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Qu’est-ce que la Philanthropie Mondiale ?

Alexeï Antropov, fondateur de la Fondation Antropov

Au 21ème siècle, la philanthropie a rapidement évolué et elle continue de le faire. La philanthropie se restructure pour s’adapter à un nombre toujours plus important d’engagements privés dans la recherche de solutions à des problèmes du domaine public. Plus simplement, on peut dire que la « philanthropie », dont la  définition classique est celle d’ « initiatives privées pour le bien public »,  a maintenant progressé vers « des initiatives privées pour le bien public en tant que pratiques stratégiques à l’échelle mondiale ».  On a assisté, ces dernières années à une augmentation spectaculaire d’actions d’organisations non gouvernementales dans le domententeaine de la philanthropie. Les milliards de dollars qui se trouvent dans les fonds des fondations et des bailleurs de fonds représentent une ressource énorme qui pourrait être investie avec pour objectif un impact social. Parmi les grandes familles, les fondations et les entreprises, il y a de plus en plus de dirigeants qui comprennent que la philanthropie signifie beaucoup plus que le simple acte de signer un chèque ou cliquer sur « Don » en ligne.  Aujourd’hui la philanthropie est envisagée comme un investissement stratégique avec pour objectif  la transformation de la société ainsi que celle du donateur.

Les philanthropes deviennent plus pro-actifs. Les institutions philanthropiques (les fondations) sont de plus en plus calquées sur le système entrepreneurial, et les actions philanthropiques vont de la donation à des investissements liés à des missions. Afin d’avoir une idée plus précise de l’état actuel de la philanthropie, nous avons rencontré Alexeï Antropov, résident de Monaco et fondateur de la Fondation Antropov, qui est l’un des instigateurs/inspirateur du récent Sommet International de la Philanthropie (qui a fait l’objet d’un article récent dans Forbes) à Monte Carlo, où ont été passées en revue les différentes responsabilités sociales des personnes fortunées, celles que l’on appelle les « citoyens du monde »

 

Comment vous est venue l’idée d’organiser un Sommet International de la Philanthropie et quel en était le but ?

C’est arrivé petit à petit. Tout d’abord, mes partenaires et moi avions l’intention d’organiser une rencontre de ce genre pour les philanthropes russes. Pendant ce temps, certains de nos collègues étaient en train de mettre sur pied des évènements similaires à Londres et à Beijing (Pékin). Donc, les activités philanthropiques se faisant dans une entente cordiale, en étant en harmonie les unes avec les autres, nous avons décidé de collaborer et d’unir nos efforts. Dans notre monde globalisé, il est difficile d’améliorer quelque chose dans un seul pays du fait que notre monde est interconnecté. Avec les progrès des moyens de communication modernes notre planète devient en fait plus petite. C’est ainsi que nous avons conçu ce projet de sommet philanthropique pour les acteurs du monde entier afin de discuter de notre mission commune et afin, également,  d’élaborer des stratégies communes. J’espère que cela pourra aider les philanthropes à mener leurs projets de manière plus efficace.

 

Quelle est, de votre point de vue, la différence entre la charité et la philanthropie ?

C’est un sujet délicat. La philanthropie et la charité reposent  toutes deux  sur de bonnes intentions et c’est ce qui les réunit. Cependant, les conséquences sont différentes car ceux qui pratiquent la charité ne cherchent pas à connaître les motivations de ceux qui reçoivent les dons. La charité aide les personnes, mais celles-ci n’essayent pas de « se remettre sur pied ». Par contre, la philanthropie aide les gens à « se remettre sur pied », si bien que si un jour l’aide se tarit, ils survivront. C’est la raison pour laquelle la charité, dans son sens traditionnel, démotive les gens et a tendance à les précariser, ce qui représente un gaspillage de ressources financières et humaines. On peut donner un poisson à un homme ou bien on peut lui apprendre à pêcher. Cela est très différent. Les sages le savaient très bien, il y a déjà longtemps.

 

Quelle est la mission principale de la philanthropie ?

Lorsque les gens pensent à la philanthropie, il ont tendance à imaginer que ce sont des donations financières. De mon point de vue,  la philanthropie doit se consacrer à encourager « systématiquement » les êtres humains à cultiver les valeurs humaines suprêmes, et à restreindre les impulsions primaires. La mission principale de la philanthropie est d’avoir un impact social, de faire en sorte que les gens pensent, parlent, agissent et, disons, qu’ils se comportent bien.

 

Comment en êtes-vous venu à cet état d’esprit ?

Il y a longtemps, j’ai croisé le chemin d’un célèbre philosophe chilien, Dario Salas Sommer. Les enseignements que j’ai trouvé dans ses livres ont totalement changé ma vie en lui donnant du sens et de la joie.

 

Il s’agit bien du livre intitulé  » La Morale du XXIème siècle », n’est-ce pas ?

Oui, c’est son œuvre la plus connue.

