Georges Ripert écrivait en 1950, « La société anonyme, ce merveilleux outil du capitalisme moderne ».
Le droit et les marchés financiers ont en effet été imaginés pour accompagner le déploiement du capitalisme dans le contexte de la révolution industrielle et post industrielle. Capitalisme qui s’était donné pour objectif de créer de la richesse financière – en aucun cas extra financière – en vue de la partager entre ceux qui courent le risque social, les actionnaires, et plus récemment les salariés.
Ce droit, profondément marqué par le concept d’infinité de la croissance, s’applique aujourd’hui à des entreprises qui doivent composer avec des limites fondamentales : en amont, le caractère limité des ressources ; en aval, l’externalité carbone.
D’un point de vue philosophique, le changement est majeur. En amont, la prise de conscience du caractère fini des matériaux nécessaires à la production bat en brèche la théorie classique du capitalisme qui impose que le système fonctionne sur l’agrégation exclusive du capital productif et financier d’une part, et du travail d’autre part. Malgré une période d’abondance des capitaux, des initiatives entrepreneuriales et de la main-d’œuvre, il est devenu impossible de croire en une production éternellement croissante de biens matériels, ou même éternellement constante.
En aval, l’intégration progressive du coût des émissions de CO2 (et équivalents) au système économique révèle le déséquilibre profond de sa construction, historiquement aveugle à sa principale externalité, l’évènement fondateur de la première révolution industrielle étant moins l’invention de la machine à vapeur que la découverte de l’utilité du charbon.
Les débats actuels sur l’instauration d’un marché européen du carbone et – plus important encore – du « juste » pricing de la tonne de CO2, emporteront des conséquences majeures sur les bilans comptables des entreprises et les taux d’actualisation des investisseurs (sur ce sujet, les travaux de Christian Gollier, économiste et directeur général de la Toulouse School of Economics, sont particulièrement éclairants).
L’entreprise verte n’est donc pas celle qui bénéficie d’un statut juridique d’exception ou d’une labellisation particulière. L’entreprise verte est, par essence, celle qui survivra à la transformation du monde « gris » en monde « vert », compris comme le monde ayant intégré à son fonctionnement ces deux limites physiques fondamentales.
Compte tenu de la brièveté des délais pour agir, cette transformation suppose un changement profond du paradigme économique des conseils d’administration et des dirigeants actuels. Ceci doit se concrétiser en premier lieu dans l’organisation du pouvoir au sein de l’entreprise, c’est-à-dire sa gouvernance, seule à même de donner une trajectoire l’entreprise.
La prise en compte du sujet climatique par les entreprises est fondamentalement une problématique stratégique qui doit être traitée comme telle.
Pour ce faire, il est indispensable qu’elle infuse l’ensemble des instances décisionnelles ainsi que les informations mises à la disposition des dirigeants afin de les mettre en capacité de prendre une décision éclairée.
La mise en silo du sujet climatique que constituerait sa prise en charge par les seuls comités ESG des conseils d’administration révèlerait une totale incompréhension de la nature et de l’ampleur du défi ainsi qu’un échec majeur de la gouvernance des entreprises.
Caroline Ruellan et Hugues de Saint Pierre
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