Il ne lui manquait plus qu’un nom pour en faire un objet politique accompli. Emmanuel Macron l’a dévoilé lors de sa visite dans l’entreprise pharmaceutique Sequens (Villeneuve-la-Garenne) le vendredi 28 août : ce sera « France relance ».
Une stratégie, non « pour faire face aux difficultés du moment », mais « […] pour préparer la France de 2030 », a précisé le chef de l’Etat. Une mise au point intervenue alors que la rumeur enflait déjà que le futur plan de relance de 100 milliards d’euros pourrait diriger trop exclusivement son attention sur le très court terme au détriment d’une vision d’avenir.
Reporté d’une semaine afin d’éviter toute percussion avec la rentrée scolaire, le plan de relance hexagonal est donc attendu ce jeudi 3 septembre. Mais y a-t-il vraiment des choses qu’on ne sache déjà sur cette nouvelle étape du soutien public au redressement de notre économie ?
La question se pose, car de prises de parole en prises de parole, plusieurs membres du gouvernement ont déjà eu l’occasion d’en égrainer les principales orientations. Le 15 juillet, le premier d’entre eux, Jean Castex, en présentait déjà les contours dans sa Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Puis ce fut au tour du ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, de préciser la pensée de l’Etat dans une interview dans la presse régionale le 12 août. Un entretien dans lequel il annonçait la sanctuarisation d’une enveloppe de 3 milliards consacrée à soutenir le financement des entreprises pour les aider à combler leur déficit en fonds propres. Avant que le Premier ministre reprenne la parole devant les patrons réunis par le MEDEF à l’hippodrome de Longchamp (26 août), à la fois pour confirmer que les PME ne seraient pas les « oubliées » du plan de relance et marteler que la baisse des impôts de production de 10 milliards interviendrait bien dès 2021.
A soixante-douze heures de la publication de « France Relance », les grandes orientations et masses budgétaires du plan gouvernemental sont donc non seulement actées mais aussi largement déflorées.
Quatre grandes priorités sont affichées : l’investissement des entreprises, l’emploi des jeunes, le pouvoir d’achat et la préparation de l’avenir, sous l’angle à la fois de la souveraineté économique et de la décarbonation.
L’objectif de redressement de la trajectoire d’investissement des entreprises, frappée de plein fouet par la contraction de la demande et les contraintes du confinement, est pris en charge par deux instruments principaux : le renflouement des PME en fonds propres (recours accru aux obligations convertibles et aux prêts participatifs) et la baisse des impôts de production, épine dans le pied d’une industrie affaiblie par leur poids (3,2% du PIB contre 1,6% en moyenne dans l’Union Européenne) et par un principe de taxation injuste, puisque indépendant du profit réalisé.
Avec 700 000 jeunes qui vont rejoindre le marché du travail dans quelques jours, le gouvernement a également pris la précaution d’inciter les employeurs à les recruter via une prime pouvant aller jusqu’à 4 000 euros pour l’emploi d’un jeune de moins de 26 ans entre le 1er août 2020 et le 31 janvier 2021 pour un CDD comme pour un CDI. Le Premier ministre a également promis de maintenir l’effort en faveur de l’apprentissage, alors que celui-ci commençait tout juste à conquérir ses lettres de noblesse aux yeux des Français avant que la crise n’éclate.
Troisième priorité : le pouvoir d’achat des ménages les plus fragiles. Avec les pertes de revenus provoquées par l’activité partielle et la montée du chômage, le gouvernement entend protéger les familles les plus touchées. C’est le sens de la revalorisation de 100 euros par enfant de l’allocation de rentrée scolaire pour la rentrée 2020. La prolongation des conditions de financement du chômage partiel jusqu’au 1er novembre et la possibilité pour les branches de signer de nouveaux accords d’activité partielle de longue durée par la suite devraient aussi jouer un rôle d’amortisseur social pour beaucoup de ménages et de bouclier anti-faillites pour nombre d’entreprises.
La dernière priorité n’est pas la moindre : réussir à s’extraire des difficultés de très court terme, qu’il faudra pourtant bien résoudre, pour se projeter résolument vers l’avenir à dix ans.
Relancer la production : OUI, mais en France, prévient le Président Macron !
Relancer l’investissement : OUI, mais à condition qu’il soit durable ! lâchent à l’unisson tous les membres du gouvernement.
Il y a tout lieu de croire que les annonces du 3 septembre feront la part belle à ces lignes directrices : l’investissement, l’emploi, le pouvoir d’achat et la réorientation de la croissance vers la transition énergétique et la relocalisation de la production industrielle.
