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Plateforme Digitale, Uberisation… Les Nouveaux Enjeux De L’industrie Pétrolière

Il y a quelques années (depuis 2014), avant que cela ne devienne un sujet “à la mode”,  j’écrivais quelques articles sur le digital industriel. Plusieurs d’entre eux concernaient Total et plus généralement l’industrie pétrolière. Dans ces articles, je parlais stratégie de plateforme, uberisation de industrie pétrolière, etc. Depuis, les grands acteurs du secteur ont créé des directions innovation, puis des directions de la transformation digitale. D’autres acteurs ont investi (parfois beaucoup d’argent) dans la mise en place de stratégies de plateforme. Cinq ans après, quelle évolution pouvons nous observer ?

Nous sommes le 27 mai 2019, une fois de plus chez Total. J’ai le plaisir de rencontrer Emmanuel Thomazo, Directeur Adjoint de la Direction Stratégie, Croissance et Recherche de la branche Exploration & Production (E&P) afin de préparer une conférence que je donne pour le comité de direction dans quelques semaines. Pendant cet entretien, nous parlons innovation, digital, mais aussi de quelques autres tendances.

Aujourd’hui je commence par la fin pour éclairer certains messages forts sous une perspective inhabituelle. En effet, lorsque je pose ma question finale à Emmanuel Thomazo “qui sont vos héros”, il me répond de but en blanc Mère Teresa et Jean Vanier, deux humanistes connus et reconnus. Intéressant!

Le développement durable est devenu la priorité absolue de l’industrie pétrolière. Il figure au sommet de l’agenda stratégique de Total. L’entreprise est non seulement concerné par la réduction des émissions de CO2 liées à l’exploitation du pétrole, mais aussi liées à l’utilisation qui est faite des produits Total. La réduction des émissions de CO2 est bien entendue une contrainte. Une contrainte marché (les clients de Total doivent eux-même réduire leur empreinte carbone), une contrainte sociétale, politique et réglementaire. Mais comme toute contrainte, celle-ci est bénéfique pour l’innovation, et donc bénéfique pour la différenciation et donc les parts de marché – premier effet positif. Par ailleurs la haute priorité du développement durable dans l’agenda stratégique de Total se traduit par des ambitions en matière de  développement technologique extrêmement motivantes pour les collaborateurs du groupe – second effet positif. En effet, comme nous l’avons expliqué dans de nombreux articles, la mission aspirationnelle (ou l’ambition motivante, qui parle aux tripes) est une spécificité des organisations modernes. L’ambition motivante est absolument clé pour Total afin de continuer à attirer les meilleurs talents et donner un sens à leur travail.

Cette ambition motivante a un impact très concret sur la stratégie : la fin des huiles lourdes et du charbon, des investissements significatifs dans le gaz naturel moins polluant, dans les énergies renouvelables (notamment via sa filiale Sun Power), une R&D visant la réduction des émissions CO2 représentant 10% du budget R&D total etc. Très peu d’acteurs peuvent se targuer d’investir autant. Et il ne faut pas se voiler la face : la consommation énergétique mondiale n’est pas prête de diminuer…

Digital Industriel : ceux qui tirent leur épingle du jeux… et les autres

Vient ensuite la question du digital. Emmanuel Thomazo me confirme ce que Gilles Cochevelou m’a confié il y a quelques semaines : il y a 3 ans le groupe savait que le digital était un sujet, mais ne savait pas réellement comment aborder la question. On se posait d’ailleurs la question faussement naïve de savoir comment l’Exploration & Production pourrait se faire uberiser

Aujourd’hui, chez Total, le digital est devenu un sujet très clair. La question se pose d’ailleurs différemment selon la branche que l’on considère. Dans la branche Marketing & Service, le digital est essentiellement synonyme de relation client (comment proposer des innovations orientées utilisateur). Dans la branche Raffinage & Chimie, le digital est entendu comme digital industriel, c’est-à-dire comment gagner en efficience opérationnelle grâce au digital (industry 4.0 etc.). Enfin, le digital à l’Exploration & Production (E&P) comprend à la fois le digital industriel et les data sciences (pour les géosciences).

Deux axes donc à l’E&P, la digitalisation des opérations et les données. La digitalisation des opérations vise à améliorer l’efficacité et le suivi des opérations. L’Oil & Gas étant une industrie dangereuse, un des aspects critiques est de continuer à réduire les risques en particulier sur les plateformes pétrolières grâce au digital, et ce notamment en misant sur la maintenance prédictive et sur des plateformes de plus en plus automatisées. Les données, quant à elles, de plus en plus nombreuses et provenant d’une multitude de capteurs, de sources, sous une variété de formats etc. pour être exploitées doivent être nettoyées, structurées etc. C’est le rôle des data sciences.

Enfin, à la question “faut-il redouter un Uber de l’E&P ?”, la réponse, avec le recul semble être définitivement non. Je cite souvent dans mes articles et conférences le cas très intéressant de General Electric (GE) et de sa plateforme Predix. Ce cas m’a beaucoup intéressé dans le passé car GE a tenté de mettre en place une stratégie de plateforme d’infrastructure, c’est à dire un environnement de développement qui permet à des tiers de développer des applications pour ajouter une couche de service en complément de ses équipements industriels – une stratégie équivalente aux stratégies bien connues dans le domaine du B2C (par exemple l’AppStore d’Apple qui permet à plus de 200 000 développeurs non salariés d’Apple de développer des applications pour l’iPhone). Une stratégie qui a fait ses preuves dans le B2C, peut-être parce que les utilisateurs finaux ne sont pas trop regardant quant à l’utilisation des données et les termes des contrats que l’on signe d’un clic sans les lire. Une stratégie qui semble beaucoup plus compliquée à mettre en oeuvre dans un contexte B2B. Car en effet, les clients de GE, dont Total fait partie, souhaitent rester seuls maîtres de leurs opérations. Ce qui expliquerait, au moins partiellement, l’échec de GE, malgré les millions investis.

Retour de la science et enjeux systémiques

Emmanuel Thomazo me parle ensuite spontanément du type de R&D Total E&P. Le focus a été pendant plusieurs années plutôt sur du développement court terme au service du terrain. Il y a récemment un regain d’intérêt pour la véritable recherche avec un horizon temporel plus long terme. A titre d’exemples un programme de recherche en quantum computing et un autre sur la génétique ont été récemment lancés.

Les lecteurs assidus du blog savent qu’il y a deux tendances récentes que nous observons chez nos clients de l’industrie pétrolière, et donc dans une variété de secteurs : le retour en force de la science et les sujets systémiques. Total est dans le coup pour au moins l’un des deux… (et sur les deux si l’on considère le groupe  dans sa globalité).

 

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