Comment peser dans la géopolitique des affaires et résister aux vents contraires lorsqu’on n’appartient pas au cercle des puissances ? Se structurer, se concerter, réseauter, telle est la stratégie de la femme d’affaires Nicole Sulu qui a pensé tout un écosystème dans son pays d’origine, la République démocratique du Congo. Un pays riche en ressources et en cerveaux qui jusqu’alors ne disposait pas d’espace fédérant public et privé. Avec MAKUTANO, son forum annuel, la dirigeante rend désirable la destination aux yeux des investisseurs, français notamment. Rencontre à l’approche de sa prochaine édition qui se tiendra du 24 au 25 octobre.
Le Forum MAKUTANO est en train de prendre de plus en plus d’envergure à l’échelon continental et international. Est-ce votre profil hybride qui a contribué à cette réussite ?
Nicole Sulu : Au fil de mon parcours, j’ai acquis une solide expérience en réseaux d’affaires et gestion de corporations. Je suis passée par les bancs de l’Institut Libre Marie-Haps et de L’ICHEC Entreprises à Bruxelles, en Belgique, avant de reprendre la direction du groupe familial en tant qu’administrateur délégué du Centre Hospitalier Nganda (2002) et comme associée gérante du Sultani Hôtel (2011). Surtout, j’ai fondé en 2014 le réseau d’affaires MAKUTANO, qui veut dire « rencontre » en swahili, l’une des quatre langues nationales de la RD Congo. Avec ses 500 membres actifs au niveau local et international, MAKUTANO est aujourd’hui le business network le plus dynamique du pays et l’un des plus importants réseaux d’affaires du continent.
Lorsque vous avez repris les rênes de l’affaire familiale à Kinshasa, vous avez pris conscience qu’il n’y avait aucune interaction entre les entrepreneurs locaux, aucune mutualisation des expertises, ni vision. Vous avez donc fondé un lieu, un espace de networking : MAKUTANO ; sept ans après, où en êtes-vous ?
Depuis le lancement en 2015, nous avons parcouru un chemin exceptionnel ! En premier lieu, le réseau d’affaires fonctionne : il est même devenu un « label de confiance » pour les investisseurs africains et internationaux. Les partenariats entre acteurs privés ou publics-privés se multiplient dans tous les secteurs d’activité. Nous sommes sur des projets de plus en plus ambitieux, dépassant régulièrement le million d’euros, voire bien au-delà. Au-delà d’un forum annuel qui permet aux décideurs de se retrouver et de parler affaires, nous avons également créé l’Institut MAKUTANO, un « think tank » qui produit des études sur divers sujets socio-économiques en mobilisant son réseau d’experts et de chercheurs universitaires. Il se met à la disposition des institutions publiques nationales, des organismes internationaux ou d’investisseurs éventuels.
Il est donc plus facile, pour les investisseurs français, européens…, de travailler aujourd’hui en RD Congo ?
Oui. Ce qui semblait presque impensable il y a sept ans, à savoir offrir un espace de dialogue rénové sans langue de bois, avec les acteurs extracontinentaux comme avec le décideur public, est aujourd’hui une réalité quasi inédite en Afrique. Les interactions sont là, les problèmes sont évoqués sans tabou, et avec le souci permanent, de part et d’autre, d’identifier les points de convergence sur lesquels s’appuyer. Le plus important, c’est que MAKUTANO nous donne l’opportunité de penser la République démocratique du Congo différemment, d’envisager d’autres possibles, de challenger ceux qui dirigent et ceux qui créent de la richesse. Les investisseurs internationaux sont donc les bienvenus !
Concrètement, quelles ont été les retombées des derniers forums ?
Sans networking, faire du business est très compliqué. Les participants au MAKUTANO le savent. C’est pourquoi ils viennent toujours plus nombreux pour étendre leur réseau, parce que chaque année de nouvelles opportunités s’offrent à eux, tant à l’échelon local, continental et international. Au-delà des discussions d’affaires, qui pour certaines aboutiront à un contrat, des partenariats se nouent sous l’égide de MAKUTANO, comme l’an dernier à travers la signature de deux conventions entre Proparco – filiale de l’Agence française de développement (AFD) dédiée au secteur privé – et la banque EquityBCDC, d’une part, puis avec Advans Banque Congo, d’autre part, à hauteur de 15 millions de dollars américains.
Nicole Sulu : « Le Forum MAKUTANO est devenue un label de confiance pour les investisseurs africains et internationaux. Les partenariats entre acteurs privés ou publics-privés se multiplient dans tous les secteurs d’activité. L’idée d’un forum MAKUTANO à Abidjan, Dakar, Paris, Genève… est sur la table.«
Vous souhaitez développer une façon de penser et d’agir ‘out of the box’. C’est-à-dire ?
