Dans une liste de propositions, le gouvernement américain souhaite que Google vende ses participations dans les entreprises d’IA qui sont en concurrence avec les moteurs de recherche. Par ailleurs, le géant d’internet ne pourrait plus conclure de nouveaux accords et partenariats dans ce domaine.
Article de Richard Nieva pour Forbes US
La semaine dernière, le département d’État américain de la Justice a présenté des propositions radicales dans le cadre de l’affaire Google pour pratiques anticoncurrentielles. Dans cette affaire, un juge fédéral a statué au début de l’année que l’entreprise détenait un monopole illégal sur le marché des moteurs de recherche en ligne. Parmi les demandes les plus importantes, le département d’État demande au géant d’internet de vendre son populaire navigateur Chrome et interdit à l’entreprise de conclure des contrats de distribution de plusieurs milliards de dollars (comme celui que Google a conclu avec Apple) ou encore d’exiger des fabricants de téléphones Android qu’ils intègrent des applications Google sur leurs appareils.
L’avenir de Google en matière d’IA remis en question
Cependant, au-delà de ces exigences qui font la une des journaux, le gouvernement américain a également inclus des dispositions qui pourraient entraver l’avenir de Google dans la course à la concurrence pour contrôler l’avenir de l’IA. Le département d’État à la Justice a proposé que Google vende toute participation dans des entreprises d’IA disposant d’une technologie susceptible de concurrencer la recherche, et que l’entreprise cède cette participation dans les six mois suivant un jugement définitif du tribunal. Le département d’État a également recommandé d’interdire toute nouvelle acquisition et coentreprise ou tout partenariat avec des sociétés d’IA concurrentes dans le domaine de la recherche.
Si le juge donne son accord, cela pourrait obliger Google à vendre son investissement dans Anthropic, l’entreprise fondée par d’anciens membres d’OpenAI en 2021 et qui pourrait être évaluée à 40 milliards de dollars. L’année dernière, Google a déclaré investir deux milliards de dollars dans Anthropic, à la suite d’un accord de quatre milliards de dollars qu’Amazon avait annoncé avec la société quelques mois auparavant. La semaine dernière, les autorités de régulation britanniques ont autorisé Google à investir dans Anthropic, déclarant qu’elles ne mèneraient pas d’enquête approfondie sur l’opération après une première investigation.
Anthropic est le fabricant de Claude, un modèle de langage qui peut générer des réponses à des questions, similaire au modèle Gemini de Google, qui a été intégré au moteur de recherche de Google au début de cette année. Bien que la start-up ne présente pas Claude comme un produit de recherche, ce type de chatbots est largement considéré comme une menace pour le moteur de recherche de Google. D’autres start-up, comme Perplexity, soutenue par Nvidia et Jeff Bezos, sont plus directes dans leur volonté de concurrencer Google. « C’est un bon jour pour adopter Perplexity », a déclaré à Forbes un éminent investisseur dans le domaine de l’IA. Il convient également de noter que la proposition du département d’État à la Justice retirerait Perplexity de la liste des cibles potentielles d’acquisition de Google.
Le département d’État propose également que Google donne à tous les éditeurs et créateurs de contenu, y compris ceux de YouTube, propriété de Google, un moyen simple de refuser que leur contenu soit utilisé pour entraîner ou régler les modèles d’IA de Google ou d’autres produits d’IA, et que l’entreprise s’engage à ne pas exercer de représailles à l’encontre de ceux qui choisissent de le faire.
« Les grandes entreprises tentent de prendre le contrôle de la nouvelle technologie et de se protéger contre les perturbations. »
John Kwoka, professeur d’économie et de droit de la concurrence à la Northeastern University
Le gouvernement américain tente d’éviter un monopole sur l’IA
Alors que l’IA continue à envahir le monde de la technologie, le gouvernement américain tente de s’assurer qu’une nouvelle technologie émergente et puissante n’est pas injustement dominée par les géants en place, a déclaré John Kwoka, professeur d’économie et de droit de la concurrence à la Northeastern University.
« Les grandes entreprises tentent de prendre le contrôle de la nouvelle technologie et de se protéger contre les perturbations », a-t-il déclaré à Forbes. « Cela fait partie d’une solution tournée vers l’avenir. »
Cependant, il s’agit également d’une démarche inattendue, car l’IA n’était pas un sujet majeur dans l’affaire opposant Google au département d’État. « Cela semble aller tellement loin que je ne peux pas le prendre au sérieux », a déclaré George Hay, professeur de droit de la concurrence à la Cornell Law School.
Google a refusé de commenter l’information. Un billet de blog publié jeudi dernier par Kent Walker, directeur juridique de Google, qualifie les propositions du département d’État à la Justice de « proposition extrême » qui « freinerait notre investissement dans l’IA, peut-être l’innovation la plus importante de notre époque, dans laquelle Google joue un rôle de premier plan ».
