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Nvidia : portrait du généreux cofondateur Curtis Priem

Curtis Priem
Logo Nvidia. Getty Images

Si Curtis Priem, cofondateur et directeur technique de Nvidia, avait conservé toutes ses actions, il serait aujourd’hui la 16e personne la plus riche d’Amérique. Cependant, il les a vendues il y a plusieurs années et a donné l’essentiel de sa fortune à l’Institut polytechnique Rensselaer (IPR), où il a obtenu sa licence en génie électrique.

Article de Phoebe Liu pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Entre 2003 et 2008, Curtis Priem, l’ingénieur électricien qui a cofondé Nvidia, a fait don de 40 millions de dollars (36,6 millions d’euros) à l’Institut polytechnique Rensselaer pour la création d’une salle de concert de 1 165 places. « Il s’agit de la salle de spectacle la plus techniquement avancée au monde », déclare-t-il en décrivant la salle de Troy, dans l’État de New York, qui porte son nom : le Curtis Priem Experimental Media and Performing Arts Center (EMPAC).

Cela fait partie d’un engagement beaucoup plus important envers son alma mater. M. Priem a considérablement aidé l’institut à devenir la première université au monde à accueillir un ordinateur Quantum System One d’IBM. Cet ordinateur, qui devrait être opérationnel au printemps prochain, sera la pierre angulaire d’un nouveau centre de calcul qui, à coup sûr, aidera l’IPR et ses environs à attirer les meilleurs talents.

 

200 brevets, 30 millions de dollar de fortune

Depuis 2001, l’ingénieur électricien a donné 275 millions de dollars (251,8 millions d’euros) à l’IPR, ce qui représente 40 % du total des dons de l’institut au cours de cette période, et il s’est engagé à verser environ 80 millions de dollars (73,2 millions d’euros) supplémentaires. Seule la moitié de cette somme a été reconnue publiquement comme un don de Curtis Priem. Une promesse anonyme de 360 millions de dollars (329,6 millions d’euros) a été annoncée par l’IPR en 2001, à peu près au moment où M. Priem a commencé à faire des dons, mais ni lui ni l’école n’ont souhaité en dire davantage sur l’identité du donateur.

Inventeur titulaire de près de 200 brevets, Curtis Priem a participé à la conception du tout premier processeur graphique pour PC au début des années 1980 et a ensuite cofondé la société de technologie Nvidia, dont il a été le premier directeur technique pendant dix ans.

Après l’introduction en bourse de Nvidia en 1999, il a transféré la plupart de ses actions à une fondation caritative, après avoir décidé qu’il s’agissait d’une « somme d’argent excessive » à conserver. Quelques années plus tard, il a quitté l’entreprise, en partie à cause d’un premier mariage très litigieux qui s’est soldé par un divorce et des allégations de violence domestique à l’encontre de son ex-femme. En 2006, il a vendu les actions qui lui restaient. S’il avait conservé l’intégralité de ses parts, sa fortune vaudrait aujourd’hui 70 milliards de dollars (64 milliards d’euros). À présent, Forbes estime sa fortune plus proche de 30 millions de dollars (27,4 millions d’euros), soit un peu plus d’un dixième de ce qu’il a donné à l’IPR.

 

Une petite folie

Dans sa fortune est comprise une maison de 6 millions de dollars (5,5 millions d’euros), près de Fremont, en Californie, où il vit en autarcie avec un réseau cellulaire faible, et où il occupe une grande partie de son temps à écrire des « manifestes » contenant des équations sur la façon de résoudre des problèmes mondiaux tels que le réchauffement climatique. (Aucun de ces manifestes n’a été publié). Selon ses explications, il communique souvent en donnant des adresses électroniques uniques, des chaînes de chiffres à seize chiffres, afin d’éviter les spams (il dit n’en avoir reçu aucun depuis 2000). Il possède également un jet privé Gulfstream G450, baptisé « Snoopy », qu’il a acheté en 2021 et qu’il utilise désormais pour se rendre à l’IPR quatre fois par an.

Lors d’un entretien sur le campus de l’IPR, dans la ville historiquement ouvrière de Troy, dans l’État de New York, Curtis Priem s’exprime sur ses dons, sur les raisons de son départ de Nvidia et sur ses quelques regrets.

