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Motivation des salariés : comment éviter le syndrome du « Brown Out » !

« Motivation » vient du mot « motif », lui-même emprunté au latin « motivus » qui veut dire « mobile » et « movere » dont l’équivalent en français est mouvoir. Il signifiait en ancien français « ce qui met en mouvement ». Être motivé est donc cette capacité à se mettre en mouvement.

Mais d’où vient cette motivation, au travail ou pour un sportif de haut niveau ? Selon Thierry Paulmier, inventeur du modèle d’intelligence émotionnelle homo emoticus, la motivation procéderait de nos émotions – notons que les mots émotion et motivation possèdent la même étymologie. Ce dernier en identifie particulièrement quatre, plus ou moins positives et associées à des facteurs endogènes et exogènes entremêlés : la peur, l’envie, l’admiration, la gratitude

Comme l’ajoute l’universitaire, ces quatre émotions font naître un certain état d’esprit au travail qui correspond à une certaine figure de l’homme au travail :

« L’esclave pour la peur, le mercenaire pour l’envie, l’artisan pour l’admiration et le volontaire pour la gratitude ».

Notons au travers de ces émotions que la motivation est liée à des facteurs qui nous sont endogènes, exogènes, et parfois même les deux. La motivation par la peur diffère ainsi de la motivation par l’envie, qui elle-même diffère de la motivation par l’admiration et la gratitude.

 

Être stressé pour être motivé ?

Parmi les autres modèles de la motivation, celui de la théorie de la conservation des ressources, proposé par le psychologue américain Stevan E. Hobfoll en 1989, est particulièrement intéressant : il y décrit la motivation comme un élan pour équilibrer le tandem ressources-contraintes. Selon Hobfoll, toute menace sur les ressources d’un individu entraîne une réaction de stress, elle-même provoquant un élan pour le réduire grâce à la mise en place de différentes stratégies.

Le stress pourrait donc être vu comme l’élément moteur de la motivation. À ce titre, le sport de compétition en est une illustration exemplaire : la pratique est conditionnée, la plupart du temps (sauf douance, génétique hors-norme, etc.), par le fait d’augmenter ses capacités de performances initiales afin de se positionner comme un concurrent effectif au regard de celles produites par ses adversaires.

L’augmentation de toutes capacités de performances va nécessiter de mettre l’organisme dans un état de stress suffisamment contrôlé afin de générer une adaptation adéquate au sens de ce qui est souhaité. C’est ce que l’on appelle des unités d’entraînement. Celles-ci devront être suffisamment nombreuses, qualitatives et cumulatives, « obligeant » ainsi le sportif à avoir recours et de tenir un engagement sans équivoque.

Pour remplir et tenir ces conditions, la motivation est cruciale. Dans l’idéal, elle est intrinsèque, c’est-à-dire qu’elle est liée au plaisir personnel de l’effort, par exemple. Dans la plupart des cas, cependant, elle doit être extrinsèque et soutenue par des facteurs externes, comme se discipliner pour respecter le cadre imposé par l’entraîneur.

 

Stabilité émotionnelle

L’une des études menées en 1997 par Albert Bandura, docteur en psychologie et enseignant à l’université de Stanford (Californie), suggère l’existence d’une « auto-efficacité » qui « influence la quantité d’effort que les athlètes déploieront ainsi que leur niveau de persévérance ». Selon le chercheur :

« Les personnes présentant des niveaux élevés d’auto-efficacité travaillent généralement plus dur, persistent dans la tâche plus longtemps et réussissent à un niveau supérieur au-dessus de la personne. »

Les émotions que nous avons évoquées au début de notre article, à savoir la peur, l’envie, l’admiration et la gratitude, ne sont donc pas exhaustives et suffisantes pour une pleine compréhension de la motivation.

Nous pouvons notamment émettre l’hypothèse que certaines émotions « secondaires » ne sont pas neutres : la fierté et le bonheur peuvent par exemple renforcer les croyances dans son autocapacité en cas de réussite. À l’inverse, la honte ou la tristesse peuvent apparaître et altérer ses croyances en cas de contre-performance par rapport aux objectifs fixés…

La nécessité alors des apports exogènes susceptibles d’éviter un abaissement voire un effondrement de ses croyances dans son auto-efficacité nous semble un élément important garantissant une stabilité émotionnelle pour accompagner les succès (ne pas « prendre la grosse tête ») comme les échecs (les surmonter paisiblement).