Bien que la proposition du département d’État concerne spécifiquement les investissements dans l’IA qui stimuleraient le géant d’internet dans le domaine de la recherche, le géant de la technologie a investi dans d’autres entreprises d’IA qui se concentrent sur des cas d’utilisation plus larges. Selon PitchBook, Google détient une participation dans Runway, qui développe l’IA pour générer des vidéos, et dans Tools For Humanity, la société créée par Sam Altman, cofondateur d’OpenAI, qui gère la cryptomonnaie Worldcoin et fabrique des outils d’authentification de l’IA.
Anthropic n’a pas souhaité commenter l’information. Runway et Tools For Humanity n’ont pas répondu immédiatement aux demandes de commentaires de Forbes. Google n’a pas répondu aux questions concernant ces investissements.
On ignore également si les propositions de désinvestissement s’appliqueraient aux deux sociétés de capital-risque d’Alphabet, la société mère de Google, à savoir GV et CapitalG, étant donné que l’affaire du département d’État à la Justice se concentre sur Google et non sur les autres filiales de la société mère. GV a renvoyé les questions à Google, qui s’est refusé à tout commentaire. CapitalG n’a pas répondu à une demande de commentaire.
Le litige opposant Google au département d’État américain
L’affaire du monopole de Google a été jugée l’année dernière et porte sur le moteur de recherche du géant d’internet, l’élément vital de l’activité tentaculaire de publicité numérique de l’entreprise, qui génère la majeure partie des 307,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuels de la société mère Alphabet. Au cours de la procédure, le gouvernement fédéral a fait valoir que Google avait utilisé plusieurs tactiques illégales pour établir et maintenir un monopole sur la recherche en ligne, comme la conclusion d’un accord avec Apple, d’une valeur de plusieurs dizaines de milliards de dollars, qui faisait de Google le moteur de recherche par défaut des iPhone et d’autres produits Apple. Google a déclaré que sa position dominante était due à la qualité de ses produits, arguant que l’entreprise offrait aux consommateurs la possibilité de modifier facilement leur moteur de recherche par défaut. Au début de l’année, le juge Amit Mehta a rendu une décision défavorable à Google, ce qui a déclenché un deuxième procès, qui devrait débuter en avril, afin de déterminer les mesures correctives possibles. La décision du juge Mehta est attendue pour le mois d’août prochain.
William Kovocic, ancien président de la Federal Trade Commission et aujourd’hui professeur de droit à l’université George Washington, estime que Google va probablement faire valoir que les restrictions en matière d’IA paralyseraient l’entreprise, laissant une ouverture technologique à la Chine.
Google, un leader dans le domaine de l’IA
Google est un leader dans le domaine de l’IA depuis des années, avec le lancement de son laboratoire Google Brain en 2011 et le rachat du célèbre laboratoire d’IA DeepMind en 2014. Trois ans plus tard, l’entreprise a donné le coup d’envoi de la vague actuelle d’IA générative lorsque les chercheurs de Google Brain ont inventé les transformateurs, l’architecture d’IA sur laquelle reposent Gemini et ChatGPT. Cependant, malgré son avance, Google a été pris de court lorsque OpenAI a lancé ChatGPT il y a deux ans, devançant Google sur le marché avec une technologie que l’entreprise avait inventée et déclenchant une frénésie mondiale autour de l’IA.
OpenAI a en partie pu compter sur son accord de 13 milliards de dollars avec Microsoft, qui a apporté son soutien et sa puissance de calcul à la start-up. Le partenariat a également revitalisé une entreprise Microsoft qui s’essoufflait, ce qui a permis au PDG Satya Nadella de se vanter que son entreprise avait fait « valser » Google lorsque Microsoft a intégré ChatGPT dans son moteur de recherche Bing. Les propositions du département d’État à la Justice en matière d’IA interdiraient au géant d’internet de conclure des partenariats similaires.
Toutefois, compte tenu de l’ampleur des travaux de Google dans ce domaine, il est peu probable que les propositions relatives à l’IA freinent l’entreprise de manière significative, a déclaré Bob O’Donnell, fondateur du cabinet de recherche Technalysis. Contrairement à Google, Microsoft a eu besoin de l’accord OpenAI parce que l’entreprise ne disposait pas des compétences internes en matière d’IA. « Même s’ils ont les mains liées et qu’on les empêche d’aller de l’avant, ils font de l’IA depuis plus longtemps que n’importe qui d’autre », a-t-il déclaré. « Je pense qu’ils s’en sortiront quand même. »
Reportage complémentaire d’Alex Konrad
Une traduction de Flora Lucas
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