« J’ai fait une petite folie et j’aurais aimé garder un peu plus d’actions Nvidia », admet-il. Pour lui, l’IPR est devenu à la fois l’endroit où il peut placer son argent, mais aussi trouver un sens et un soutien. « Le calvaire était pour moi à l’extérieur, et l’IPR était en fait ma retraite », déclare M. Priem à propos de son travail avec l’IPR, dont il est membre du conseil d’administration depuis 2003. « C’est devenu ma raison d’être et mon équilibre mental. »

Curtis Priem a choisi l’Institut polytechnique Rensselaer plutôt que le Massachusetts Institute of Technology, plus connu, en partie parce qu’il disposait d’un ordinateur IBM sophistiqué qu’il souhaitait utiliser. Il s’est avéré que c’était l’endroit idéal pour lui, qui avait toujours été intéressé par l’intersection de la technologie et des arts. Au lycée, après avoir déménagé sur toute la côte est lorsqu’il était enfant, sa famille s’est installée à l’extérieur de Cleveland, où il a pris des leçons de violoncelle avec Donald White de l’Orchestre de Cleveland, le premier musicien noir à jouer dans un grand orchestre, et a passé deux étés dans un camp de vacances pour musiciens classiques en Caroline du Nord. Il a également joué du trombone. À l’IPR, il a joué du violoncelle dans l’orchestre pendant quatre ans, et il attribue une grande partie de sa créativité dans l’industrie électronique et de son travail à l’IPR à son éducation musicale. « Pour être performant, il faut s’entraîner, n’est-ce pas ? Mais il faut aussi être créatif », explique-t-il. « J’ai donc commencé à appliquer cela à l’électronique et à l’informatique. »

 

Ni devant un client, ni devant une caméra 

Il a obtenu un diplôme d’ingénieur en électricité et en informatique à l’IPR en 1982 et a travaillé comme ingénieur pour la société de PC Vermont Microsystems, puis comme ingénieur en matériel pour la société d’équipement de test électronique GenRad. Il a ensuite déménagé en Californie pour travailler chez Sun Microsystems pendant sept ans.

L’idée de Nvidia a germé en 1993 dans un restaurant de la Silicon Valley. Son collègue de Sun Microsystems Chris Malachowsky, leur ami Jensen Huang, un ingénieur qui travaillait chez LSI Logic, et lui se réunissaient pour réfléchir à la manière de construire une meilleure puce. M. Priem décrit son rôle au début comme celui d’un architecte qui crée le plan sous-jacent permettant aux ingénieurs de concevoir des algorithmes pour les puces de Nvidia, en travaillant essentiellement en coulisses. « Chez Nvidia, on disait qu’il ne fallait jamais mettre Curtis devant une caméra, ni Curtis devant un client », plaisante M. Priem. Mais selon le PDG, M. Huang : « Curtis était en fait excellent avec les clients ».

En 1999, Nvidia a réalisé deux percées majeures : Elle est entrée en bourse avec une capitalisation boursière de 1,1 milliard de dollars (1 milliard d’euros) et a inventé son unité de traitement graphique, ou GPU, qui a d’abord été utilisée pour l’édition vidéo et les jeux, mais qui a fini par remodeler l’industrie de l’informatique. En juillet de la même année, M. Priem a épousé sa première femme, Veronica, et deux mois plus tard, il a créé la Priem Family Foundation, dans laquelle il a placé plus des trois quarts de sa participation de 12,8 % (lors de l’introduction en bourse) dans Nvidia, soit environ 100 millions d’actions (au nombre d’actions d’aujourd’hui). Selon lui, ce don important s’explique en partie par le fait qu’il ne voulait pas que le gouvernement récupère l’argent s’il avait vendu un grand nombre d’actions et qu’il devait payer des impôts sur celles-ci.

 

L’Église unie du Christ

C’est également à cette époque que l’ingénieur en génie électrique a examiné son actionnariat et a réalisé qu’il se retrouverait avec environ 50 millions de dollars (45,8 millions d’euros). « Mon salut, c’est que je ne pouvais pas prédire l’avenir », dit-il avec un peu de nostalgie à propos de sa décision de vendre des actions de l’entreprise, dont la capitalisation boursière s’élève aujourd’hui à 1 200 milliards de dollars (1 100 milliards d’euros).

Après avoir initialement fait des dons à une poignée de causes, dont The Nature Conservancy et le Monterey Bay Aquarium, M. Priem s’est détourné de son objectif d’atténuer les souffrances causées par l’homme pour s’attacher à les prévenir, principalement par le biais de dons axés sur l’éducation. « Adam et Ève avaient le libre arbitre et ont choisi la voie du péché qui a engendré la souffrance… nous pensons que la plupart des souffrances peuvent être évitées car elles sont déjà sous notre contrôle », peut-on lire sur le premier site web de sa fondation, qui s’appuie sur les racines de sa famille dans l’Église unie du Christ (Priem ne pratique pas cette religion, mais son père, sa sœur et ses grands-parents étaient tous ministres du culte, dit-il).

En 2000, il est retourné à l’IPR pour recevoir le prix de l’entrepreneur de l’année décerné par l’université pour son travail chez Nvidia. « Je suis entré sur le campus et je me suis dit que c’était en quelque sorte ma vocation », raconte-t-il. Il a fait don d’un million de dollars au RPI en 2000, puis en 2001. Puis, au cours de l’exercice fiscal qui s’est achevé en juin 2002, la Priem Family Foundation a commencé à verser au moins 10 millions de dollars (9,1 millions d’euros) par an à l’IPR, et n’a pas cessé depuis.

