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Portrait | Vincent Klingbeil, collectionneur en conseil digital

Vincent Klingbeil, dans ses bureaux, le 14 décembre 2023. Crédits : Maurice Midena

Le CEO et co-fondateur d’European Digital Group continue de construire un des acteurs majeurs du conseil en transformation digitale.  Son objectif : atteindre 1 milliard de chiffre d’affaire d’ici cinq ans et concurrencer les mastodontes du secteur. Sa méthode : enchainer les acquisitions des meilleures boites dans le domaine. Un peu à l’image de cet ancien avocat d’affaires, collectionneur dans l’âme. 

Quand on rentre dans son bureau, l’étonnement est immédiat : sur une étagère, parfaitement en rangs, l’icône de la NBA Michael Jordan et le tueur à gages de Star Wars Boba Fett côtoient Batman et les chevaliers du Zodiaque. Une trentaine de petites figurines de la culture « pop » à grosses têtes font face au poste de travail de Vincent Klingbeil. Il adore ça : c’est son côté nostalgique. Il en offre parfois à ses collaborateurs, en fonction de leur personnalité : ça c’est son côté « feel good management », paraît-il. Il y a une PS5 aussi dans les bureaux, mais Klingbeil insiste pour expliquer à Forbes que ce n’est pas que ça, le management de la bonne humeur : « C’est surtout être toujours sur les meilleures technologies, faire travailler les collaborateurs sur les sujets de pointe, porter une attention sur la formation et permettre aux gens de monter en compétences. » Sinon, Klingbeil a aussi une passion pour les sneakers, et les stylos de luxe, parce qu’il n’y pas que l’adolescence dans la vie. 

On ne sait pas s’il est aussi fort pour miser sur des baskets que sur des business, mais il est clair qu’à 43 ans, Klingbeil s’est imposé comme un homme d’affaires avisé. Avec European Digital Group (EDG), il est devenu un nom qui compte dans le conseil en digital. En cinq ans, son entreprise brasse déjà 250 millions de chiffre d’affaires, avec un EBITDA à 20% et 1700 collaborateurs. EDG vient d’annoncer l’entrée dans son capital d’un fonds d’investissement français, Latour Capital. Le but : développer l’activité d’EDG à l’international, et faire grimper le CA à un milliard d’euros. 

De LVMH à Pixmania

La raison d’être d’EDG : proposer une offre complète sur tous les métiers du digital : cyber sécurité, data et intelligence artificielle, marketing, création de contenu etc. Le tout pour être en mesure de répondre à tous les besoins des entreprises concernant leur « accélération digitale ». C’est le constat qu’avait fait Klingbeil après la crise covid : une bonne partie des entreprises n’ont pas besoin de faire leur transition – elle est souvent déjà entamée depuis longtemps -, mais ont besoin d’outils pour aller plus loin, plus vite. « Le client est de plus en plus mature, de plus en plus fort. Et donc ce qu’il veut, c’est des ultra-spécialistes sur chaque levier », analyse-t-il à Forbes. Si EDG s’est rapidement imposé comme un outsider du secteur, il espère aussi aller titiller les mastodontes comme Accenture et autres Capgemini. La stratégie de croissance d’EDG est simple : assurer sa rentabilité, et enchainer les acquisitions, entre six et huit par ans, d’entreprises ultra-spécialisées, comme, cette année, Equancy spécialiste de la data et de l’intelligence artificielle, et ses 13 millions d’euros de chiffre d’affaires.

EDG accompagne des entreprises du CAC 40, des ETI, des jeunes pousses… Il y a dans son portefeuille-client, aussi bien LVMH ou L’Oréal, que des noms originaux, comme la marque de commerce d’électronique française Pixmania, « mise en sommeil » en 2020, après être passée de repreneurs en repreneurs pendant une décennie : « Pixmania a pris 100% de notre offre, et son activité est en train d’exploser depuis deux ans », assure Klingbeil à Forbes.

Racheté 30 millions par la Poste

Klingbeil revendique pour EDG, une croissance annuelle à 24%, sur un marché à 12%. L’entrepreneur croit connaitre ses facteurs-clés de succès : « Je pense qu’on a été bon sur le ciblage des entreprises dont nous avons fait l’acquisition :  à chaque fois nous nous sommes associés avec les meilleurs ou les challengers dans chacun de nos leviers, nous développe-t-il. Notre modèle aussi participe de cette réussite : quand je rachète une société, je prends la majorité, l’entrepreneur garde 40%, donc il reste motivé, sécurise son patrimoine, et réinvestit une partie dans EDG. De telle sorte que nous sommes, ainsi, un groupe où tout le monde est actionnaire de tout le monde. » Il y aussi le soin apporté à ses équipes, le « feel good » management donc : EDG assure présenter un turnover de douze points en dessous de celui du marché.

