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Pourquoi nous, DRH de grandes entreprises, nous intéressons aux transformations du travail indépendant

Par Mathilde Le Coz (DRH de Mazars France), Marc Bochirol Senior VP Human Ressources Energy Management Business Schneider Electric et Reda Mahfoud (DG de Malt France)

 

Pour garantir l’accès aux compétences clés, les missions des directions des ressources humaines ont longtemps consisté à recruter et fidéliser les talents. Autrement dit, leur proposer des CDI et travailler à leur engagement sous ce statut le plus longtemps possible. Cette mission, toujours aussi importante, a néanmoins considérablement évolué au cours des dernières années. Dans un contexte de pénurie des talents et d’accélération des transformations dans les organisations – nécessitant agilité et rapidité d’exécution – les DRH se trouvent investis d’une mission désormais plus large : trouver les meilleurs talents pour des projets complexes ou des problématiques ponctuelles, qu’ils soient internes ou externes. C’est une réalité largement partagée, décrite par exemple par le MIT Sloan Management Review, “9 entreprises sur 10 considèrent aujourd’hui les travailleurs externes comme faisant partie des ressources humaines de leur organisation”.

Mathilde Le Coz, DRH de Mazars France

Reda Mahfoud, DG de Malt France

Marc Bochirol Senior VP Human Ressources Energy Management Business Schneider Electric

 

Pour les DRH aussi bien que pour les employés permanents, il ne s’agit en rien d’une fatalité. Au contraire, c’est même une formidable opportunité de définir la place de ces travailleurs dans nos organisations, et de réfléchir à leurs contributions : en quoi doivent-elles être différentes de celles de nos employés permanents ? En quoi sont-elles complémentaires ?

La gestion des indépendants a longtemps été réservée à la direction des achats. Le freelance était considéré comme un prestataire extérieur répondant à un cahier des charges précis afin de pouvoir lancer un appel d’offre et opérer le meilleur choix de rapport qualité/prix. Désormais, c’est de plus en plus à la direction des Ressources Humaines que la gestion des indépendants revient, preuve qu’il ne s’agit plus tant de rechercher un fournisseur qu’un collaborateur d’un nouveau genre.

 

Il s’agit d’abord de s’adapter aux tendances structurelles à l’œuvre sur le marché de l’emploi. Les principales motivations pour devenir freelance sont en effet la volonté d’indépendance, le besoin de flexibilité dans le choix de l’emploi du temps et du lieu de travail, et enfin la liberté de choisir les missions les plus intéressantes (1).

Ce dernier point doit nous interpeler : la notion de « mission » revêt une importance croissante, et pas seulement chez les indépendants. Chez nos salariés aussi, qui recherchent de plus en plus un sens à leur travail. Cela nous oblige, nous DRH, à revoir notre conception des rôles en entreprise pour être capables de penser le travail comme une succession de missions, plus ou moins longues, plus ou moins compliquées, et de nous demander constamment si nous avons accès aux compétences nécessaires pour les remplir, et comment. Du point de vue des indépendants, ces missions sont autant de défis à relever que l’occasion de multiplier les expériences pour améliorer leurs propres compétences et s’enrichir professionnellement.

 

Autre tendance : le besoin de technicité. Conduire un projet dans une entreprise a toujours demandé des compétences multiples, dans des domaines très variés, et avec un degré d’expertise accru. Aujourd’hui, nous sommes cependant confrontés à un raccourcissement du « temps de vie » des compétences, ce temps avant qu’elles ne deviennent obsolètes. Nos politiques de formations internes sont une des réponses à apporter, mais nous avons également beaucoup à apprendre de l’apprentissage continu auquel les freelances s’astreignent. En effet, les freelances ont en moyenne derrière eux 9 années d’expérience en tant qu’employés à temps plein, mais cela ne les empêche pas de passer en moyenne une demi-journée par semaine à se former1. Leur enjeu est de rester à la pointe de l’innovation pour maximiser leur apport de valeur à leurs clients actuels et futurs. Pour les grandes entreprises que nous représentons, c’est une excellente opportunité qui peut venir en renfort quand certains de nos projets internes nécessitent un apport additionnel de technicité. Par exemple, si une équipe projet veut construire une nouvelle interface pour un produit existant – elle peut se tourner vers le vivier de talents Malt et faire appel à des ingénieurs Software Frontend, qui viendront renforcer l’équipe permanente pour le temps que durera ce développement.

 

Ce recours aux indépendants ne signifie pas que nous devons délaisser notre tâche traditionnelle, à savoir recruter et conserver les meilleurs talents. D’ailleurs, il arrive que des freelances nous rejoignent définitivement après des missions chez nous, une fois qu’ils ont découvert et mieux appréhendé les valeurs de nos entreprises. Mais il nous faut désormais avancer sur deux jambes. Considérer qu’une entreprise est faite d’investissements à long terme et d’étapes de moyen terme, des points de passage obligés qui nécessitent le recours à des capacités spécifiques. D’où l’importance du rôle d’accompagnement que les DRH peuvent mener en interne, auprès de managers et collaborateurs peu habitués à travailler avec des talents externes.

 

Il nous faut maintenant construire l’articulation de ces approches complémentaires, en nous emparant du sujet délibérément pour avancer de manière structurée : expérimenter, démontrer, et traiter ce levier stratégique avec sérieux.

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(1) Etude “Freelancing Europe 2022”, Malt&BCG

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