Des crises d’origines diverses ont récemment mis en lumière la vulnérabilité des chaines de valeur internationales (CVI), c’est-à-dire des processus de production dispersés géographiquement et couvrant plusieurs pays.
Le Brexit, la crise du Covid puis la guerre d’agression Russe en Ukraine ont confronté industriels et consommateurs à des ruptures d’approvisionnement qui n’étaient pas anticipées
Améliorer la robustesse des chaines de valeur
Les États et les entreprises ont pleinement intégré cette hausse du niveau de risque en reconsidérant l’arbitrage entre efficacité et robustesse des chaines de valeur. Du côté des États, la manifestation la plus évidente de ce rééquilibrage est le retour en force des politiques industrielles dans un contexte d’extension des secteurs stratégiques bien au-delà de l’acception que recouvrait cette notion avant la pandémie.
Les entreprises s’adaptent pour leur part en déployant différentes stratégies. Premièrement en accroissant le niveau de leurs stocks. Un sondage conduit par McKinsey suggère que la stratégie a été poursuivie par 80 % des dirigeants interrogés entre mai 2021 et avril 2022, contre 60 % un an auparavant. Deuxièmement, en diversifiant leurs fournisseurs (80 % contre 55 %). Les autres stratégies, notamment la régionalisation des chaines d’approvisionnement, étaient mentionnées par un peu plus de 40 % des dirigeants, là aussi en hausse de plus de 20 points sur un an.
Deux autres études récentes conduites d’une part par la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement d’autre part par l’institut de recherche allemand Ifo corroborent ces conclusions et témoignent de l’évolution du comportement des entreprises . En effet, plus des trois quarts des entreprises sondées affirmaient avoir pris des mesures pour renforcer la robustesse de leur chaine d’approvisionnement, et avoir eu recours, en premier lieu, à la hausse des stocks, puis à la diversification des fournisseurs. Pour une minorité d’entre elles, elles ont également procédé au remplacement de fournisseurs étrangers par des fournisseurs domestiques.
Efficacité et opportunité de la hausse des stocks
L’efficacité de l’accroissement des stocks pour se prémunir contre les perturbations des chaines de valeur internationales a été documentée par une étude récente publiée par le FMI qui a utilisé l’expérience du premier confinement en Chine en 2020 pour montrer que les entreprises ayant davantage de stocks ont été moins affectées par le choc. Cette recherche montre que les entreprises caractérisées par une meilleure diversification géographique de leur approvisionnement n’ont pas mieux résisté, interrogeant le caractère substituable des différents fournisseurs dans les chaines de valeur complexes.
Remédier aux vulnérabilités des chaines de valeurs par un rehaussement du niveau des stocks s’est par ailleurs trouvé fortement encouragé par la situation macro-économique pendant la crise Covid. Les conditions d’accès au financement et le niveau des taux d’intérêt historiquement bas en 2021 et au début de l’année 2022 ont considérablement réduit les coûts financiers de la hausse des stocks et son corollaire, l’accroissement des besoins de financement du fonds de roulement. Par ailleurs, les pressions inflationnistes observées dès le deuxième trimestre 2021 ont accru l’intérêt d’une hausse des stocks car les entreprises pouvaient tenter de minorer le coût de certains intrants en anticipant leur acquisition. La hausse de l’indice des prix de production pouvant à certains égards être lu comme une indication du rendement de l’investissement dans les stocks.
La conjonction de la hausse de la consommation de biens, d’une part, d’une conjoncture macro-économique porteuse, d’autre part, et enfin de la prise de conscience de la fragilité de certaines chaines de valeur internationales ont très significativement accru le niveau optimal des stocks. Cette hausse a par ailleurs contribué à accroitre la pression sur les chaines d’approvisionnement (l’indice de tension sur les chaines d’approvisionnement construit par la Fed de New-York a atteint son plus haut historique en décembre 2021, 4,3 écart-types au-dessus de sa moyenne de long terme), renforçant d’autant le besoin de stocks et engendrant une forme de spirale alimentant les comportements de stockage. À titre d’exemple, les stocks observés dans le commerce de détail s’établissaient, en termes réels, 17 % au-dessus de leur niveau pré pandémie à fin novembre 2022 aux États-Unis.
L’accroissement des stocks a un coût qui a récemment cru
La tendance d’accumulation de stocks montre cependant des signes d’affaiblissement voire d’inflexion. Cette tendance est imputable aux anticipations d’une baisse du dynamisme de la consommation dans la plupart des pays développés mais également à la hausse des taux d’intérêt qui, couplée au ralentissement de l’inflation, renchérit le coût de la stratégie d’accroissement des stocks.
La valeur des stocks représentait 13 % des actifs non-financiers et 1/3 de la masse salariale annuelle des entreprises américaines en 2021. Une hausse du coût de financement de court terme de 4,5 points, semblable à celle observée sur le marché des titres de la dette d’entreprises en 2022 aux Etats-Unis, correspond à une hausse du coût de financement des stocks équivalente à 1,5 % de la masse salariale.
Cet exercice de quantification masque d’importantes disparités sectorielles suggérant que la remise en cause du « just in time » pour le « just in case » pèsera de manière notable sur le coût de certaines entreprises. Il existe bel et bien un arbitrage entre robustesse et coût en matière de chaine de valeur internationales et la hausse du niveau des stocks, pas plus de la diversification des fournisseurs ou la relocalisation, n’échappe à cette logique.
Simon Ray, Economiste, membre du Think Tank BSI Economics
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