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Milliardaires | De la cuisine locale à l’empire mondial, comment Takaya Awata est devenu le boss de la nouille

AwataCapture d’écran Forbes.com Crédit photo : SHUNICHI ODA FOR FORBES ASIA

Takaya Awata a transformé un petit restaurant local en un véritable empire de la restauration rapide : Toridoll Holdings. Il aspire désormais à s’imposer sur la scène internationale.

Une contribution de Zinnia Lee et James Simms pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

À l’âge de 23 ans, avec ses modestes économies, Takaya Awata a ouvert un petit restaurant à Kakogawa, une ville côtière bordant la mer intérieure de Seto au Japon. Il l’a baptisé « Toridoll Sanban-kan » (restaurant Toridoll numéro 3), comme une promesse personnelle que les restaurants numéro un et deux suivraient bientôt, poursuivant ainsi son objectif ambitieux d’ouvrir trois restaurants.

Quarante ans plus tard, Toridoll Holdings, désormais cotée à la bourse de Tokyo, exploite près de 2 000 établissements de restauration rapide répartis dans 28 pays et régions, regroupant 21 marques. Parmi elles, la marque phare est Marugame Seimen, la plus grande chaîne de nouilles udon du Japon en termes de chiffre d’affaires et de nombre de points de vente. Ce succès fulgurant dans l’industrie de la restauration rapide a fait de Takaya Awata un milliardaire, nourrissant ainsi des ambitions encore plus grandes.

« Mon objectif est de rendre Toridoll compétitive à l’échelle mondiale », affirme le PDG de 62 ans depuis son siège social situé dans le quartier de Shibuya à Tokyo. Il mentionne également son souhait de transformer l’entreprise en un groupe générant un chiffre d’affaires de 1 billion de yens (soit 6,3 milliards d’euros) au cours de la prochaine décennie. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, Awata entend réduire la dépendance de Toridoll à un marché domestique en déclin et concentrer ses efforts sur une expansion internationale.

L’industrie mondiale de la restauration rapide a connu une croissance annuelle impressionnante de 5 % entre 2019 et 2023, dépassant ainsi les 1 000 milliards de dollars. Selon Tommaso Nastasi, associé chez Deloitte à Milan, ce secteur est désormais le moteur principal du marché global des services alimentaires. Cependant, au Japon, où l’on fait face aux défis d’une population vieillissante, d’une diminution des emplois à plein temps et de salaires stagnants, les restaurateurs doivent également composer avec l’augmentation des coûts et une pénurie croissante de main-d’œuvre.

De plus, le secteur de la restauration au Japon est extrêmement concurrentiel, note Awata. Se développer sur le marché domestique signifierait prendre des parts de marché à des rivaux comme Hanamaru, la chaîne locale d’udon détenue par Yoshinoya Holdings, le géant du gyūdon (bol de bœuf) établi depuis plus d’un siècle, ou Zensho Holdings, cotée à Tokyo, connue pour sa chaîne de bols de bœuf bon marché Sukiya, fondée par le milliardaire Kentaro Ogawa. Toridoll doit également faire face à des géants américains tels que McDonald’s et KFC, qui exploitent ensemble plus de 4 000 restaurants au Japon.

La concurrence pour séduire les consommateurs ne se limite pas aux autres restaurants, mais inclut également les bentoproposés dans les magasins de proximité (konbini) ainsi que les plats préparés disponibles dans les supermarchés, explique Shun Igarashi, analyste chez Daiwa Securities à Tokyo. « Avec la diversification des modes de consommation, les entreprises se battent pour attirer les clients », précise-t-il.

Malgré cela, Toridoll, bénéficiant en partie de l’afflux de touristes au Japon, a réalisé un chiffre d’affaires record de 232 milliards de yens lors de l’exercice fiscal clôturé en mars, dont 38 % provenaient de l’international. Le bénéfice net a bondi de 48 % pour atteindre 5,7 milliards de yens, notamment grâce à la faiblesse du yen, qui a favorisé la remontée des profits rapatriés depuis les filiales étrangères. Cependant, les actions de Toridoll, qui se négociaient à des multiples élevés après la pandémie avec le retour des sorties au restaurant, ont reculé de 5 % au cours des 12 derniers mois. Awata, devenu milliardaire l’année dernière, figure désormais parmi les 50 personnes les plus riches du Japon, avec une fortune estimée à 1,1 milliard de dollars (996 millions d’euros).