« Out of the Box » était le thème de notre édition 2021 et il est toujours d’actualité. A travers ce thème, nous avons appelé l’élite économique et politique à casser ses certitudes et ses repères pour aller chercher « out of the box » une réflexion constructive parce que différente. La génération Makutano est essentiellement constituée de quadras et quinquagénaires, pour la plupart formés dans les universités européennes ou américaines, et qui apportent une vision nouvelle au monde des affaires en Afrique. Membres du gouvernement et hommes d’affaires se sont prêtés à l’exercice et, au fond, c’est cet esprit qui nous guide depuis nos débuts.
Nous essayons de faire les choses autrement, de dépolitiser les débats aussi, et de faire en sorte que nos échanges contribuent un tant soit peu à des changements dans la façon d’aborder les questions économiques et sociales. Nous sommes, en quelque sorte, une « start-up » qui définit son propre modèle au fur et à mesure de son expérience, de son évolution.
Quels seront les temps forts de cette 8ème Edition ?
Cette année, le thème du forum est « Infiniment Territoires ». Des investisseurs de premier plan sont invités à une journée d’échanges sur cette thématique avec les décideurs publics à Kinshasa le 24 octobre, puis sur le terrain – par avion spécial – à Mbuji-Mayi, le 25. L’objectif est de concevoir avec les autorités et les entrepreneurs locaux les chaînes de valeur agro-industrielles (production-acheminement-transformation ou production-transformation-acheminement) visant à garantir la sécurité alimentaire du pays à courte échéance. Ce sera donc un Makutano en deux temps : à Kinshasa, la capitale, siège des institutions nationales ; puis à Mbuji-Mayi, le cœur économique de l’espace géographique du Grand Kasaï et la capitale politique de la Province du Kasaï Oriental. C’est la deuxième ville du pays avec 4 millions d’habitants et l’une des zones pilotes du Plan national de développement de la RD Congo, dit des « 145 territoires ».
Lorsqu’il s’agit de parler de l’Afrique, son « incroyable » potentiel de croissance est constamment pointé. Vous êtes une femme de terrain aguerrie aux cercles d’affaires européens et africains : pourquoi « Choose Africa » – pour paraphraser les propos de notre président Emmanuel Macron avec « Choose France » ?
Choisir l’Afrique, c’est tout d’abord une aubaine inouïe pour les investisseurs étrangers. Son dynamisme économique, son ouverture sur la scène internationale, son exposition moins marquée aux fluctuations boursières et ses secteurs d’avenir (agrobusiness, santé, e-commerce, logement, éducation, services et e-services…) en font un terrain de choix pour des investissements. D’autant que dans beaucoup de ces domaines, la concurrence est quasi inexistante.
L’autre enjeu étant aussi d’embarquer les forces vives du continent en les fédérant comme ce que vous avez mené avec succès avec MAKUTANO. Force est de constater que la coopération entre régions africaines manque de fluidité…
C’est le cheval de bataille de MAKUTANO. L’an dernier, et comme à l’accoutumée, nous avons eu plusieurs intervenants du continent, et pas des moindres, comme le tycoon égyptien Naguib Sawiris que l’on retrouve en très bonne place dans votre classement Forbes. Cette année, outre plusieurs ministres congolais, le Premier Ministre Jean-Michel Sama Lukonde, celui des Finances Nicolas Kazadi…, nous recevrons Ayuk NJ, Président de la Chambre Africaine de l’Energie, Mamadou Fall Kane, Secrétaire permanent adjoint du COS Petrogaz & conseiller énergie du Président de la République du Sénégal, ou encore Maram Kaire, astronome, Directeur de AfricaSpace, 1er Sénégalais à avoir donné son nom à un astéroïde du système solaire,…pour ne citer qu’eux.
Il faut oser les mettre ensemble, et à MAKUTANO, nous osons, car comme le dit notre signature : « If we don’t, who will ? », un motto que nous pouvons traduire par : « Si nous ne le faisons pas, qui le fera ? ».
Quid de la diaspora congolaise ? Comment impliquez-vous ce vivier représentant une richesse ?
Les forces vives de la diaspora sont très importantes pour nous, pour le développement du pays comme du continent. C’est pourquoi la 3ème édition de LevelUp – les rencontres organisées par MAKUTANO destinées aux jeunes entrepreneurs à potentiel – a eu lieu en mai dernier à Bruxelles, sur le thème « Back to your future ». D’anciens expatriés revenus investir au Congo, aujourd’hui membres de MAKUTANO y ont rencontré des candidats au retour. Ils étaient plus d’une centaine, tous ravis d’avoir pu obtenir des réponses franches, claires et fiables à leurs questions. C’est ça aussi, l’esprit MAKUTANO.
Quelle est la prochaine étape de votre développement ?
Nous nous positionnons depuis le début comme un réseau et un forum panafricains tourné vers l’avenir et ouvert sur le monde. Autrement dit, un champ des possibles ! D’ailleurs, l’idée d’un forum MAKUTANO à Abidjan, Dakar, Paris, Genève… est sur la table.
Pour aller plus loin :
<<< À lire également : «Classement Forbes des Milliardaires : Les personnes les plus riches d’Afrique en 2022» >>>
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