Un puit sans fond. Avec un déficit de 8 milliards d’euros pour le seul mois de juin, le commerce extérieur français continue de s’enfoncer. Analyse.
Si le coronavirus est évidemment pointé du doigt comme le responsable d’un recul qui a atteint des sommets au second trimestre 2020 avec -20,4 milliards (soit une dégradation de 6,9 milliards par rapport aux trois premiers mois de l’année), ce serait un peu se cacher derrière son petit doigt que de faire de la crise sanitaire la seule responsable d’une situation qui n’a cessé de s’aggraver. Et ce malgré une embellie partielle et de courte durée depuis 2017 des exportations de produits manufacturés, après vingt ans de baisse ininterrompue.
Nier la dimension conjoncturelle de l’effondrement de la balance commerciale tricolore serait évidemment une ineptie. Le plongeon lié au confinement a été brutal. Et même si la reprise des échanges, engagée en mai dernier, a encore été plus prononcée le mois suivant (+35% pour les exportations et seulement +15% pour les importations), l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Sur un an, la chute des exportations françaises a été plus forte (-20%) que celle des importations (-16%), contrairement à ce qu’on a pu, par exemple, observer chez notre voisin italien chez lequel les deux paramètres ont continué d’évoluer de manière plus homogène.
Les exportations françaises ont piqué du nez dès le printemps, tout simplement parce que leurs deux principaux moteurs (l’automobile et surtout l’aéronautique) ont subi de plein fouet l’épidémie de covid-19. Airbus, qui avait livré 8% de plus d’avions en 2019 que l’année antérieure, a pris de face le tsunami pandémique : le nombre de livraisons du géant industriel européen a été divisé par deux au premier semestre. Pour le seul mois de juillet, 49 avions ont été livrés contre 69 un an auparavant du fait des annulations de commandes ayant suivi l’effondrement du trafic aérien international.
Le repli de 15% des exportations sur l’ensemble de l’année attendu en Allemagne fait ainsi office de contrariété relative en comparaison de notre résultat annuel, qui affiche déjà un déficit cumulé de presque 60 milliards d’euros sur un an à fin mai 2020. On croit toucher le fond.
Mais exclure que nous puissions continuer ainsi notre dégringolade en faisant du coronavirus le seul coupable de nous avoir fait mettre un genou à terre relèverait en réalité de la supercherie.
La vérité est beaucoup plus cruelle : aucun gouvernement depuis le quinquennat de Jacques Chirac (2002-2007) n’a su modifier le cours des choses. L’économie française a vu sa compétitivité s’éroder sans discontinuer ou presque depuis 2003, première année où notre commerce extérieur est entré dans la zone rouge pour ne jamais en sortir jusqu’à aujourd’hui.
Presque, car la vérité des faits oblige à reconnaître que la baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises, démarrée sous le quinquennat de François Hollande (2012-2017), avait commencé à porter ses fruits. Le « pacte de responsabilité et de solidarité » (environ 30 milliards d’allègement du coût du travail) et les baisses d’impôt sur les entreprises – poursuivies par Emmanuel Macron dans le cadre des politiques dites de l’offre- avaient en effet permis un rétablissement partiel de la compétitivité industrielle hexagonale, observable encore à la fin de l’année dernière.
Dit autrement : l’industrie française était tout juste convalescente quand le choc du coronavirus est survenu au premier trimestre. Ce qui n’était d’ailleurs pas le cas du secteur des services ni de celui de la construction, durablement affaiblis tous deux par de nouvelles pressions concurrentielles, tout particulièrement issues de la montée en puissance des plateformes numériques, mais aussi des nouvelles habitudes de consommation ou encore de la fiscalité.
Rien n’autorise à penser qu’une fois le choc de l’épidémie absorbé – ce qui ne pourra d’ailleurs se faire avant de longs mois- un claquement de doigts réussira à lui seul à relancer notre dynamique productive et exportatrice.
Il y a bien sûr l’espoir né des effets conjugués des plans de relance français et européen dont on attend qu’ils stimulent l’investissement et donc, in fine, gonflent nos parts de marché.
Mais n’oublions pas que l’appareil productif national a été plus sévèrement endommagé encore que dans le reste de l’Europe. La France fait partie avec deux autres pays d’Europe du sud (l’Espagne et l’Italie) des perdants, avec un choc récessif qui pourrait atteindre entre -8% et -11% du PIB cette année.
Les capacités de production sont encore loin de tourner à plein régime. Dans ces conditions, l’investissement ne reprendra des couleurs que lorsque les anticipations de carnets de commandes repartiront à la hausse. Mais pour que la demande vienne en soutien de l’offre productive, encore faut-il qu’une grande partie des 100 milliards d’épargne accumulés par les Français pendant le confinement et au-delà du 11 mai dernier soit transformée en consommation. Ce que rien n’indique pour l’instant.
Autre condition à la reprise de l’investissement des entreprises : la fin des tensions de trésorerie. Or, 535 000 d’entre elles ayant déjà bénéficié au 10 juillet dernier d’un prêt garanti par l’Etat vont devoir commencer à le rembourser dès le printemps 2021, ce qui les obligera à sortir du cash complémentaire alors qu’elles sont déjà le plus souvent très endettées.
