Depuis son retour sur la scène politique, Donald Trump a multiplié les mesures protectionnistes, poussant l’Europe à accélérer sa quête d’autonomie économique et stratégique.
Après le Mexique, le Canada et la Chine, l’Europe n’a pas échappé aux hausses de droits de douane imposées par Trump. Le 10 février dernier, il a signé un décret instaurant des taxes de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium, affectant près de 26 milliards d’euros de marchandises exportées par l’UE.
En réponse, la présidente de la Commission européenne a annoncé dès le 1er avril une série de contre-mesures, relevant les tarifs douaniers sur des produits américains emblématiques comme le bourbon, les motos Harley-Davidson et les bateaux. Cette escalade protectionniste inquiète Ursula von der Leyen, qui redoute des perturbations des chaînes d’approvisionnement et une flambée des prix.
Et pour cause, Donald Trump ne semble pas prêt de lâcher du lest et menace d’imposer une taxe de 200 % sur les importations européennes de produits tels que le vin et le cognac, ce qui pourrait intensifier la guerre commerciale mondiale.
Une économie américaine sous pression
De l’autre côté de l’Atlantique, cette incertitude commence à peser sur la confiance des consommateurs. L’indice du Conference Board a chuté en février à 98,3 points, un niveau qui, selon l’OCDE, traduit un climat de pessimisme économique incitant les ménages à freiner leurs dépenses et à privilégier l’épargne – un coup dur pour la croissance américaine.
Une population américaine de plus en plus inquiète
Selon une enquête récente menée par Reuters/Ipsos, 57 % des Américains estiment que Trump est “trop erratique” dans l’application de ses tarifs douaniers, et 70 % s’attendent à une hausse des prix des biens de consommation comme conséquence directe. Ces résultats montrent l’inquiétude croissante au sein de la population américaine face aux décisions commerciales de leur président.
Les marchés financiers ne sont pas en reste : la Bourse de New York a subi une forte correction le 10 mars, avec une baisse de 2,08 % pour le Dow Jones, 4 % pour le Nasdaq (notamment à cause de la chute de Tesla, -15 %) et 2,70 % pour le S&P 500. Les investisseurs, adoptant une posture attentiste, suspendent leurs décisions d’investissement.
Les entreprises américaines, elles aussi, subissent les conséquences des tarifs douaniers. L’augmentation des coûts de production les contraint à un dilemme : absorber ces surcoûts et rogner leurs marges ou les répercuter sur les consommateurs au risque de fragiliser la demande.
Le secteur automobile illustre bien ces tensions. Déjà sous pression, les constructeurs américains redoutent que les taxes sur les importations européennes ne viennent aggraver leur situation. Tesla a même adressé une lettre à l’administration Trump le 11 mars, alertant sur l’impact potentiel de ces mesures, qui pourraient renchérir le coût des composants importés et compromettre l’emploi manufacturier aux États-Unis.
Un retournement en faveur de l’Europe ?
Si ces mesures protectionnistes étaient censées renforcer l’économie américaine, elles risquent au contraire de la pénaliser. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, les qualifie même de “tragédie pour l’économie américaine”, notant que l’incertitude commerciale atteint un niveau record et alimente le spectre d’une récession prolongée.
Parallèlement, la récente révision à la baisse des prévisions de croissance mondiale par l’OCDE, due en grande partie au protectionnisme américain, met en lumière l’impact global de ces politiques sur l’économie mondiale. Cette situation pourrait effectivement favoriser l’Europe, dont l’économie semble plus stable en comparaison. L’euro progresse au-dessus de 1,09 dollar, atteignant son plus haut niveau en plusieurs mois, ce qui augmente l’attractivité des obligations européennes et renforce la confiance des investisseurs. En période de turbulences, l’Europe devient une alternative plus stable aux marchés américains. La mutualisation de la dette par les États membres de l’UE renforce également l’euro, soutenant davantage l’intégration économique européenne.
Cette dynamique incite l’UE à revoir ses dogmes budgétaires. Friedrich Merz, en passe de devenir chancelier en Allemagne, prépare un plan d’investissement massif qui pourrait marquer une rupture avec l’austérité budgétaire traditionnelle. Son “bazooka budgétaire” enverrait un signal fort à ses partenaires européens, les incitant à investir davantage.
Comme le soulignait l’économiste Nicolas Goetzmann aux Echos la semaine passée :
« Le revirement allemand apparaît comme une occasion pour l’Europe de reprendre une trajectoire macroéconomique ascendante, notamment vis-à-vis des États-Unis, mais également de la Chine ».
La défense, sujet fédérateur pour les “États-Unis d’Europe”
Les turbulences provoquées par Donald Trump ne se limitent pas au commerce. Son approche isolationniste en matière de défense, notamment ses menaces de désengagement de l’OTAN, pousse l’Europe à renforcer son autonomie stratégique. Le 6 mars dernier, un sommet extraordinaire a permis aux 27 États membres de valider un plan de 150 milliards d’euros pour renforcer l’industrie de défense européenne. L’objectif : réduire la dépendance militaire envers les États-Unis, notamment dans des secteurs critiques comme la défense aérienne, la cybersécurité et la production de munitions. Dans cette dynamique, l’UE explore également l’émission d’une dette commune pour financer ces investissements stratégiques, marquant un pas supplémentaire vers une intégration budgétaire et militaire plus poussée.
Un “keynésianisme militaire” en Europe ?
Ce basculement budgétaire s’accompagne d’une évolution de la position allemande sur la dette. Longtemps opposée à toute mutualisation, Berlin revoit progressivement sa doctrine. Friedrich Merz propose ainsi d’exempter les dépenses de défense des règles budgétaires strictes. L’Allemagne, avec sa dette publique relativement faible (65 % du PIB contre 110 % en France), dispose d’une marge de manœuvre plus large pour financer cet effort.
De la même manière, la menace Trump pourrait aussi accélérer une coopération renforcée entre l’UE et le Royaume-Uni, notamment en matière de défense. Keir Starmer et Emmanuel Macron travaillent activement sur le dossier ukrainien, et l’idée d’un Fonds européen de défense incluant Londres gagne du terrain. Un moyen de renforcer la sécurité collective sans rouvrir le débat épineux du Brexit. Ce rapprochement pourrait aussi profiter à l’économie européenne en renforçant l’intégration industrielle et en facilitant les investissements croisés, notamment dans les secteurs de l’aérospatial, de l’énergie et des services financiers. Une meilleure coordination des politiques industrielles et réglementaires entre Londres et Bruxelles contribuerait à fluidifier les échanges commerciaux, tout en réduisant les incertitudes pesant sur les entreprises opérant des deux côtés de la Manche.
Enfin, sur un autre registre, la politique de Trump en matière d’éducation et de recherche offre aussi une opportunité inattendue à l’Europe. Ses restrictions budgétaires et réglementaires affaiblissent les universités américaines, tandis que les financements européens – bien que plus limités – pourraient attirer des chercheurs de haut niveau.
Face à une Amérique imprévisible, l’Union européenne est poussée à revoir ses priorités : plus d’investissements, plus d’intégration et une stratégie de défense commune. Si cette dynamique se confirme, le deuxième mandat de Trump pourrait bien marquer, contre toute attente, l’émergence d’une Europe plus forte et plus souveraine.
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