EDG est loin d’être un galop d’essai pour Klingbeil. En 2017, l’homme d’affaires cède une de ses créations, Ametix pour 30 millions d’euros à Docaposte, la filiale numérique de la Poste. Ametix, c’est la jolie histoire d’une entreprise de conseil en stratégie digitale rachetée par un géant tricolore. Quand il était à Ametix, Klingbeil avait lancé deux initiatives originales : le site « combien je mérite », qui permettait à des développeurs de savoir combien ils valaient sur le marché ; et le concours du « meilleur dév’ de France », un rendez-vous devenu incontournable dans le paysage numérique hexagonal.  Le manque de développeurs, d’ailleurs, est un des problèmes actuels d’EDG : « Des clients on a en beaucoup, notre problématique c’est de travailler notre marque employeur pour attirer les meilleurs profils tech », observe Klingbeil.

L’homme d’affaires restera à Ametix quelques temps avant de lâcher définitivement son bébé en 2018. S’il dit avoir « adoré voir comment fonctionne un grand groupe », il a un petit regret : avoir vendu trop tôt sa boite, qu’il avait créée en 2011. Germe alors l’idée de EDG, une Ametix mais qui couvrirait tout le « scope » des outils numériques dont a besoin une entreprise moderne. Qu’à cela ne tienne : Klingbeil a gardé contact avec Eric Bismuth, le fondateur du fonds Montefiore, qui voulait racheter Ametix. Les deux s’associent pour fonder EDG. 

Troquer la robe pour le web

Ce coup incarne bien l’état d’esprit de Klingbeil, qui se définit comme un « hard-networker », qui rencontre tout le temps plein de gens, et garde contact sur le long-terme. Il y voit un parallèle évident avec les échecs, une de ses passions (il joue au niveau 1700 ELO). Il y aussi, dans ce désir d’entreprendre, de quoi satisfaire la soif de création de Klingbeil. L’homme s’est un temps rêvé acteur, fréquentait les classes du soir du cours Simon et du cours Florent quand il étudiait le droit des affaires à Assas. S’il ne travaille plus sur les planches, il développe son amour de la scène dans le Tech Show, une émission en ligne à la manière des talk-show américains sur le monde du numérique – dont Forbes est partenaire.

Sa première entreprise, fondée en 2009, s’inscrit dans le milieu artistique : avec son frère David, ils montent Talent-zapping, une sorte de « Star academy » en ligne, qui consiste en une plate forme sur laquelle des humoristes diffusaient des sketchs, se défiaient, et étaient départagés par les internautes. Klingbeil se souvient y avoir vu passer  « Kev Adams, Kyan Khojandi, ou Berengère Krief ». Sauf que les fondateurs ne parviennent pas à monétiser le site. Il perd 70 000 euros dans l’affaire, ses économies de départ : « J’étais ruiné. C’était vraiment pas drôle. » Mais que serait un entrepreneur sans un échec fondateur ? Pour lancer Ametix, il partira avec 3 000 euros. 

Quand il crée Talent-zapping, Klingbeil vient tout juste de « troquer la robe pour le web ». Après un master à Audencia à Nantes, il passe le barreau en 2007 et rentre dans un grand cabinet américain d’avocats d’affaires, White & Case : au programme, salaire confortable et horaires abominables : « J’ai trouvé ça horrible, ce n’était pas du tout créatif, je travaillais jour et nuit, avec une énorme pression. Je devais faire des choses comme des audits de baux commerciaux, on m’en donnait 500 à analyser et je devais déterminer, en cas d’effondrement du toit, si c’était la responsabilité du bailleur, ou du locataire. » Au départ attiré par le métier par les plaidoiries des grands pénalistes, il ne restera pas plus de deux ans dans la profession. 

Vendeur de stylos

L’homme est volontiers drôle – quand on lui demande s’il a des enfants, il répond : « Oui et tous âgés en baux renouvelables : trois, six et neuf ». L’homme a été élevé entre une frère et une sœur (tous les deux devenus entrepreneurs), par une mère commerçante et un père dentiste, dans le neuvième arrondissement de Paris : « Quand on voit ce qu’est devenue l’avenue Trudiane, hyper malfamée il y a 30 ans, et qu’on est à 17 000 euros du mètre carré, on se dit que tout est possible. » C’est son grand-père philatéliste qui lui a donné le goût de la collection. Un de ses jobs étudiants de vendeurs de stylos lui a fait aimé les billes et plumes de luxe. Klingbeil est un nostalgique : toutes ses figurines lui rappellent les dessins animés de son enfance, un autre temps. Sur les murs de son bureau, on trouve aussi une affiche qui dissèque l’anatomie du premier iPhone : comme une énième allégorie de son état d’esprit ? 

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