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Pour la défense, l’Europe brise le tabou budgétaire

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Pour la défense, l'Europe brise le tabou budgétaire

Après les vives tensions ayant conduit au retrait du soutien des Etats-Unis envers l’Ukraine, l’Union européenne opère un virage historique en matière de défense. Avec le plan “ReArmEurope” et des investissements massifs à la clé, l’Europe s’annonce prête à revenir sur ses règles d’or budgétaires, provoquant une onde de choc sur les marchés obligataires.

Une contribution de Maxime Raturat, analyste de marchés chez XTB France

 

Au lendemain de l’abandon de l’aide militaire des Etats-Unis accordée à l’Ukraine, Emmanuel Macron a pris la parole depuis l’Elysée en actant l’entrée dans une nouvelle ère d’incertitude géopolitique. Cette allocution a notamment été l’occasion pour le chef de l’Etat de défendre un dispositif exceptionnel porté par la Commission européenne visant à augmenter drastiquement les dépenses militaires des Etats membres. Un virage brutal qui contraste avec la doctrine prônée jusqu’alors, principalement centrée sur la réduction du déficit public.


Face à la radicalité de ces mesures, les investisseurs ont brutalement réévalué leur appétit pour la dette souveraine européenne, faisant exploser les taux à 10 ans de près de 300 points de base en une seule journée. Une telle flambée n’avait plus été observée en France depuis le 12 mars 2020, lorsque le président avait annoncé son célèbre “quoi qu’il en coûte” face à la crise du coronavirus. Ce bond historique, aux allures de crise, interroge donc sur sa nature et sur ses conséquences plus larges sur l’économie.

 

Bruxelles prête à tout pour armer l’Europe

 

En cause, le plan “ReArmEurope”, proposé le 4 mars par la présidente Ursula von der Leyen et adopté lors du sommet extraordinaire du 6 mars par les 27 chefs d’Etat de l’Union européenne. Celui-ci comprend parmi ses mesures phares un volet particulièrement surprenant : un plan de 800 milliards d’euros d’investissements dans la défense, permettant de déroger exceptionnellement au Pacte de stabilité et de croissance. Pour rappel, ce texte impose actuellement une limite de 3% de déficit budgétaire et un plafond d’endettement à 60% du PIB.

Certains pays ont également entrepris leurs propres initiatives, comme l’annonce en Allemagne par la coalition SPD-CDU/CSU de la création de deux fonds spéciaux dédiés à la défense et aux infrastructures militaires, totalisant chacun près de 500 milliards d’euros. Pour être mis en œuvre d’ici fin mars, ce programme nécessiterait toutefois de revenir sur le frein à l’endettement instauré en 2009 sous Angela Merkel, qui limite l’endettement structurel à 0,35 % du PIB.

La défiance croissante des Etats-Unis envers l’Europe sous Donald Trump semble en partie expliquer ce revirement soudain de la part des dirigeants européens. Après avoir critiqué l’OTAN, l’accusant de faire peser une partie trop importante des dépenses militaires sur Washington, menacé de se retirer des instances internationales, et qualifié les Européens d’ “ennemis”, l’abandon de son soutien à l’Ukraine semble avoir convaincu les Etats membres de la nécessité d’une autonomie en matière de défense. Et bien que Volodymyr Zelensky se dise prêt à répondre aux exigences américaines pour assurer la survie de son pays, la mobilisation de ses voisins occidentaux ne semble pas près de faiblir.

 

Un potentiel choc sur l’économie réelle

 

Toujours est-il que ces considérations géopolitiques exercent un impact direct sur l’économie des pays européens, matérialisée par la pression sur les taux à 10 ans. Ces derniers constituent non seulement un baromètre de la peur et de l’appétence au risque sur les marchés, mais également l’un des indicateurs centraux de la capacité de financement des acteurs économiques. Parmi ces acteurs figurent en premier lieu les Etats, dont le coût de l’endettement est indexé sur ces taux obligataires. Viennent ensuite les entreprises, fortement dépendantes de leur capacité d’emprunt et du poids des intérêts dans leurs comptes de résultat. Enfin, les ménages, pour qui le crédit – notamment immobilier – devient de plus en plus coûteux.

Autre conséquence néfaste d’une augmentation des taux : la baisse mécanique de la valeur théorique des actions, les investisseurs bénéficiant de rendements attractifs sur les obligations qui présentent un risque plus faible. Toutefois, l’impact est plus complexe à évaluer ici. Les entreprises de la défense telles que Thalès, Safran ou Dassault Aviation, devraient directement bénéficier des investissements publics et se sont envolées en bourse ces derniers jours. Les valeurs bancaires tirent également parti d’un arbitrage favorable, profitant de conditions de refinancement avantageuses auprès d’une Banque centrale européenne en pleine politique d’assouplissement monétaire. En revanche, les secteurs plus sensibles aux coûts du crédit, comme les produits de consommation et l’immobilier, voient leurs cours sanctionnés par les marchés.

Ce tournant majeur de la politique budgétaire européenne, s’il vise à garantir l’autonomie stratégique du continent, soulève de nombreuses incertitudes quant à ses répercussions à long terme. Entre tensions sur les taux, risque accru pour la soutenabilité de la dette et impact sur l’économie réelle, l’Europe se retrouve face à un défi de taille : absorber ce choc sans compromettre sa stabilité.

« La défiance croissante des Etats-Unis envers l’Europe sous Donald Trump semble en partie expliquer ce revirement soudain de la part des dirigeants européens. »

 


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