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Mitchell Morgan : le succès d’un magnat de l’immobilier aux États-Unis

Mitchell MorganMitchell Morgan : le succès d’un magnat de l’immobilier aux États-Unis. Getty Images

En investissant dans des immeubles anciens situés dans des villes plus petites, Mitchell Morgan, désormais membre du Forbes 400, s’est hissé au rang de troisième plus grand propriétaire d’appartements aux États-Unis.

Un article de Giacomo Tognini pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Deux heures avant l’inauguration du nouveau siège de Morgan Properties à Conshohocken, en Pennsylvanie, Mitchell Morgan n’a pas encore vidé son ancien bureau. En traversant les bureaux vides, il prend place à une table ronde, à côté d’un bureau chargé de récompenses et de dossiers. Il sort un document datant de 1985, une émission obligataire pour financer son premier achat de trois immeubles, dont l’un est visible depuis la fenêtre de son bureau à King of Prussia, qu’il va bientôt quitter. « Je viens de retrouver ça en rangeant hier », dit-il. « J’ai emprunté 55 millions de dollars et je me suis lancé dans la course. Je possédais 1 400 unités, trois complexes d’appartements. Celui-ci en fait partie. »

Aujourd’hui, Morgan Properties compte plus de 95 000 logements répartis dans 19 États. Environ la moitié sont détenus majoritairement par l’entreprise, le reste étant partagé avec des investisseurs externes. Cela positionne toujours Morgan Properties comme le troisième plus grand propriétaire d’appartements aux États-Unis (derrière Greystar de Bob Faith et Mid-America Apartment Communities, cotée en bourse). En 2024, Morgan fait son entrée sur la liste Forbes 400 des Américains les plus riches, se classant 240e avec une fortune estimée à 5,5 milliards de dollars.

Le succès de l’entreprise a également permis à l’entrepreneur de gagner en visibilité. L’année dernière, il a participé au groupe soutenant l’acquisition des Commanders de Washington de la NFL par Josh Harris pour 6 milliards de dollars. Il se distingue également sur la scène philanthropique de Philadelphie, où il est un donateur majeur de l’Université Temple et de l’Hôpital pour enfants de Pennsylvanie.

 

Investir hors des grandes villes : la stratégie gagnante de Mitchell Morgan

Il a bâti son succès en investissant dans des immeubles anciens situés dans des villes de taille moyenne et en les rénovant rapidement pour augmenter les loyers. Alors que de nombreux investisseurs ont privilégié les grandes métropoles en pleine expansion de la Sun Belt, Morgan a choisi d’acquérir des portefeuilles dans des zones moins prisées, comme Reading en Pennsylvanie et Rochester dans l’État de New York. En 2019, il a acheté plus de 18 000 logements pour 1,9 milliard de dollars. Actuellement, les villes comme Indianapolis et Fayetteville connaissent les hausses de loyers les plus rapides, des marchés où Morgan Properties est également implanté.

« Nous investissons sur des marchés où d’autres ne veulent pas s’aventurer, et Wall Street ne nous dicte pas notre conduite, car nous ne nous soucions pas de son avis », explique-t-il au sujet de sa société privée. « Nous avons acquis un vaste portefeuille en Indiana et en Ohio. À Rochester, dans l’État de New York, nous sommes le plus grand propriétaire. Les opportunités existent partout. »

Mitchell Morgan se concentre principalement sur les appartements dits de « classe B », des immeubles plus anciens ciblant des locataires aux revenus modestes, contrairement aux immeubles de luxe. Bien qu’ils ne soient pas aussi valorisés que les nouveaux appartements haut de gamme, ces biens offrent généralement des flux de trésorerie plus stables. Ils sont également moins touchés par les fluctuations économiques, car en période de récession, les locataires quittant des logements plus coûteux se tournent souvent vers ces options plus abordables.