D’ici mars 2028, Toridoll vise une augmentation de plus de trois fois son bénéfice net, avec un chiffre d’affaires de 420 milliards de yens, dont près de la moitié devrait provenir de l’étranger. Cela pourra être réalisé, explique Awata, en doublant le nombre total de magasins à 4 900, dont 3 000 à l’étranger. (L’entreprise possède quasiment la totalité de ses 1 100 magasins domestiques, tandis que la moitié de ses 861 magasins à l’étranger sont exploités en franchise ou en coentreprise.) Awata prévoit que les revenus étrangers représenteront jusqu’à 60 % dans les trois à cinq prochaines années.

La marque phare de Toridoll, connue sous le nom de Marugame Udon en dehors du Japon, dispose déjà de 264 établissements à l’étranger, répartis dans des lieux aussi variés que Hawaï et Phnom Penh. Awata adapte ses menus aux préférences locales, proposant, par exemple, un bouillon épicé en Indonésie ou des bols d’udon froids garnis de salades et de poulet frit aux États-Unis. En plus de sa chaîne d’udon, l’entreprise possède un portefeuille diversifié de restaurants offrant une large gamme de cuisines, allant des plats de rue asiatiques, ramen et yakitori, aux mets occidentaux tels que des pizzas et des pancakes.

Selon un rapport publié en juin par le journal Nikkei, 44 % des opérateurs de restaurants japonais ayant des filiales à l’étranger envisagent d’en ouvrir davantage, contre 28 % lors de la précédente enquête l’an dernier. Zensho, par exemple, prévoit d’ouvrir 1 450 nouveaux magasins d’ici mars prochain, dont plus de 90 % à l’étranger. Pendant ce temps, Food & Life Companies, basé à Osaka et connu pour sa chaîne de sushi sur tapis roulant Akindo Sushiro, avec plus de 1 100 restaurants en Asie, est entré sur le marché américain en avril.

Selon Awata, le succès repose sur une stratégie bien pensée. « Nous avons beaucoup réfléchi à la manière d’attirer les clients », dit-il. « Notre objectif est qu’ils se disent : “Ça a l’air délicieux” ».

En mai, un jour de semaine, juste avant midi, une file d’attente commençait à se former devant Marugame Seimen, situé dans le quartier d’affaires de Shinjuku à Tokyo Réputée pour ses prix abordables et ses plats phares comme le kamaage udon servi avec une sauce dashi à base de bouillon de poisson, cette chaîne va bien au-delà de simples repas économiques dans un cadre décontracté. Grâce à sa cuisine ouverte, les clients peuvent observer tout le processus de préparation des nouilles Sanuki, depuis le pétrissage jusqu’à la découpe et la cuisson, offrant ainsi une expérience à la fois visuelle et gustative.

Après avoir choisi leur bol d’udon, dont le prix commence à 340 yens, soit moins de 3 euros, les clients peuvent gratuitement ajouter des condiments comme des oignons verts et du gingembre haché, ainsi que des morceaux croustillants de tempura pour personnaliser leur plat. Toutefois, pour Awata, l’enjeu dépasse la simple offre de nourriture fraîche et abordable. « Nous ne vendons pas uniquement un produit », explique-t-il. « Ce qui fait vraiment la différence, c’est de fournir une expérience de qualité. »

Emil Fazira, directeur des études alimentaires à Singapour chez Euromonitor International, une société de recherche britannique, partage cet avis et affirme que le secteur de la restauration rapide évolue dans cette direction : « Des services à la fois rapides et efficaces, mais qui offrent également quelque chose d’unique. »

 

Takaya Awata investit 100 milliards de yens pour étendre son empire de restauration

Awata a récemment élevé les standards en intégrant des menshokunin, ou maîtres udon qualifiés, dans ses 840 magasins Marugame au Japon. Pour se qualifier, ils ont dû passer un test, et seuls 30 % d’entre eux ont réussi. « Grâce à cette attention particulière portée à l’expérience culinaire, qui constitue notre principal atout concurrentiel, nous avons l’ambition de conquérir le marché mondial », explique-t-il.

