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Quelques Leçons Sur La Chute De Carlos Ghosn

Carlos Ghosn

Il aura fallu peu de temps pour que la nouvelle de l’arrestation par la justice nippone de Carlos Ghosn pour abus de biens sociaux, fraude fiscale et malversations financières envahisse les réseaux sociaux et les supports médiatiques, illustrant ainsi la nature planétaire de nos économies.

Sans aucune autre forme de procès, voilà donc le sort du patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors apparemment scellé, au mépris des droits de la défense. 

Cet épisode illustre une nouvelle fois la dangereuse prééminence de la vérité médiatique aux dépens d’une vérité juridique et fiscale, nécessairement plus complexe et donc plus lente.  

Il est vrai que cette nouvelle a saisi le monde des affaires et plus encore, l’alliance Renault-Nissan que dirige le patron depuis 1999. Dans la foulée de cette annonce, le titre Renault devait céder le 19 novembre, jour de l’annonce, jusqu’à 10% à la Bourse de Paris, le titre Nissan, 6% à la Bourse de Tokyo.

En octobre dernier, le groupe Tesla faisait face à la démission de son fondateur et patron emblématique, Elon Musk. La Securities and Exchange Commission (SEC) ayant porté plainte pour fraude contre le fondateur du fabricant de voitures électriques, ce dernier acceptait de quitter la présidence du conseil d’administration pour une durée de trois ans.

Dans les deux cas, Tesla et l’Alliance voient leur sort intimement lié à celui d’un leader charismatique, dont les talents exceptionnels ont permis le succès tout aussi exceptionnel du groupe qu’il incarne.

Ces groupes font ainsi l’expérience douloureuse d’une trop grande connivence entre leur destin et leur image, et ceux de leur patron.

Car tant Tesla que le groupe Renault-Nissan-Mitsubishi Motors subissent une double fragilisation.

D’une part, ils doivent faire face à la perte momentanée, voire définitive, de leur patron emblématique, ce qui stricto sensu décrit une situation de crise par excellence, crise qu’il revient au conseil d’administration de gérer au mieux de l’intérêt social. Le conseil d’administration de Nissan a ainsi fait savoir qu’il se réunirait dès jeudi pour démettre Carlos Ghosn de ses fonctions de président du conseil d’administration tandis que Renault a nommé hier Thierry Bolloré à la direction exécutive. D’autre part, et les deux conséquences sont intimement liées, ces entreprises enregistrent une baisse brutale de leurs cours de bourse, conséquence de la perte de confiance des marchés.

Pour peu que l’entreprise soit sous les foudres de ventes à découvert croisées en provenance de fonds spéculatifs, comme ce fut le cas de Tesla dans le contexte de sa démission négociée avec la SEC, la destruction de valeur peut se révéler redoutable.

Or, dans les deux cas, ni le projet ni les perspectives industrielles ni les résultats n’ont été mis en cause ou révisés. La perte de valeur est la conséquence unique, directe et immédiate des attaques portées au dirigeant. En associant fortement l’entreprise à son dirigeant, ce qui peut se révéler vertueux – personne n’oserait en effet nier la réussite sans précédent de ces deux patrons hors norme -, le marché corrobore une règle majeure selon laquelle toute atteinte de réputation violente portée au dirigeant a vocation à atteindre l’entreprise qu’il dirige.

Sans porter de jugement sur le fond, deux leçons peuvent d’ores et déjà être tirées de ces situations dont on peut craindre qu’elles se reproduisent. 

D’une part, qu’il s’agisse d’Elon Musk ou de Carlos Ghosn, ces crises sont le révélateur d’une faillite grave des gouvernances, notamment en ce que celles-ci n’ont pas su instituer des contre-pouvoirs efficaces, fiables et pérennes.

C’est sans aucun doute le cas de Tesla dont la gouvernance fait l’objet depuis plusieurs mois de nombreuses contestations, notamment de la part des actionnaires minoritaires du constructeur de voitures électriques, s’interrogeant sur l’indépendance de certains membres du conseil d’administration, dont celle du frère d’Elon Musk. Trahissant un déficit de gouvernance, le règlement amiable intervenu entre la SEC, Tesla et son patron a ainsi contraint le groupe à nommer deux administrateurs indépendants supplémentaires.

D’autre part, ces épisodes permettent de revenir sur les notions de leader et de leadership. 

Depuis quelques années, le leader tend à remplacer le dirigeant.

Plus incarné, portant et défendant une vision de l’entreprise qu’il dirige et parfois même qu’il a fondée, le leader est considéré comme indissociable du succès de l’entreprise.

Cette conception a été largement illustrée et favorisée par l’émergence d’une nouvelle génération de fondateurs, conjuguant nouvelles technologies et qualités visionnaires, comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg ou encore Jeff Bezos. 

Or, dans cette conception du pouvoir et de son exercice, le leadership scelle souvent de façon intime et profonde le destin de l’homme ou de la femme à celui de l’entreprise, selon un principe de porosité parfois dangereuse.

La mise en accusation de Carlos Ghosn illustre cette porosité extrême, son arrestation entraînant dans la tourmente non seulement la triple alliance automobile franco-japonaise mais également, dans son sillage, le reste du secteur, notamment Peugeot, Valéo et Faurencia en France.

Si l’on ne peut que se féliciter de cette prise de pouvoir du leadership, parce qu’il permet d’injecter du sens et une énergie vive dans le projet entrepreneurial, la responsabilité du leader passe aussi par la préparation de sa propre succession.

Il appartient au leader de prévoir et préciser ce que sera l’entreprise en dehors de lui, de façon vivante et non mortifère.

Certains y ont réussi, comme Steve Jobs ou Christophe de Margerie, Apple et Total ayant surmonté la disparition de ces patrons providentiels et indispensables. Dans le cas de Carlos Ghosn, aucun plan de succession n’ayant été ébauché, la transition sur toile de fond de débats entre gouvernements japonais et français risque de se révéler difficultueuse.

Le leadership se gagne et se mérite. Pour prospérer et garantir la pérennité de l’entreprise, il est de la responsabilité du leader de veiller à ce que l’entreprise lui survive, en toutes circonstances, même les plus improbables, comme le démontre la mise à l’écart brutale et inattendue de Carlos Ghosn.

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