« Les portefeuilles d’appartements de classe B bien gérés et dotés de capitaux suffisants peuvent être très performants », explique Michael Gorman, analyste immobilier chez BTIG. « Ils tendent également à attirer davantage l’intérêt des investisseurs en cas de risque de ralentissement économique. »

En revanche, il n’investit pas dans les nouvelles constructions ni dans les immeubles destinés à une clientèle haut de gamme. « Nous nous concentrons sur le logement pour la main-d’œuvre », précise-t-il. « Nos loyers sont compris entre 1 500 et 1 800 dollars par mois, bien en dessous des loyers de 1 800 à 4 000 dollars. Je suis très optimiste quant à la qualité de nos logements et à notre approche : offrir le meilleur rapport qualité-prix afin que les locataires se sentent bien chez eux. »

Tout le monde ne partage pas toujours cet avis. Morgan Properties a fait face à des poursuites de la part de locataires en Pennsylvanie et au Maryland, l’accusant respectivement de refuser des aménagements pour personnes handicapées et d’avoir laissé se produire une infestation de punaises de lit. Les affaires ont été réglées, et l’entreprise affirme avoir une équipe de service client dédiée aux plaintes des locataires. « Nous devons bien communiquer, c’est une tâche complexe, mais nous jouissons d’une bonne réputation », explique Jason, 34 ans, fils de Mitchell Morgan et coprésident de l’entreprise avec son frère Jonathan, 39 ans. « Nous achetons des biens plus anciens, mais nous les rénovons dans les meilleures conditions possibles. »

 

Quand la gestion familiale devient un atout dans l’immobilier

Contrairement aux grandes entreprises cotées en bourse ou aux investisseurs institutionnels dotés de milliards à investir, Morgan Properties se distingue par une approche familiale. Cette caractéristique peut être un atout sur les petits marchés, notamment lorsqu’elle effectue d’importantes acquisitions qui la positionnent rapidement comme le principal propriétaire local.

« Morgan Properties incarne un équilibre idéal entre une entreprise familiale et une grande institution », explique Alex Amorese, courtier chez CBRE à Rochester, dans l’État de New York. « Ils apportent les ressources et la capacité financière d’une grande société tout en maîtrisant les subtilités des marchés plus petits. C’est un peu le meilleur des deux mondes. »

Mitchell Morgan attribue son succès à une approche économe qu’il a affinée en finançant lui-même ses études à l’université Temple tout en travaillant dans le magasin de chaussures familial, puis en poursuivant des cours de droit le soir tout en occupant un poste de comptable. Son entreprise affiche un faible taux d’endettement, autour de 66 %, bien en dessous de la moyenne du secteur (80 %), avec des prêts à taux fixe de 3,9 %, soit près de la moitié du taux actuel. Sa stratégie repose sur des partenariats où les investisseurs prennent en charge la majorité de l’investissement initial, réduisant ainsi ses risques. (Lorsqu’ils récupèrent leur mise initiale, la propriété est généralement partagée à 50/50).

« Il ne faut jamais tout miser, car mon père l’a fait et a frôlé la faillite », se souvient-il en évoquant les difficultés financières de sa famille. « J’achète des appartements déjà existants, ma vie est assez monotone. Nous nous en tenons à notre activité habituelle et stable. Si vous cherchez plus d’excitation dans la vie, trouvez-vous un passe-temps. »

 

Mitchell Morgan : un visionnaire de l’immobilier façonné par l’adversité

Cadet d’une fratrie de trois enfants, Mitchell Morgan est né dans un immeuble à Philadelphie avant de déménager en banlieue lorsque son père, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale ayant ouvert plusieurs magasins de chaussures, a réussi à acheter une maison en 1959. Quatre ans plus tard, son père a fait faillite pour la première fois. Cela s’est reproduit lorsque Morgan était en terminale, forçant la famille à vendre la maison, laissant son père avec un seul magasin.

À l’université Temple, Morgan suivait ses cours le matin et travaillait dans un magasin de chaussures l’après-midi et le soir pour financer ses études, qu’il a terminées en 1976. Inscrit à la faculté de droit, il a cherché un emploi en comptabilité pour subvenir à ses besoins. « J’ai toujours été passionné par les chiffres, les affaires et les mathématiques, mais aucune entreprise n’embauchait », confie-t-il. Il a fini par solliciter l’ancien comptable de son père, qui l’a engagé au salaire minimum, soit 1,65 dollar de l’heure à l’époque.