Ce qui se profile, d’après les experts de Rexecode, c’est bien une « perte durable des capacités d’investissement des entreprises françaises » du fait aussi d’une perte de résultats d’exploitation. Celle-ci pourrait atteindre 70 milliards pour la seule année 2020 (-19% sur un an).
Avec l’affaiblissement durable de plusieurs grands piliers sectoriels de l’économie française – l’aéronautique et l’automobile, mais aussi le luxe, les services et désormais le tourisme- comment espérer réactiver une dynamique compétitive qui n’a connu qu’un léger frémissement après les crises de 2001 et de 2008 ?
Restaurer la rentabilité des entreprises françaises est un préalable au redémarrage de l’investissement et donc au redressement du commerce extérieur hexagonal. Mais on part de très loin. Si Emmanuel Macron a bien prévu de pérenniser la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, déjà retardée pour les grandes entreprises, c’est sur la question des impôts de production que les plus gros efforts restent à faire. Sur les 72 milliards annuels que ces charges fiscales non liées aux résultats de l’entreprise représentent, c’est seulement 10 milliards qui seront supprimés l’an prochain. Un premier pas seulement d’une marche qui devra se faire plus ambitieuse à partir de 2022.
Pour soutenir la capacité d’investissement des entreprises, durablement affaiblie par une trésorerie fragile et une rentabilité affaiblie, l’idée consistant à convertir de manière volontariste une partie des dettes en capital devra être également sérieusement étudiée. Car beaucoup de PME – sans doute entre 20 000 et 30 000 d’entre elles- manquent structurellement de fonds propres.
Enfin, soyons lucides : dans cette stratégie de retour à l’équilibre commercial, tout ne pourra pas venir de l’Etat et des acteurs publics, qui ont pour l’instant « dépensé sans compter » pour éviter le pire. L’accélération de la transformation de l’appareil productif français est une priorité absolue. Le plan de relance tel qu’annoncé par Jean Castex le 15 juillet dernier prévoit d’y consacrer 40 milliards d’euros.
Le plus important est cependant que ces fonds soient mobilisés dans une logique de cohérence totale avec la nouvelle stratégie de croissance pour l’Europe, telle que le Commissaire européen Thierry Breton l’avait présentée en mars dernier : « bâtir une industrie européenne plus verte et plus numérique, durablement compétitive et indépendante sur la scène mondiale ». Autant dire qu’il est impératif d’allouer en priorité les fonds nationaux vers l’un des 14 écosystèmes industriels (mobilité, santé, digital, tourisme, aéronautique…) répertoriés au niveau communautaire, et avec un objectif clair de faire émerger des champions européens. La France ne peut plus prendre seule le chemin d’une réindustrialisation qu’elle a échoué à construire depuis quinze ans. Elle ne réussira pas davantage sur la route de la relocalisation des activités stratégiques si elle ne s’appuie pas résolument sur le « pacte de la production européenne », porté par la Commission.
J’ajoute que les transformations à accomplir dans les entreprises elles-mêmes, ne devront pas se limiter aux deux objectifs essentiels que sont la numérisation et la transition énergétique. Je suis convaincu que c’est aussi du côté du management que se logent encore de nombreuses sources de progrès et d’innovation. Pendant trop longtemps, on a laissé croire aux Français que l’action publique seule était une source de perturbation de l’activité entrepreneuriale, par le supplément de normes et de contraintes imposées par lois et règlements. Or ce n’est pas tout à fait exact. Julia de Funès et Nicolas Bouzou rappellent dans leur ouvrage commun (La comédie (in)humaine – 2018, Edt. de l’Observatoire) que « la complexité à l’intérieur de l’entreprise croît beaucoup plus vite que la complexité à l’extérieur de l’entreprise ». Ils en citent pour preuve une étude de Yves Morieux et Peter Tollman (Smart Simplicity, Les Belles Lettres, 2014) indiquant que l’indice « BCG » de complexité des affaires (complexité de la réglementation, des marchés, des exigences financières…) n’a été multiplié que par 6 depuis 1955. A comparer à l’indice de complexité interne à l’entreprise (nombre de procédures, de niveaux hiérarchiques, d’interfaces, d’organes de coordination, de process de reporting et de contrôle) qui a été multiplié pour sa part par 35 !
De quoi mesurer les responsabilités respectives des acteurs publics et privés dans le déficit d’innovation et de compétitivité observé dans notre pays depuis la décennie 2000.
Je n’ai personnellement aucun doute : le redressement du commerce extérieur est un chemin pavé de bonnes intentions, le plus souvent gâchées par une absence de réalisations tangibles. Surtout quand on sait que malgré les discours lénifiants sur le sujet, le nombre d’entreprises exportatrices stagne toujours autour de 125 000 aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il n’est pas plus élevé qu’il y a vingt ans à une époque où la population entrepreneuriale était deux fois moins importante ! Du pain sur la planche en perspective pour le nouveau ministre délégué chargé du commerce extérieur, Franck Riester.
Le volontarisme public (dans sa trajectoire de réduction des prélèvements obligatoires sur les entreprises mais pas seulement) devra trouver en soutien la même obsession au sein des entreprises. L’obsession et l’exigence d’améliorer la compétitivité hors-prix des produits et services français, moyennant une remise à plat préalable de nos modes de management et d’action, pour gagner en simplification et en innovation.
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