Ce livre a été présenté en 2015 a la Conférence de Nations Unies sur la changement climatique (COP21) a Paris ​ainsi qu’à l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York en 2016. Ces événements ont attiré l’attention d’un large public. En avez-vous été partie prenante ? 

Oui, mes collègues et moi-même avons eu la chance d’apporter notre aide à l’organisation de ces évènements.

 

Les fortunes privées devraient-elles colmater les brèches du secteur public, résoudre les problèmes sociaux ? Ou est-ce toujours le privilège des gouvernements ?

C’est une responsabilité commune concernant l’état de la situation sur Terre. Ceux à qui on donne plus de droits ont l’obligation d’être plus responsables. Les philanthropes sont des personnes qui ont davantage de ressources que ce dont elles ont besoin pour vivre, et qui sont suffisamment généreuses pour partager leurs ressources et leur expérience avec des personnes vulnérables qui ont besoin d’aide et cherchent à devenir auto-suffisantes. L’ensemble de la philanthropie privée n’a de loin pas les ressources des Etats et ne peut remplacer les fonctions vitales du secteur public. Mais les membres de fondations privées ont augmenté leur capacité de donation de manière significative et je crois fermement  que l’avenir réside dans un partenariat entre la philanthropie et les Etats. Selon les statistiques, en moyenne, les récipiendaires de programmes d’aide privée reçoivent 80% de chaque dollar perçu alors que dans les programmes publics, les récipiendaires n’en reçoivent que 30 %. Par conséquent, les aides privées sont trois fois plus efficaces que les programmes gouvernementaux dans l’attribution des fonds. Les Etats devraient adopter et appliquer cette expérience, et les philanthropes sont prêts à la partager.

 

Malgré l’augmentation du nombre de sponsors privés, comme vous l’avez dit, l’inégalité augmente rapidement dans le monde. Nous nous trouvons au seuil d’un monde où des milliardaires vont émerger, mais en même temps, des milliards de gens n’ont pas de quoi vivre. Que pensez-vous de cela ?

Il faut prendre les choses telles qu’elles sont, et laisser faire car c’est ainsi que cela a toujours fonctionné. Les gens fortunés devraient réfléchir à la manière de garantir un niveau de vie correct pour tout le monde, mais cet idéal socialiste selon lequel tous devraient être totalement égaux, je ne pense pas que ça marche, ce n’est qu’une illusion.

Des milliards de milliards de dollars sont dépensés dans le monde pour trouver des solutions aux défis sociaux et environnementaux mais en fait, très peu de ces défis ont été relevés. Pourquoi ?

Une des grandes erreurs des philanthropes consiste à attendre que plus de dons donnent plus de résultats. En fait, les contributions purement financières ne sont pas bénéfiques car donner de plus en plus d’argent revient à essayer de remplir un puits sans fond.

La philanthropie est souvent utilisée pour ce que l’on appelle le « greenwashing », l’écoblanchiment – une astuce de marketing qui permet de donner une bonne image à des compagnies et des personnes dont l’éthique est contestable – plutôt que pour faire quelque chose de bien pour le monde. Peter Buffet, musicien de 58 ans et fils du milliardaire Warren Buffet, est connu pour ses critiques virulentes de la philanthropie moderne. Voici ce qu’il a écrit : « Chaque fois ou presque que quelqu’un se sent mieux en faisant le bien, à l’autre bout du monde, quelqu’un d’autre se retrouve piégé dans le système (d’inégalité) qui ne lui permettra pas de s’épanouir ».

Le monde est plein d’hypocrisie, mais il y a aussi des personnes dont les intentions sont sincères et qui ne cherchent pas à faire connaître leurs activités philanthropiques. Je connais de nombreuses personnes de ce genre  en Russie. Dans mon pays d’origine, par exemple, les théâtres Mariinsky et  Bolchoï sont le résultat concret d’actions philanthropiques, ils sont fréquentés par des millions de personnes. Ces institutions, qui sont de véritables icônes, ont en partie été fondées par l’engagement philanthropique de la famille impériale de Russie. Dans la Russie tsariste, toutes les institutions portant le titre « Impérial » ont été sponsorisées par la famille royale et non par le budget de l’Etat. Le dernier tsar, Nicolas II, qui possédait une fortune s’élevant à 300 milliards, en dollars actuels, a consacré la plus grande partie de sa fortune personnelle à la philanthropie. Sa fortune équivalait aux fortunes réunies des 5 premiers leaders de la liste Forbes, mais sa vie quotidienne était modeste, et il a sponsorisé des dizaines d’universités, de lycées, de théâtres et d’hôpitaux. Pendant la première guerre mondiale, les 1500 pièces du Palais d’hiver ont été transformées en un hôpital public dès 1915, les grandes salles luxueuses ont été recouvertes de planches de bois et les murs couverts de tissus blanc. Elles ont accueilli des dizaines de soldats blessés. Cela signifie que l’altruisme et la philanthropie ont toujours été présents et le seront toujours dans le cœur des personnes généreuses et qui ont réussi dans la vie.

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