Restent plusieurs pièges dans lesquels ne pas tomber, sous peine de complications pénibles et d’affaiblissement de la dynamique de reprise :
Un plan de relance figé. La prudence commande de considérer qu’après les mesures de soutien immédiates (Prêt garanti par l’Etat, chômage partiel, fonds de solidarité, report de charges fiscales et sociales…) et les plans sectoriels (aéronautique, automobile, tourisme, culture, etc.), ce plan de relance n’est qu’une étape. C’est anxiogène de le dire, mais toutes les prévisions de croissance et d’emploi se cassent pour l’instant les dents sur une « incertitude radicale » associée à la période : à quand un vaccin disponible et donc le retour à la normale dans les échanges ? L’Europe, l’Etat et les collectivités locales doivent par conséquent se tenir prêts à dégainer de nouvelles armes à l’automne et durant l’hiver si la situation sanitaire et économique devait de nouveau s’aggraver. Dans les circonstances actuelles, il n’y a pas d’autre stratégie viable de relance qu’une stratégie contingente, graduelle et proportionnée ;
Un choc de compétitivité insuffisamment ambitieux. Après les pertes déjà accumulées par l’industrie au cours des derniers mois et alors que notre commerce extérieur s’enfonce toujours plus, lésiner sur les moyens serait une erreur politique et économique majeure : notre économie a besoin d’un choc de compétitivité de grande ampleur pour remonter à la surface. La plupart des experts considèrent que c’est dans une fourchette de 15 à 30 milliards qu’il faut baisser les impôts de production, afin d’aller au plus vite vers la suppression de la « C3S » (4 milliards) et de la « CVAE », laquelle ne sera vraisemblablement que divisée par deux dans un premier temps. D’autres mesures de soutien à l’investissement devront sans doute être envisagées, tel qu’un « suramortissement accéléré » qu’on pourrait alors gagner à flécher sur les investissements verts, les projets de relocalisation et l’accélération de la digitalisation des PME françaises, très en retard dans ce domaine ;
Un ciblage des aides à l’emploi trop étroit Les mesures de soutien à l’emploi devront venir en aide à toutes les catégories de personnes les plus exposées au risque de chômage. Les jeunes sont en première ligne et vont massivement être aidés par l’Etat. C’est bien, mais ce n’est en aucun cas suffisant. Que le gouvernement va-t-il annoncer pour les autres publics fragiles ? Avant la crise, le taux de chômage des personnes handicapées était déjà deux fois plus élevé que celui du reste de la population active (18% contre 9% l’an dernier). Les Séniors qui perdront leur l’emploi dans les prochaines semaines et les prochains mois peuvent-ils espérer retrouver un job sans l’appui des pouvoirs publics ? C’est vers ces populations fragilisées que le plan de relance doit aussi se tourner ;
Des PME négligées. Les PME devraient bénéficier d’au moins un quart de l’enveloppe du plan de relance, a annoncé fièrement Jean Castex devant les dirigeants d’entreprise le 26 août dernier. Mais chacun sait que ce sont dans les entreprises de moins de 250 salariés que se logent bien plus que la moitié des problèmes liés à la reconstruction : gestion du cash, déficit en fonds propres, retard à investir, difficulté à recruter, etc. Le plan de relance européen validé par les Vingt-sept Etats membres le 21 juillet dernier comporte de fortes incertitudes pour les PME. Car l’accord obtenu s’est fait au prix de « coupes financières importantes » qui avaient alors été dénoncées par la CPME de François Asselin. Il est vrai, qu’amputé de plusieurs milliards, le budget communautaire 2021-2027, amoindrit les efforts qui devaient être consacrés dans plusieurs programmes, dont le « programme-cadre Horizon Europe », qui perd 8,5 milliards ou encore le « programme InvestEU », allégé de 24,7 milliards. Le gouvernement doit donner la garantie aux PME qu’elles seront massivement et durablement soutenues, avec un accès simple aux aides que le gouvernement prévoit encore de leur accorder ;
Un jeu collectif insuffisamment encouragé dans l’industrie. La relance effective de notre économie va reposer sur la capacité de tous les acteurs économiques à travailler mieux ensemble. Des efforts collaboratifs existent. Dans certaines filières (comme l’aéronautique) plus que dans d’autres. Le plan de relance doit encourager ce dialogue coopératif entre donneurs d’ordres et co-traitants et exiger des leaders de filières qu’ils puissent fournir un appui à leurs fournisseurs, notamment pour les aider à « passer le cap de l’industrie 4.0 », comme le recommande utilement l’UIMM dans ses préconisations adressées au gouvernement, le 25 août dernier. La relance devra être solidaire, ce qui suppose d’encourager les pratiques collaboratives entre les grands groupes, les ETI et les PME françaises. Des instruments existent (Observatoire de l’association Pacte PME, Label Fournisseur responsable de la Médiation des entreprises). Chaque branche doit s’en emparer dans une logique non seulement « RSE » mais aussi commerciale : un fournisseur au tapis peut mettre à lui tout seul en difficulté toute une chaîne de valeur. Le gouvernement devra veiller à ce que des pratiques responsables se généralisent dans chaque secteur d’activité ;
Un partage des efforts non récompensé. Enfin, la reconstruction va demander aux entreprises des efforts considérables pour à la fois protéger leurs équipes (mesures sanitaires) et faire face aux difficultés financières de très court terme (trésorerie) et de moyen termes (fonds propres). Les employeurs mouillent la chemise. Mais leurs salariés sont également mis à contribution pour sauver les entreprises et les projeter dans l’avenir. Il serait donc très souhaitable que le plan de relance comporte un volet « partage de la valeur ». L’inclusion d’une clause de « retour à bonne fortune » dans les prochains accords de branche et d’entreprises pourrait ainsi conforter le nouveau modèle social français, faisant prévaloir l’association des salariés aux résultats de l’entreprise. Des instruments existent. La loi « PACTE » promulguée au printemps 2019 en a rendu leur usage encore plus simple et leur accès plus aisé. Le gouvernement et les partenaires sociaux doivent s’engager à faire vivre ces outils, qui présentent l’immense mérite de renforcer le dialogue et de fortifier le climat social au sein de l’entreprise.
Le plan de relance comportera d’important engagements de l’Etat tant au plan fiscal que financier. Il sera tourné vers la préparation de l’avenir, tout en gardant un œil attentif aux difficultés du présent. Il va constituer un socle solide et très complet pour la reconstruction et la modernisation. Mais la relance ne se décrétera pas. Le rythme et la profondeur de la reprise vont dépendre de l’adaptation permanente des acteurs, de leur capacité à s’entre-aider, à se coordonner face aux incertitudes absolument radicales que nous vivons. L’Etat met la première pierre. Aux entreprises de bâtir ensemble le reste de l’édifice du redressement.
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