 

« C’est la dose qui fait le poison »

La compréhension actuelle de la motivation est encore enrichie grâce à la théorie de l’autodétermination proposée par les chercheurs américains Richard M. Ryan et Edward L. Deci en 1985. Il s’agit ici de considérer la motivation non plus sur un plan linéaire unique (plus ou moins de motivation) mais comme une construction multifactorielle entraînant une modulation qui va décrire le niveau d’engagement.

Ici, la motivation intrinsèque (intérêt, plaisir obtenu par sa pratique, etc.) et la motivation extrinsèque (pression sociale, contrainte d’une tierce personne, etc.) vont agir par interdépendance et former une sorte de continuum de croissance constante, comme une capacité d’autoactualisation. Ce continuum peut varier d’une absence totale de motivation à une motivation intrinsèque considérée comme l’état d’excellence de l’autodétermination, en ce sens où l’engagement va générer du plaisir. Entre ces deux extrêmes, nous retrouvons des variabilités de l’engagement motivées par des éléments extérieurs introjetés (notion d’utilité) et intégrés (constat de bénéfices). Au regard du modèle de l’autodétermination, si nous prenons l’exemple du sportif de haut niveau – dans sa quête d’accroître constamment ses capacités de performances – il peut ainsi être considéré comme l’archétype de l’individu acteur de sa propre existence.

Si l’on se réfère aux études que nous avons citées et aux théories que nous avons rappelées, avoir un coach, une vision extérieure professionnelle des capacités du sportif, représente un atout, lui permettant d’évaluer ses aptitudes afin de se fixer des objectifs « S.M.A.R.T » (pour spécifiques, mesurables, acceptables, réalistes et temporellement définis). Quelles que soient les croyances que l’individu a dans son potentiel, voire, quel que soit son potentiel réel, l’entraîneur va aussi l’aider à monter en puissance à une cadence raisonnable et ne pas l’exposer à un effondrement de confiance pour avoir brûlé les étapes.

Là aussi, rappelons ce que nous avons dit plus tôt : amener une contrainte pour obtenir une réponse adaptative représente le cheminement vers l’atteinte des objectifs. En sport comme en management, comme le soulignait fort justement Paracelse (1493-1541) médecin, philosophe et alchimiste :

« Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison ou l’hormèse (l’effet positif) ».

C’est ce principe qui va éviter à un athlète de se « cramer » ou à un salarié de foncer tout droit vers le burn-out.

 

Quelques clés pour éviter le syndome du « Brown Out »

Dans la motivation en Entreprise, il y a naturellement ce qui dépend du salarié, et ce qui dépend du mode de management et de la stratégie de l’organisation, aussi pour conclure voilà, sans prétendre à l’exhausivité un certain nombre « éléments clés de succès », que les structures se devraient d’avoir à l’esprit pour favoriser dans la durée la motivation de leurs salariés, donner sens à leur travail et éviter le syndrome du « Brown Out » !

– Reconnaissance et récompenses : Les collaborateurs trouvent fréquemment leur motivation dans la reconnaissance de leurs contributions, la valorisation est importante,  mais il n’est pas inopportun de l’associer à bon escient à des rétributions concrètes telles que des promotions, des primes, une augmentation. C’est un aspect essentiel du dynamisme professionnel. Attention toutefois :  les promesses qui sont faites engagent ceux qui les profèrent (Direction, Management), il n’est en effet rien de plus désastreux que de promettre des choses à des salariés (primes sur objectif… etc)  et de devoir se défausser, et ce, quelle qu’en soit les raisons : exemple : « Oups nous avons oubliés de provisionner les primes sur objectifs, la boulette ! »

– Conditions de travail : Un cadre professionnel propice, marqué par des conditions de travail sûres et saines ( Sécurité physique, prise en compte de la santé mentale des employés, évaluation régulière des risques professionnels etc.) sont propices au confort et à la stimulation des salariés, peut constituer un levier majeur pour nourrir la motivation des collaborateurs… À contrario, maintenir une tension permanente, oppressante, gouverner par la peur, est certes une façon de gouverner, certains états y ont d’ailleurs recours pour maintenir une population sous contrôle. Dans une entreprise, c’est le plus sur moyen pour décourager les salariés et anesthésier tant leur motivation que toute forme d’initiative.