Après ses études de droit, il a trouvé un emploi dans le cabinet comptable Laventhol & Horwath. Ce poste lui a permis d’assister aux négociations de transactions pour des clients, ce qui lui a révélé le potentiel du secteur immobilier. « Je ne voulais ni vendre des chaussures, ni être comptable dans le service des impôts, ni même être avocat », dit-il. « Alors, j’ai décidé de travailler pour un client de Laventhol qui œuvrait dans le secteur des appartements. »

C’est ainsi qu’il a débuté dans l’immobilier, en gagnant entre 0,5 et 1 % de fonds propres sur des projets pour lesquels il travaillait en tant que comptable chez Construction Consultants. En 1985, son patron cherchait des acheteurs pour trois immeubles dans la banlieue de Philadelphie. « Il avait une offre de 40 ou 45 millions de dollars. Je lui ai dit que je pouvais renchérir », raconte Morgan. « Il m’a répondu que je n’avais pas d’argent. »

Morgan a tiré parti d’une loi fédérale, expirant fin 1985, qui offrait un financement exempt d’impôts à des taux réduits, à condition d’investir 15 % du prix d’achat dans des rénovations sous deux ans. Il a finalement acquis les trois complexes avec un partenaire, son collègue du cabinet Richard Haydinger, pour 60 millions de dollars. Il a financé 55 millions avec des obligations exonérées d’impôts et obtenu 15 millions en financement vendeur pour couvrir le reste de l’achat et 10 millions de dollars de travaux de rénovation.

C’est ainsi que Morgan et Haydinger ont fondé First Montgomery Properties pour acquérir des appartements avec des investisseurs fortunés, dont Bruce et Robert Toll, les fondateurs de Toll Brothers, qu’ils ont rencontrés au début des années 1990. « Nous avons réalisé des accords ponctuels avec des investisseurs aisés, qui apportaient 90 % du capital, tandis que nous investissions les 10 % restants », explique-t-il. Une fois l’investissement initial remboursé, les deux parties détenaient chacune 50 % de l’actif.

En 1996, Mitchell Morgan rachète la part de son partenaire pour 10 millions de dollars et rebaptise l’entreprise Morgan Properties. Il continue d’appliquer la même stratégie en collaborant avec Berwind Property Group (devenu Equus Capital Partners) et une filiale de General Motors. Sa plus grande transaction survient en 2007, lorsqu’il s’associe avec le géant de l’assurance AIG pour acquérir 17 000 logements de la société Kushner Companies pour 1,9 milliard de dollars.

Le moment choisi, juste avant la Grande Récession, était loin d’être idéal. « Nous avons misé gros sur le portefeuille Kushner un mois avant la faillite de Bear Stearns. Nous avons surpayé, puis tout s’est écroulé », raconte-t-il. « Heureusement, j’étais dans l’immobilier multifamilial, et les gens ont toujours besoin d’un logement. »

Morgan comptait sur AIG pour financer les rénovations, mais un an plus tard, son partenaire se retrouvait au bord de la faillite et a dû être renfloué par l’État fédéral à hauteur de 182 milliards de dollars. Pendant cette période, d’autres partenaires de Morgan connaissaient également des difficultés : General Motors a fait faillite et le fondateur de Berwind est décédé.

Entre 2009 et 2010, ses trois principaux partenaires — AIG, Berwind et General Motors — lui ont successivement proposé de racheter leurs parts. Grâce à sa stratégie d’investissement minimal et de faible endettement, Morgan a pu racheter leurs parts pour 1,7 milliard de dollars. Il a emprunté 1,5 milliard et investi 215 millions de ses propres fonds pour devenir l’unique propriétaire de 22 000 unités. Pour conclure l’opération, il a contracté une hypothèque de 25 millions sur ses quatre maisons, une décision qui n’a pas ravi sa femme, Hilarie. « C’est l’opération la plus difficile que j’ai eu à faire : la convaincre de signer », dit-il en souriant.

 

Un équilibre entre audace et prudence

Mitchell Morgan se retrouvait désormais seul aux commandes, après avoir dépensé jusqu’à son dernier centime. « C’était un pari risqué. Je répète toujours à mes enfants : ne vous inquiétez pas des gains, préoccupez-vous des pertes », raconte-t-il. Sans partenaires ni liquidités disponibles, il envisagea de rendre l’entreprise publique pour lever des fonds. Il engagea des banques et s’enregistra auprès de la Securities and Exchange Commission. C’est à ce moment que son fils Jonathan, fraîchement intégré dans l’entreprise après avoir travaillé chez Apollo, l’a convaincu de ne pas aller dans cette direction.