Pour concrétiser cette ambition, Awata a prévu d’investir jusqu’à 100 milliards de yens dans des acquisitions. À ce jour, environ 20 % de cette somme a déjà été utilisée, bien que l’entreprise ait reçu plus de 100 propositions d’investissement provenant de diverses marques. En parallèle, Awata a planifié l’ouverture de nouveaux magasins pour Marugame et Tam Jai, une chaîne de nouilles de riz basée à Hong Kong, qui constitue le deuxième plus grand contributeur aux revenus internationaux de l’entreprise.

En mars, Marugame a étendu sa présence au Canada, ajoutant ce pays à sa liste de marchés déjà composée de l’Asie (à l’exception de la Chine continentale suite à un différend avec un franchisé en 2022), des États-Unis et du Royaume-Uni. Tam Jai prévoit quant à elle d’ouvrir de nouvelles succursales en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux Philippines d’ici la fin de l’année, ainsi qu’en Malaisie début 2025. Toridoll a acquis Tam Jai en 2018 pour 243 millions de dollars (220 millions d’euros), marquant ainsi sa plus grande acquisition à ce jour, et a introduit la société en bourse à Hong Kong trois ans plus tard, tout en conservant une participation majoritaire de 74 %.

Aaron Jourden, directeur de la recherche et des études internationales chez Technomic, une société américaine de conseil en restauration, souligne que même si Toridoll dispose d’une marque fortement différenciée avec Marugame, l’entreprise devra s’appuyer sur des chaînes de restauration rapide occidentales proposant des plats comme des hamburgers, du poulet frit ou des pizzas pour pouvoir rivaliser avec des géants tels que McDonald’s et Yum! Brands.

Le fondateur de Toridoll Holdings reconnaît que les nouilles sont « un marché de niche », tandis que le marché des plats occidentaux est beaucoup plus vaste. Cela l’a conduit à dépenser 93 millions de livres sterling (110 millions d’euros) l’année dernière pour acquérir Fulham Shore, l’opérateur coté à Londres des pizzerias Franco Manca et de la chaîne de restaurants The Real Greek, comptant respectivement 70 et 26 magasins. Awata aspire à développer Franco Manca à l’international, reconnaissant un potentiel important pour cette chaîne britannique. Elle se distingue par la préparation de pizzas au levain sous les yeux des clients et compte déjà une succursale en Espagne.

Selon Marcel Khan, PDG de Fulham Shore, « Awata n’investit que dans des entreprises capables de susciter le kando ». Ce terme japonais exprime l’idée de créer une émotion intense ou un émerveillement chez les clients, une approche qu’Awata applique dans ses affaires et qui est également partagée par d’autres grandes entreprises japonaises, comme Sony.

 

Un parcours inspirant

L’entrepreneur confie que, tout en surmontant les défis pour bâtir son entreprise, il a également été inspiré par le parcours d’Ogawa, fondateur de Zensho, un ancien syndicaliste et ouvrier de chantier naval, après l’avoir vu en couverture de Forbes Asia en 2011. Awata a déclaré : « Moi aussi, je veux créer une entreprise de restauration japonaise reconnue à l’échelle mondiale. »

Le parcours d’Awata vers l’entrepreneuriat, et plus tard vers le statut de milliardaire, a été semé d’embûches. À 13 ans, il perd son père et est élevé par sa mère à Sakaide, dans la préfecture de Kagawa. Pour soutenir financièrement sa famille, il abandonne ses études à l’université municipale de langues étrangères de Kobe. C’est en travaillant dans un café qu’il découvre sa véritable passion. « J’ai éprouvé du plaisir à préparer des plats, à les servir aux clients et à recevoir leurs compliments sur la qualité de la cuisine », se remémore-t-il.

Déterminé à épargner pour réaliser son rêve d’ouvrir un restaurant, Awata a choisi de devenir chauffeur de camion, l’emploi le mieux payé qu’il pouvait trouver. Il transportait des marchandises jour et nuit, tout en vivant dans un dortoir d’entreprise. Cette phase de sa vie était morose, raconte-t-il, mais il trouvait un peu de réconfort dans l’atmosphère conviviale d’un stand de poulet grillé qui se trouvait à proximité. Cette expérience l’a inspiré à lancer son propre restaurant de yakitori, qu’il a dirigé avec sa femme. (Awata précise que le nom Toridoll n’a pas de signification particulière ; il l’a choisi simplement parce qu’il est facile à mémoriser.)