– Leadership et gestion : La dynamique du leadership et la gestion des collaborateurs exercent une influence considérable sur leur motivation. Le leadership, il est bon de le rappeler,  ne s’apprend pas, ne s’enseigne pas. Tout du moins, si des personnes ont des prédispositions à être des leaders,  le véritable leadership est d’abord le fruit d’un parcours et d’ une légitimité acquise durant des années de labeur, le leader est bien loin du petit chef autoritaire et de toute forme d’autorité de contrôle. Le leadership est empreint de positivité, d’encouragements, de bienveillance, servie par une communication efficiente, claire, et une gestion équitable. Un leader  est d’abord et avant tout une personne capable de guider, d’influencer et d’être une source d’inspiration, et il est souvent, et tout simplement, admiré  ! 

– Implication dans la prise de décision : Lorsque des décisions « tombant du haut » sans moindre concertation des salariés directement concernés – ces décisions impactant directement leur travail –  les conséquences sont tristement prévisibles : cela va de la baisse de motivation, jusqu’à la démobilisation voire un désengagement pouvant aller jusqu’à la démission. À contrario, la motivation des collaborateurs est susceptible de s’amplifier  lorsqu’ils peuvent participer activement aux processus décisionnels et constater l’influence directe de leur travail sur les résultats de l’entreprise.

– Développement professionnel : L’émulation de la motivation au sein des équipes découle souvent de la mise à disposition d’opportunités de formation et de développement de compétences, ces formations démontrent aux employés qu’ils ont la possibilité d’évoluer dans leur carrière. Une bonne connaissance de ses équipes permet par ailleurs de leur en suggérer, de leur donner des perspectives…

– Cohésion d’équipe : Un sentiment d’appartenance à une équipe et une bonne dynamique de groupe peuvent renforcer la motivation en favorisant un environnement de travail collaboratif, attention toutefois  à ne pas céder aux modes, cela sous-tend une parfaite connaissance de ses équipes. En caricaturant : Tout le monde n’est pas adepte d’aller se tirer dessus à l’envi dans une salle de Paint Ball !

– Objectifs clairs et pertinents : Rien n’est plus démobilisant que  des objectifs flous comme le frog londonien, peu pertinents et niant manifestement l’expertise du salariés. Seuls  des objectifs  atteignables et concertés  aident les employés à comprendre leur valeur d’utilité et à rester motivés. Les objectifs kafkaïens sont redoutables pour faire perdre a un salarié le sens de son travail…. qui fait partie d’un tout. C’est ainsi que  le syndrome du « brown-out » s’installe.  Littéralement, ce terme désigne « une baisse de tension dans un réseau électrique » humainement c’est quand le travail d’une personne n’a, pour lui, plus aucun sens, et qu’il s’épuise du fait de l’absurdité de ce qu’il fait !  

Communication transparente : Une communication transparente au sein de l’entreprise sur les objectifs, les changements et les performances peut maintenir la motivation en évitant l’incertitude semble relever  du b.a.-ba. Ce n’est malheureusement pas une évidence pour toutes les structures, or rien de plus destructeur que l’absence de cap,  la multiplication de discours « vide de sens » et souvent contradictoires, pour ne pas dire complétement déconnecté du vécu des salariés. Par exemple, servir à l’envi comme pilier de sa culture d’entreprise le « bien être au travail » en interne en malmenant concomitamment ses salariés est par exemple non seulement maltraitant, mais qui plus est dangereux pour ne pas dire criminel !

– Attentes réalistes et feedback constructif : Si des objectifs peuvent être ambitieux, ils se doivent d’être réalistes par rapport à une conjoncture et un état du marché…  Le déni totale d’une conjoncture difficile, des objectifs à l’évidence irréalistes, n’auront pour effet que de miner le moral des troupes, dès la ligne de départ….  à contrario des attentes réalistes, la reconnaissance objective d’une situation conjoncturelle qui peut s’avérer difficile, associé à un feedback régulier et constructif seront des approches plus à même de motiver un salarié à se surpasser, à comprendre la qualité de ses performances – fut-ce en temps de « disette » –  et à s’améliorer, renforçant ainsi sa motivation.

Ce ne sont là que quelques clés… Il en est naturellement bien d’autres…. peut-être, in fine, que la clé de la motivation, de la cohésion d’une équipe se trouve dans cette phrase d’Euripide : « Aucun de nous ne sait ce que nous savons tous, ensemble. »

 


Par Caroline Cuny, Professeure en psychologie, Grenoble École de Management (GEM) et Yannick Chatelain, Professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM). La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation. Il a été ici augmenté et complété par ses auteurs pour Forbes France, Cyrille Cuny, professeur de culture physique diplômé d’État, a participé à la rédaction de cet article. La version initiale de cet article a été publiée sur The Conversation. Il a été ici, réactualisé, augmenté et complété par ses auteurs (cf. Syndrome du brown out ) pour Forbes France

 

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