français, l’Olympique de Marseille, pour environ 50 millions de dollars. Depuis, il a injecté des sommes importantes dans l’équipe, qui a généré plus de 200 millions de dollars de revenus lors de la saison 2021-2022, bien que le club ait enregistré des pertes cumulées de plusieurs centaines de millions depuis son acquisition, selon The Athletic.
En parallèle, Frank McCourt a fondé MGG Investment Group, une société d’investissement spécialisée dans le crédit privé, qui a vu ses actifs sous gestion passer de 300 millions de dollars en 2016 à 5,6 milliards en 2023. Par ailleurs, il a joué un rôle clé dans la création de la Georgetown School of Public Policy, rattachée à son alma mater, grâce à un don de 100 millions de dollars en 2013, suivi d’un nouvel engagement de 100 millions de dollars en 2021.
Au cours de cette période, l’investisseur s’est montré de plus en plus préoccupé par la question de la propriété des données par les utilisateurs, après avoir constaté qu’une grande partie des informations nécessaires aux chercheurs de Georgetown n’était pas accessible. « Au sein de l’école, il existe un vaste institut consacré aux données », a-t-il expliqué. « Nous savions que l’accès à ces données serait extrêmement utile aux décideurs politiques. Mais nous avons rapidement réalisé que les données essentielles dont ils avaient besoin étaient inaccessibles, car contrôlées par de grandes entreprises technologiques. […] Les responsables à Washington ne comprenaient pas ce qui se passait avec les données technologiques et celles des citoyens, ou détournaient les yeux parce qu’ils recevaient des financements de ces grandes plateformes puissantes, riches et bien représentées par des lobbyistes et des défenseurs dans tous les secteurs. »
En 2021, Frank McCourt a lancé Project Liberty, une initiative axée sur la recherche, le plaidoyer politique et les investissements technologiques, avec pour objectif d’aider les individus à reprendre le contrôle de leurs données et de leurs identités numériques, selon son président et directeur général par intérim, Tomicah Tillemann.
Project Liberty comprend un volet recherche mené en collaboration avec des institutions prestigieuses telles que Sciences Po, Georgetown et Stanford, visant à financer des travaux sur la propriété des données et les réseaux sociaux. Sur le plan du plaidoyer, le projet organise divers événements, dont plusieurs autour du livre de Frank McCourt, Our Biggest Fight: Reclaiming Liberty, Humanity and Dignity in the Digital Age (Notre plus grand combat : retrouver la liberté, l’humanité et la dignité à l’ère numérique), coécrit avec Michael Casey de CoinDesk et publié en mars.
La branche technologique de Project Liberty s’est principalement consacrée au développement du Decentralized Social Networking Protocol (DSNP), un protocole de réseautage social décentralisé. Ce système open-source permettrait aux utilisateurs de conserver la propriété de leurs données tout en assurant leur interopérabilité entre différentes plateformes. Frank McCourt compare le fonctionnement du DSNP à celui des numéros de téléphone, qui peuvent être utilisés avec différents opérateurs tout en restant attachés à un utilisateur unique.
L’entrepreneur a également investi dans MeWe, une plateforme basée sur le web3 réunissant 20 millions d’utilisateurs, et a mené une levée de fonds de 27 millions de dollars en 2022.
La viabilité économique d’un protocole décentralisé reste incertaine. À ce jour, les recherches et solutions capables de rivaliser avec l’échelle des géants technologiques actuels demeurent limitées. Cependant, si Frank McCourt parvenait à transférer une partie des données des utilisateurs de TikTok vers le DSNP, cela représenterait un tournant majeur pour son initiative.
Le flou persiste également autour du financement : on ignore combien M. McCourt a personnellement investi dans le projet, comment les 500 millions de dollars promis seront utilisés, et si une partie de cette somme pourrait être allouée à l’acquisition de TikTok.
Ce qui est certain, c’est que Frank McCourt, principal mécène de l’initiative, qui aurait déjà distribué près de 100 millions de dollars à des organisations à but non lucratif selon ses dernières déclarations fiscales, voit ce projet comme son héritage pour les générations futures. « J’ai la chance d’avoir sept enfants », a-t-il déclaré en mars 2024, lors du lancement de son livre. « Et je vais vous dire : c’est pour eux que je me bats. »
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