Entre craintes de récession, chute des actions et bouleversements dans le secteur financier, Circana rappelle que les données et l’agilité seront des atouts majeurs pour les entreprises. La fusion Capital One–Discover avance, tandis que de nombreux cadres songent à quitter leur poste.
La semaine dernière, le président américain Donald Trump a annoncé l’instauration de droits de douane d’au moins 10 % sur la majorité des partenaires commerciaux internationaux, lors de son « Liberation Day ». Toutefois, jusqu’à présent, les seules conséquences visibles de cette mesure sont des marchés en chute libre. Depuis l’annonce de mercredi après-midi, le Nasdaq a perdu plus de 13 %, le S&P 500 plus de 12 % et le Dow Jones Industrial Average près de 12 %. Les marchés asiatiques ont également plongé lundi, avec un recul de 7,5 % pour l’indice chinois CSI 300 et de 10,5 % pour l’indice Hang Seng de Hong Kong, rapporte Yue Wang, l’un des contributeurs principaux de Forbes.
Jeudi dernier, EY a réuni des experts pour évaluer l’impact des nouvelles taxes sur les entreprises. Les principales conclusions : de nombreuses incertitudes demeurent, il reste beaucoup à comprendre à court terme, et des décisions cruciales – et potentiellement coûteuses – devront être prises pour ajuster les stratégies à long terme, avec des résultats pour l’instant difficilement prévisibles. « La volatilité des politiques tarifaires fonctionne comme une taxe sur l’incertitude, empêchant ainsi les entreprises de prendre des décisions à long terme dans ce contexte », a expliqué Evan Giesemann, directeur chez Ernst & Young à Washington.
Les droits de douane n’affecteront pas seulement les produits finis importés. Environ un quart des matériaux utilisés pour fabriquer des produits aux États-Unis proviennent de l’étranger, a souligné Andrew Phillips, responsable de l’économie, des finances et de la fiscalité chez EY Global Government & Infrastructure, ainsi qu’associé chez Quant Econ. Bien que des mesures de rétorsion tarifaire soient encore en cours, l’impact financier sur les entreprises reste incertain. Cependant, M. Phillips a prédit que les importations et les exportations devraient toutes deux diminuer à cause de ces mesures, compliquant ainsi la réduction des déficits commerciaux. L’impact réel sur l’économie et le marché du travail pourrait prendre jusqu’à six mois à se faire sentir, mais il est probable que de nombreuses entreprises répercuteront les coûts sur les consommateurs.
M. Phillips a également souligné que certaines entreprises chercheront à rapatrier rapidement une partie de leur production à l’intérieur des États-Unis, mais que cela ne devrait pas avoir un impact majeur. Les usines américaines fonctionnent actuellement à environ 75 % de leur capacité, avec la possibilité d’atteindre 90 % rapidement. Cependant, la main-d’œuvre qualifiée est limitée, avec un taux de chômage dans ce secteur de 2,9 %, et de nombreux anciens travailleurs des usines américaines ont pris leur retraite. La construction de nouvelles usines représente un investissement lourd et à long terme. M. Phillips a donc estimé qu’il était peu probable que les entreprises entreprennent de tels projets sans des prévisions financières plus solides.
Martin Fiore, vice-président adjoint pour les Amériques en charge de la fiscalité chez EY, a indiqué que de nombreuses entreprises sont dans l’incertitude sur leurs prochaines démarches à court terme. Son conseil : porter une attention minutieuse aux détails de la chaîne d’approvisionnement et des opérations. À court terme, comment les calendriers d’importation peuvent-ils influencer la situation ? Quels ajustements opérationnels peuvent être effectués rapidement ? « Il ne s’agit plus de rester dans l’attente », a précisé M. Fiore. « Il s’agit de comprendre son entreprise, d’évaluer les options disponibles et de rester réactif, car les situations évoluent de jour en jour. »
Le secteur du commerce de détail alimentaire sera l’un des plus impactés par les droits de douane, en raison de la forte proportion de produits importés à durée de conservation courte. La semaine dernière, j’ai échangé avec Stuart Aitken, PDG de Circana, une société spécialisée dans l’analyse du commerce de détail, au sujet des tendances qu’il observe dans les données et des évolutions possibles à venir. Un extrait de notre entretien est disponible dans cette lettre.
Indicateurs économiques
Le marché boursier a subi une chute spectaculaire depuis l’annonce des droits de douane par Trump, et il est difficile de savoir s’il a déjà touché le fond. De nombreux économistes et banques lancent des alertes : JPMorgan Chase évalue à 60 % la probabilité d’une récession, qualifiant la politique tarifaire de Trump de « plus grande hausse d’impôts » depuis 1968, qui pèsera lourdement sur le consommateur américain. Goldman Sachs a révisé ses prévisions à la hausse, portant la probabilité de récession à 45 % dimanche, et a averti que, sans un changement de cap de la part de Trump, la récession deviendrait leur scénario de base. Les économistes d’UBS, dirigés par Jonathan Pingle, estiment que les États-Unis pourraient entrer en récession technique, avec une contraction du PIB pendant au moins deux trimestres consécutifs, et un taux de chômage susceptible de grimper à 5,5 %. De nombreux économistes redoutent également que cette situation ne plonge les États-Unis dans une stagflation : une absence de croissance économique couplée à une forte inflation, comme l’explique Peter Cohan, collaborateur principal de Forbes. En tout cas, selon Erik Sherman, collaborateur senior de Forbes, les droits de douane de Trump mettent en péril la réputation des États-Unis en tant que partenaire commercial stable et prévisible, une réputation qui pourrait être difficile à rétablir dans les années à venir.