 

Violences conjugales

Pendant ce temps, les choses n’allaient pas aussi bien chez Nvidia. Selon M. Priem, il était distrait par des problèmes personnels et ne contribuait pas au niveau qu’il souhaitait, ce qui l’a poussé à partir.

« La décennie suivante a été un gâchis », dit-il. Un tribunal a constaté que Veronica avait des « antécédents de violence domestique » contre lui. Il a allégué dans des documents judiciaires de 2013 que la violence avait « généré 19 rapports de police écrits, cinq arrestations, trois condamnations pénales, trois ordonnances de protection pénales, une ordonnance restrictive temporaire civile et trois périodes de probation ». Selon le même document, Veronica a affirmé que Curtis « déclenchait ses réactions violentes en la provoquant verbalement » et a mentionné un « manque de sévérité associé à sa mauvaise conduite ». (À un moment donné, Curtis Priem affirme avoir rencontré le sénateur de l’État de Californie Bob Wieckowski pour défendre un amendement qui rendrait plus difficile le versement d’une pension alimentaire à l’actrice présumée de violences conjugales. L’amendement, SB 28, a été adopté à l’unanimité lors d’un vote au Sénat en 2015. Son ex-femme a plaidé non coupable pour un délit de violence domestique, et il n’a jamais payé de pension alimentaire.

Pendant tout ce temps, M. Priem a continué à aider l’IPR, qui, selon lui, était financièrement « à la dérive » depuis des décennies. Il voulait l’aider à « se redresser ». Ses dons ont d’abord servi à financer l’essentiel : l’embauche de nouveaux professeurs, la rénovation des bâtiments et l’acquisition d’équipements de laboratoire. Ensuite, il a contribué à ce qui est aujourd’hui le centre Shirley Ann Jackson pour la biotechnologie et les études interdisciplinaires, ainsi qu’au centre des arts de la scène, qui a ouvert ses portes en 2008.

L’idée de sa plus grande contribution est née il y a quelques mois lors d’une retraite du conseil d’administration à Carlsbad, en Californie. C’est là que M. Priem a suggéré au nouveau président de l’IPR, Martin Schmidt, d’essayer d’amener un ordinateur quantique à l’institut, une idée intéressante mais qui, selon M. Schmidt, serait trop coûteuse.

« Nous avons quitté Carlsbad et j’ai décidé d’aller voir Dario Gil, le directeur de la recherche d’IBM, pour voir si nous pouvions le convaincre d’installer un ordinateur quantique sur le campus de l’IPR », a déclaré Martin Schmidt à Forbes. Trois mois plus tard, en juin, l’institut a officiellement annoncé son intention d’installer un ordinateur Quantum System One d’IBM sur le campus l’année prochaine, ce qui en fera la seule université au monde à en abriter un.

« Avec les ordinateurs quantiques, l’IPR sera à l’avant-garde d’un tout nouveau paradigme informatique qui offre de profondes possibilités pour l’exploration d’une série de problèmes auparavant insolubles dans des domaines tels que la conception de matériaux, le développement durable, le développement pharmaceutique, les soins de santé et bien d’autres encore », a déclaré M. Gil lors d’une cérémonie d’inauguration de l’ordinateur quantique, en octobre.

La dernière promesse de don de 95 millions de dollars (87 millions d’euros) de M. Priem pour amener l’ordinateur sur le campus et mettre en place un nouveau centre est, selon ses propres termes, en train de placer sa fondation sur la « trajectoire de descente vers zéro ».

« Ce week-end marque en fait la fin de notre fondation », a déclaré M. Priem lors de la cérémonie de pose de la première pierre, au cours de laquelle il a expliqué à une foule d’étudiants, de professeurs, d’anciens élèves et d’autres invités que le financement de l’ordinateur serait le dernier don important de sa fondation et qu’il utiliserait la majeure partie des fonds restants. L’ordinateur devrait être opérationnel au printemps 2024 et sera installé sous quatre vitraux dans une ancienne chapelle.

La fondation familiale de M. Priem dispose actuellement de 160 millions de dollars (146,5 millions d’euros) d’actifs et devrait s’éteindre d’ici 2031, mais il n’est pas certain que l’argent durera aussi longtemps, compte tenu de toutes les nouvelles initiatives qu’il décide sans cesse de financer à l’IPR. « Nous ne pouvons pas arrêter de dépenser, donc ce sera probablement bien plus tôt que cela », déclare-t-il. « Lorsque l’argent sera épuisé, je pourrai prendre ma retraite », conclut-il.

Curtis Priem
Logo Nvidia. Getty Images

 

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