« J’ai discuté avec mon père et lui ai dit : « Nous avons l’opportunité d’aller à contre-courant, de ne pas suivre le modèle des sociétés de placement immobilier. Soyons différents et concentrons-nous sur ce que nous faisons le mieux : fournir des logements pour les travailleurs dans les banlieues, tout en faisant appel à des capitaux externes et à des coentreprises institutionnelles » », explique Jonathan Morgan. « Finalement, c’était la meilleure décision que nous ayons prise : ne pas entrer en bourse. »

Mitchell Morgan a annulé l’introduction en bourse et a maintenu l’entreprise privée, en s’appuyant sur la stratégie qui avait fait son succès depuis des décennies : acquérir des portefeuilles avec des partenaires, rénover rapidement les logements, puis augmenter sa participation une fois l’investissement rentabilisé. Son fils Jonathan a ensuite étendu cette approche en créant l’unité de coentreprises de la société, Morgan Properties JV.

Son fils cadet, Jason, a rejoint la société en 2017, après avoir travaillé chez le gestionnaire d’actifs Sculptor Capital Management. Il a lancé Morgan Properties Special Situations la même année et a été le fer de lance de l’entreprise dans les investissements en dette, le crédit et les recapitalisations. Morgan Properties est désormais l’un des plus grands propriétaires de portefeuilles de dette émis par Freddie Mac, investissant près de 2 milliards de dollars au cours des cinq dernières années. « Plus c’est compliqué, mieux c’est », ajoute Jason.

Aujourd’hui, Jason est co-président de la société avec son frère Jonathan et ils sont respectivement les fondateurs et les présidents de Morgan Properties Special Situations et Morgan Properties JV. Leur sœur Brittany siège au conseil d’administration et à plusieurs comités d’investissement. « J’ai pour principe que chacun doit travailler pendant quatre ans dans une autre entreprise que celle de la famille », déclare Morgan.

Quant aux 22 000 unités qu’il a rachetées à ses partenaires après la crise financière, il pense qu’elles valent aujourd’hui près de 2 milliards de dollars, soit un rendement presque décuplé. Et comme une offre excédentaire de nouveaux appartements de luxe pèse sur les marchés du Sud-Est et fait baisser les loyers, les propriétés de Morgan sont devenues encore plus attrayantes pour les investisseurs.

« Le marché de la classe B a montré de bons résultats, en raison de l’offre historiquement élevée de nouveaux appartements », explique Michael Lewis, analyste chez Truist. Haendel St. Juste, de Mizuho Securities, ajoute : « Ce segment présente un réel intérêt. Il est plus stable et répond aux besoins de ceux qui n’ont pas forcément les moyens de louer des appartements haut de gamme. »

Avec des liquidités abondantes, il continue de dépenser davantage, acquérant pour 2,5 milliards de dollars d’appartements en 2021 et 600 millions supplémentaires en 2022 dans le Midwest, au Texas et dans les Carolines. En parallèle, il a vendu pour 1,2 milliard de dollars de biens à des acheteurs tels que Bridge Investment Group, une société cotée en bourse. Cette année, il a racheté près de 3 500 logements en Pennsylvanie. Morgan Properties consacre environ 300 millions de dollars par an aux rénovations, installant jusqu’à 10 000 nouvelles cuisines chaque année. « Nous offrons des cuisines complètes pour moins de 10 000 dollars », explique Morgan. « C’est notre domaine : la valeur ajoutée. »

Bien qu’il se concentre sur ses immeubles locatifs pour son portefeuille, il s’est récemment accordé un investissement conséquent pour le siège de son entreprise. Il a dépensé 75 millions de dollars pour acheter et rénover trois immeubles de bureaux à Conshohocken, en banlieue de Philadelphie, équipés d’un centre de remise en forme ultramoderne et d’un simulateur de golf. Ce nouveau complexe accueille également Fanatics, une entreprise multimilliardaire fondée par Michael Rubin, un autre natif de Philadelphie, valorisée à 10,6 milliards de dollars.

Juste avant de quitter son ancien bureau pour se rendre à l’inauguration des nouveaux locaux, Morgan s’arrête un instant pour réfléchir : « Je ne voulais pas être ce septuagénaire qui pensait que les prix ne monteraient jamais plus haut qu’ils ne le sont, parce que je gagnais ma vie en achetant à ces gens-là. Aujourd’hui, je suis ce septuagénaire et je vois toujours le verre à moitié plein », déclare-t-il. « Je pense vraiment qu’il y a encore des possibilités, et nous serons présents dans tous les États à terme. »


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