Le chômage commence déjà à augmenter, selon les chiffres du département du Travail des États-Unis publiés la semaine dernière. En mars, les États-Unis ont créé 228 000 emplois non agricoles, bien au-dessus des 140 000 attendus par les économistes. Cependant, le taux de chômage a atteint 4,2 %, supérieur à la prévision de 4,1 %. Le rapport de Challenger, Gray & Christmas a révélé une hausse de 60 % des licenciements en mars, avec plus de 275 000 postes supprimés. Près de 80 % de ces suppressions concernaient des emplois dans le secteur public, via le Département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE) dirigé par Elon Musk. Ce sont les chiffres les plus élevés depuis les suppressions liées à la pandémie de Covid-19 au printemps 2020.
Opérations de grande envergure
La fusion de Capital One et Discover, d’une valeur de 35 milliards de dollars, a franchi l’étape de l’examen antitrust du département de la Justice des États-Unis, rapprochant l’opération de sa concrétisation, selon plusieurs rapports. Lors de son annonce en février 2024, de nombreux analystes doutaient de sa faisabilité. L’administration du président Joe Biden a bloqué plusieurs fusions pour des raisons antitrust, comme celle de JetBlue et Spirit Airlines, ou encore l’acquisition d’Albertsons par Kroger. Le New York Times rapportait qu’en janvier, avant l’investiture de Trump, le département de la Justice avait émis un mémo provisoire exprimant des inquiétudes sur l’impact de la fusion Capital One-Discover sur les consommateurs.
Cependant, la fusion n’est pas encore finalisée. Elle doit encore obtenir l’approbation de la Réserve fédérale et de l’Office of the Comptroller of the Currency. Les analystes estiment que le département de la Justice sera probablement celui qui s’opposera à l’accord, bien que le New York Times souligne que la Réserve fédérale n’a pas rejeté une fusion bancaire depuis 2003. Si elle est validée, ce sera la première grande opération financière soumise à l’examen rigoureux de l’administration Trump.
Actualités marquantes
De nombreux cadres cherchent à quitter leurs postes. Une étude menée par Gartner révèle que 56 % des dirigeants de haut niveau envisagent de partir au cours des deux prochaines années, et 27 % d’entre eux prévoient de quitter leur fonction dans les six mois à venir. Ces résultats ne tiennent pas compte des facteurs politiques ou économiques actuels, l’enquête ayant été réalisée avant les élections. L’âge des dirigeants ne semble pas non plus jouer un rôle, puisque seuls 17 % des départs prévus sont liés à la retraite. En revanche, deux tiers des cadres interrogés indiquent que leurs responsabilités ont augmenté ces deux dernières années, et 44 % admettent ressentir davantage de stress lié à leur rôle.
Tendances de demain
Les données et l’agilité aideront les détaillants à faire face aux tarifs douaniers, selon le PDG de Circana.
Circana, une entreprise mondiale spécialisée dans l’analyse de données, se concentre sur les produits de grande consommation (PGC), notamment dans les secteurs alimentaires et des boissons, ainsi que d’autres catégories vendues en grande distribution. Stuart Aitken, à la tête de l’entreprise depuis janvier, possède une vaste expérience dans l’analyse de données retail, ayant notamment été directeur commercial et marketing chez Kroger, ainsi que PDG de 84.51° et de dunnhumby, des sociétés spécialisées dans les sciences des données et l’analyse pour le secteur retail.
Le secteur de la grande distribution alimentaire pourrait être l’un des premiers à pâtir des effets des droits de douane. La semaine dernière, j’ai discuté avec Stuart Aitken des tendances actuelles et des stratégies que les détaillants devraient envisager. Cette conversation a été abrégée pour plus de clarté et de concision. Si votre anglais vous le permet, la version intégrale est disponible ici.
Vous avez évolué dans ce secteur tout au long de votre carrière. Comment les données collectées et les informations tirées ont-elles évolué ?
Stuart Aitken : De manière spectaculaire. Au début, seules quelques entreprises de niche collectaient et utilisaient les données. Tout a commencé avec les cartes de fidélité. Les détaillants recueillaient ces informations, mais elles n’étaient pas vraiment utilisées pour aider le consommateur ou rendre les opérations des détaillants et des entreprises de biens de consommation plus efficaces et orientées vers le client.
