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Pourquoi la hausse des taux affecte-t-elle le capital investissement ?

Selon la dernière étude de Pitchbook, filiale de Morningstar, l’activité de fusions et acquisitions dans le monde a fléchi, en valeur, de 32% au 1er trimestre 2023 par rapport au 1er trimestre 2022.  Dans un environnement économique dégradé, la baisse du nombre de transactions s’est conjuguée avec la baisse des multiples de valorisation, notamment pour les opérations réalisées par les fonds d’investissement. La politique monétaire des banques centrales, FED et BCE notamment, de relèvement de leurs taux directeurs pour lutter contre l’inflation est souvent pointée du doigt. Mais pourquoi cette hausse des taux affecte-t-elle particulièrement le capital investissement ?

La logique financière de l’acquisition d’une société cible par un fonds d’investissement est fondamentalement différente de celle qui prévaut lorsque l’acquéreur est acteur stratégique. C’est généralement, dans ce dernier cas, un concurrent de la cible ou, tout au moins, une société qui opère dans la même filière. Le prix proposé par un fonds d’investissement est également différent. L’acteur stratégique commence par réaliser une valorisation de la cible par des méthodes classiques : comparaisons boursières, comparaisons transactionnelles, actualisation des flux de trésorerie futurs, somme des parties dans le cas d’un conglomérat, actif net réévalué dans le cas d’un holding. Si la société convoitée est cotée en bourse, il convient d’inclure des éléments d’appréciation du prix d’offre dans une note d’information à faire viser par l’Autorité des Marchés Financiers. Ce prix intègre en général une prime par rapport aux derniers cours de bourse et par rapport aux résultats de la valorisation. Cette prime, dite de contrôle, revient à faire payer, par l’acquéreur, une partie des synergies que le rapprochement permettra de développer. En tout état de cause, l’acquisition devra être génératrice de création de valeur actionnariale, mesurée à l’aune de la relution du bénéfice par action de l’acquéreur. Le financement de l’opération doit être au préalable sécurisé. Il est courant que la cash nécessaire au paiement des actions de la cible ne soit pas compatible avec la capacité d’endettement de l’acquéreur. Si ce dernier est coté en bourse, il pourra néanmoins réaliser l’opération par voie d’OPE : les actionnaires de la cible qui acceptent l’offre échangent alors leurs actions contre des titres émis par l’acquéreur. Dans ce cas, la hausse des taux n’est pas de nature à entraver la réalisation de l’opération.

Si la société cible n’est pas cotée, la transaction est réalisée à l’issue d’un processus organisé par la banque conseil du vendeur. Comme pour une cible cotée, le prix retenu est issu d’une analyse multicritère de la valeur ; dans l’hypothèse d’un processus concurrentiel, ce dernier va, en outre, intégrer une partie de la valeur des synergies. Les acquéreurs potentiels, invités dans le processus, reçoivent les mêmes informations sur la cible et participent aux mêmes réunions avec le management de la cible. C’est donc, en principe, celui qui sera à même de développer les synergies les plus importantes qui fera la meilleure offre, probablement retenue.

Si aucun acteur stratégique ne fait d’offre, si les offres reçues sont rejetées par le vendeur ou si les négociations échouent, le vendeur peut se tourner vers des fonds d’investissement. Dans le plupart des cas, ces derniers n’ont pas d’autres actifs avec lesquels des synergies pourraient être développées ; leur objectif est donc exclusivement financier : prendre le contrôle de la cible pendant une période de 3 ans, à l’issue de laquelle, leur sortie permettra de réaliser une plus-value assurant un taux de rendement annuel moyen, ou taux de rendement interne, de 20%. Pour y parvenir, l’acquisition passe par une opération à effet de levier, ou leverage buy out ; en abrégé : LBO.

 

Dans ce cas, le fonds d’investissement crée une société holding, H, spécialement dédiée à l’opération. Sur la base du plan d’affaires fourni par le vendeur, la structuration du LBO consiste à déterminer les fonds que H peut lever, d’une part auprès des banques sous forme de dette, d’autre part auprès du fonds d’investissement sous forme de capital. Les montants des fonds levés sont calibrés en fonction des contraintes des deux apporteurs de ressources à H.

A cet effet, le contrat de crédit comporte des clauses de sauvegarde ; il s’agit de dispositions qui, si elles ne sont pas respectées, permettent aux banques de demander le remboursement anticipé du crédit, ce que le holding ne peut assumer. Deux clauses sont très fréquentes : d’abord un taux de distribution de dividendes de la cible à H, généralement entre 85% et 100%, pour maximiser les liquidités mises à la disposition de cette dernière afin d’assurer le service de la dette d’acquisition, c’est-à-dire son amortissement et le paiement d’intérêts ; ensuite l’impossibilité pour H de lever de nouvelles dettes une fois que le LBO a été structuré.

La dette d’acquisition est alors calibrée de telle que son service ne conduise pas sa trésorerie nette en territoire négatif car cela serait le résultat d’un recours au découvert, donc de la levée d’une nouvelle dette, ce qui est précisément prohibé. La hausse des taux augmente les intérêts de la dette, et réduit donc le montant de la dette d’acquisition susceptible d’être levée. A titre d’exemple en supposant une cible susceptible de verser un dividende de 20 la première année, et une dette remboursable in fine dont le coût est de 5%, le montant maximal de la dette de la dette d’acquisition est de 400, avant toute prise en compte de son remboursement ultérieur ; si le coût est porté à 10%, ce montant est ramené à 200.

Le capital de H est, par ailleurs, déterminé de telle sorte que le prix de revente des actions de H par le fonds d’investissement, dans 3 ans, lui assure un TRI de 20%.

Finalement, la valeur de la cible, donc le prix proposé par le fonds d’investissement, n’est pas une hypothèse mais une résultante de la structuration du LBO. En d’autres termes c’est la somme des fonds susceptibles d’être levés par le holding de reprise. Cette somme est alors d’autant plus faible que les taux d’intérêt sont élevés puisque leur hausse contribue à réduire le montant de la dette d’acquisition. A priori, cette réduction de la dette ne peut pas être compensée par une augmentation de l’investissement du fonds dans le capital de H, à moins que ce dernier accepte de réduire son TRI, ce qui est peu probable. C’est ainsi que, au premier trimestre 2023, les fonds d’investissement ont assuré 32,8% des transactions de fusions-acquisitions dans le monde, contre 35,7% en 2022 et 36,3% en 2021 ; en valeur des transactions, leur poids est de 38,2% au premier trimestre 2023 contre 39,5% en 2022 et 40,8% en 2021. La hausse des taux a ainsi davantage affecté les fonds d’investissement que les acquéreurs stratégiques. Et, à ce jour, rien n’indique que cette tendance soit en train de s’inverser.

 

Olivier Levyne est Professeur Affilié à HEC Paris

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