Coauteur de l’ouvrage « Accélération dans les coulisses de l’hypercroissance », Nicolas Minvielle, Professeur à Audencia et Directeur du Mastère Spécialisé Marketing Design et Création, tente de remettre en perspective certains poncifs autour de l’écosystème « start-up ». Loin de l’image d’Epinal de la jeune entreprise « cool », havre de paix et de sérénité pour ses employés, ce livre nous plonge dans les coulisses moins reluisantes de la « start-up nation », concept porté au pinacle par le président de la République.
Votre ouvrage intitulé « Accélération, dans les coulisses de l’hypercroissance » tord le cou à certains clichés autour de l’écosystème start-up. Comment a germé l’idée de ce livre dans votre esprit ?
Nicolas Minvielle : Je vais vous présenter les choses de manière très tranchée : je suis assez fatigué du discours ambiant sur la « start-up nation ». J’ai constaté, au gré de mes pérégrinations et autres observations pour écrire ce livre, que des personnes à peine âgées d’une vingtaine d’années, auréolées du titre de « CEO » sur LinkedIn, se présentent comme l’incarnation du nouveau management. S’il convient de mettre en lumière certains succès incontestables, il faut également, à mon sens, se poser la question de savoir si quelque chose, dans l’écosystème, a fondamentalement été réinventé. J’ai eu envie de « soulever le capot » et de me rendre compte par moi-même de cette évolution. Au même moment, j’ai rencontré des dirigeants des Banques Populaires qui me confiaient gérer régulièrement les problématiques des entreprises du XXème siècle et qui étaient en plein déploiement de solutions pour mieux accompagner ces nouveaux dirigeants. Le besoin était fort et spécifique. J’ai donc décidé, fort de ce postulat, de me lancer dans l’écriture de ce livre qui, pour la petite histoire, est désormais largement diffusé au sein des Banques Populaires, qui ont, depuis, lancé un dispositif d’accompagnement dédié : NextInnov.
Vous disiez, en préambule, être « fatigué » du folklore existant autour du concept de « start-up nation ». Pouvez-vous nous en dire davantage ?
N.M. : Je trouve que cela va trop loin et que c’est dangereux. Pour vous exposer plus en détail ma vision, je constate un manque criant de diversité dans les profils de ces jeunes créateurs de start-up qui, par ailleurs, sont plutôt « bien lotis » financièrement parlant et épaulés par leurs parents en cas d’échec. Alors, entendre ces personnes m’expliquer qu’il existe un nouveau modèle managérial et qu’ils ont tout compris avant les autres, je trouve cela quelque peu culotté. De plus, nous sommes tous en train d’ériger l’incubateur en fer de lance de cette nouvelle économie alors que le taux de déchet est pour le moins gigantesque. Je ne suis pas convaincu, également, que les fondateurs de start-up, s’ils essuient un échec, parviennent à s’intégrer pleinement dans une entreprise en tant que « simples » salariés. Toutes ces thématiques, en tant que chercheur, me titillaient et je voulais me plonger dans l’arrière-cuisine de la « start-up nation ». Autre point qui a suscité mon agacement : la difficulté en France à formuler une alternative crédible à un modèle américain qui fait office de boussole, suivie presque aveuglément. Voilà pourquoi dans notre ouvrage, nous sommes également « aller voir » en Chine ou encore en Israël. Deux pays qui ont su tracer leur propre sillon.
A vos yeux, la France, malgré les déclarations d’intention, est encore à des années-lumière du modèle israélien par exemple ?
N.M. : Le contexte politique et culturel est particulièrement important et ne peut être transposé à tel ou tel autre pays pour en extraire un modèle universel. Lors de notre enquête, qui nous a donc menés à Tel-Aviv, la plupart des créateurs de start-up que nous avons rencontrés nous ont dit qu’ils avaient tous fait l’armée. Or, faire l’armée en Israël ne consiste pas uniquement à crapahuter dans les montagnes avec son fusil, mais surtout apprendre à coder au niveau militaire et mener des travaux de renseignements. Tout cela pour vous dire qu’un ingénieur ou un développeur de très haut niveau en Israël peut se trouver à chaque coin de rue ou presque. Autre élément « culturel » que j’ai pu mesurer au gré de mes entrevues sur place : le fait qu’Israël soit un pays en guerre. Mes interlocuteurs me disaient notamment qu’ils ne savaient pas s’ils allaient mourir demain et que cela pouvait être difficile à comprendre du point de vue occidental. Dès lors, il existe une forme de pression au « delivery » absolument monumentale. D’ailleurs, anecdote révélatrice, lorsque nous promettions à nos interlocuteurs de leur envoyer la teneur de nos entretiens sous « deux semaines », ceux-ci nous regardaient avec des yeux écarquillés. Avant de promettre de leur envoyer le lendemain. Enfin, Israël est ce que l’on peut appeler « un pays à plat », ce qui signifie qu’il n’est pas très difficile d’obtenir un rendez-vous avec le Premier ministre ou son cabinet pour lui soumettre une idée. De plus, Tel-Aviv étant, en surface, l’équivalent de Nantes, chaque nouvelle entreprise sortie de terre vise d’emblée, pour les éléments susmentionnés, la place de numéro 1 mondial de son secteur.
Votre livre est articulé autour de cinq thématiques reprenant les cinq piliers de la croissance d’une entreprise, au premier rang desquels la vision qui, chez les start-up, s’accompagne généralement d’une énorme ambition. Alors, qu’à l’inverse, une PME a des objectifs plus modestes. Comment l’expliquez-vous ?
N.M. : J’ai beaucoup évoqué ce sujet avec les Banques Populaires. Les responsables de la banque me disaient avoir, parmi leurs clients, beaucoup d’ETI valorisées à 400 ou 500 millions d’euros mais qui souhaitaient conserver un ancrage et un marché local et n’avaient aucune envie de se lancer à l’international. Alors que les gens que j’ai pu rencontrer ayant fondé leur propre start-up assumaient clairement et frontalement ne pas être intéressés par la France, privilégiant l’Europe, première étape vers leur conquête du monde. Ces individus sont, de facto, particulièrement agressifs dans leur vision du marché avec une véritable volonté de le disrupter – même si je déteste ce terme – et de le casser. Certaines FinTech, composées de deux personnes dans leur garage pour reprendre l’imaginaire de la start-up, ont pour ambition de démolir PayPal. Littéralement. Comprenez que cela puisse susciter mon scepticisme.
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