Les premières cartes de fidélité ont vu le jour après les données de point de vente dans les années 90, mais Tesco a sans doute été le pionnier en exploitant ces données via dunnhumby. Depuis, le nombre d’utilisateurs a considérablement augmenté, principalement grâce aux possibilités offertes par ces informations. Comprendre les consommateurs de manière longitudinale est désormais essentiel.
Concernant les prix, il est crucial de savoir où il est impossible d’augmenter les tarifs. Au cours des cinq dernières années, les marques de distributeurs ont connu une forte croissance aux États-Unis. Aujourd’hui, la majorité des nouvelles marques entrant sur le marché américain sont des marques de distributeurs, représentant 80 à 90 % des nouvelles arrivées. Les consommateurs américains commencent à réaliser qu’il existe une qualité et une valeur exceptionnelles dans ces produits. Actuellement, de nombreuses entreprises de biens de consommation collaborent avec nous pour trouver comment offrir des produits de meilleure qualité afin de concurrencer les marques de distributeurs, surtout en période économique difficile.
Comment les données et l’analyse peuvent-elles aider dans cette situation, avec l’introduction des tarifs douaniers et l’incertitude persistante ?
SA : Cette semaine, j’ai eu cinq appels avec des détaillants et quatre avec des entreprises de biens de consommation, tous des PDG ou directeurs d’opérations qui posaient la même question : « Comment pouvez-vous m’aider ? » L’un d’eux m’a même demandé d’intervenir auprès de leur conseil d’administration, car ils souhaitent mieux comprendre la situation et anticiper les évolutions.
Avec les ressources de données dont nous disposons, et étant donné que les détaillants et les entreprises de biens de consommation ont déjà traversé ce genre de crise, il existe des ajustements et des stratégies que l’industrie peut adopter pour s’adapter à l’environnement macroéconomique. Les pivots dans la chaîne d’approvisionnement, tels que la diversification des sources, restent pertinents. Savoir exploiter ces changements et s’adapter rapidement sera crucial, notamment en ce qui concerne les prix.
L’utilisation des données pour comprendre les comportements face au changement est essentielle. Par exemple, si vous savez que les prix vont augmenter de X, cela signifie que la demande va probablement chuter de Y. Lorsque la demande baisse, vous n’aurez besoin que de cette quantité d’approvisionnement. Ne surstockez pas. Si vous augmentez fortement vos prix tout en maintenant le même niveau d’approvisionnement, cela risque de poser un problème.
Un autre exemple : si vous pensez que les consommateurs se tourneront vers deux produits spécifiques, qui sont moins affectés par les tarifs, vous pouvez augmenter la demande pour ces produits. Nous avons un outil de prévision de la demande qui n’a jamais été aussi sollicité qu’en ce moment pour tester ces scénarios. Nous recommandons d’effectuer des tests de scénarios via notre système de prévision : comprendre mieux quels produits vont voir leur demande augmenter et planifier en conséquence.
Je pense qu’il y aura moins de promotions à cause de la volatilité de l’approvisionnement et des coûts. Cela se ressentira d’abord sur les produits en périphérie du magasin—légumes, fruits, etc.—avant de toucher les rayons centraux. L’essentiel est de savoir quels produits seront affectés par les tarifs, lesquels ne le seront pas, comment la demande va évoluer et comment s’assurer d’avoir un approvisionnement suffisant.
Quel conseil donneriez-vous à toute entreprise, qu’elle soit dans le commerce de détail ou non, qui vend actuellement un produit ?
SA : Bien que le terme soit souvent galvaudé, je dirais : soyez aussi agile et réactif que possible. Entourez-vous de données complètes pour analyser la situation sous tous ses angles. Ne vous limitez pas à vos propres données ; c’est l’une des plus grandes erreurs que je constate dans les entreprises. Intégrez autant de données externes que possible pour mieux comprendre l’environnement dans lequel vous évoluez.
Données et décryptage
Selon une enquête exclusive réalisée la semaine dernière par Sergei Klebnikov de Forbes, de nombreux dirigeants de Wall Street, qui soutenaient les politiques économiques de Trump à son arrivée au pouvoir, se sont déjà éloignés de ces dernières.
• 54 % : proportion des anciens partisans de Trump estimant qu’il échoue dans l’exécution de ses projets.
• 1,96 : note moyenne sur une échelle de 1 à 5, où 5 représente la meilleure performance, concernant les résultats de Trump sur le marché boursier durant son mandat.
• « C’est alarmant et inquiétant » : a déclaré Anh Tran, directrice générale de SageMint Wealth en Californie, à Klebnikov.
Stratégies et conseils
Les nouveaux tarifs auront sans doute un impact sur votre entreprise, et une réponse rapide, adaptée et transparente envers vos clients et investisseurs pourrait faire la différence entre surmonter la crise et faire faillite. Il ne s’agit pas seulement de ce que vous dites, mais aussi de la manière dont vous le dites. Une communication efficace consiste à présenter clairement votre entreprise, de manière à ce que tout le monde comprenne ce que vous faites, vos stratégies et les étapes à venir.
Un article de Megan Poinski pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
À lire également : Droits de douane : l’UE tend la main à Washington avec une exemption pour les biens industriels
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