À la fin des années 1990, une visite à Marugame, la ville natale de son père décédé, située dans la préfecture de Kagawa et renommée pour ses Sanuki udon fabriquées à partir de blé, de sel et d’eau locaux, a inspiré à l’apprenti restaurateur une nouvelle idée. Un stand d’udon, particulièrement populaire, attirait de longues files d’attente grâce à ses nouilles préparées sous les yeux des clients. C’est ce concept qui a donné naissance au premier Marugame Seimen, ouvert à Kakogawa en 2000 (Seimen signifiant « fabrication de nouilles » en japonais).

 

Transformer les obstacles en opportunités

L’épidémie de grippe aviaire qui a frappé l’Asie en 2004 a provoqué une chute brutale des ventes dans les restaurants yakitori d’Awata, qui comptaient alors plusieurs dizaines d’établissements. Ce revers a contraint l’entrepreneur à renoncer à ses projets d’introduction en bourse. Modifiant sa stratégie, il a décidé de se concentrer sur l’expansion de ses restaurants d’udon. Il a commencé par ouvrir un stand de nouilles dans un food court, une option plus économique, puis a ajouté des stands de ramen et de nouilles sautées, réalisant ainsi qu’il pouvait doubler, voire tripler ses revenus en proposant plusieurs types de cuisine dans un même espace.

La majeure partie de cette expansion a été financée par des prêts bancaires et les flux de trésorerie, jusqu’à ce que l’entreprise atteigne une taille suffisante pour être introduite en bourse en 2006, année où elle comptait déjà 100 restaurants Marugame Seimen. « Si l’épidémie de grippe aviaire n’avait pas eu lieu, je n’aurais probablement pas développé l’entreprise à une telle échelle », reconnaît-il. « Finalement, cet échec s’est transformé en une réussite majeure. »

L’idée de s’étendre à l’international est née après une visite à Hawaï en 2009, où la forte affluence de touristes a inspiré Awata à ouvrir son premier restaurant à l’étranger. Ce Marugame Udon, inauguré à Waikiki en 2011, réalise des ventes mensuelles dépassant les 100 millions de yens, ce qui en fait l’établissement le plus performant de tous ses restaurants à travers le monde, selon Awata.

À partir de 2015, Awata a investi plus de 9 milliards de yens dans une série d’acquisitions. Cette année-là, il a acheté Wok To Walk, une chaîne basée aux Pays-Bas, séduit par les longues files d’attente devant ses établissements. En 2016, il a acquis une participation de 49 % dans l’opérateur de la chaîne malaisienne Boat Noodle. L’année suivante, en 2017, il a renforcé son portefeuille avec l’acquisition des bars décontractés Banpaiya et des restaurants de ramen Zundo-ya au Japon. Enfin, en 2018, il a pris le contrôle de MC Group, opérateur de Monster Curry à Singapour, en acquérant 70 % de ses parts.

Comme beaucoup d’entreprises de restauration, Toridoll a été sévèrement touchée par la pandémie de Covid-19, enregistrant une perte de 5,5 milliards de yens pour l’exercice clôturé en mars 2021. Cependant, la société a rapidement retrouvé sa rentabilité, notamment grâce à l’augmentation des ventes à emporter et à des initiatives innovantes, comme les udon en pot et l’ouverture de son premier restaurant en drive-in. Les ventes à emporter représentent désormais entre 10 % et 20 % des revenus de Marugame au Japon, contre environ 2 % avant la pandémie. Awata met également un point d’honneur à diversifier les menus ; récemment, Marugame a lancé les « udonuts », des beignets moelleux à base de pâte à udon, saupoudrés de sucre en poudre ou de poudre de curry.

 

Une détermination sans faille

Autrefois amateur de semi-marathons pour rester en forme, Awata préfère aujourd’hui les promenades matinales, le jogging et le golf. Il est également passionné d’art contemporain, en particulier des œuvres de Lou Zhenggang, une artiste chinoise basée au Japon, connue pour ses peintures abstraites en noir et blanc. Sa collection est devenue si vaste qu’il a acheté une maison dans le prestigieux quartier de Hiroo à Tokyo, qu’il a transformée en galerie privée pour exposer les œuvres de l’artiste. Il y a même ajouté un comptoir de sushi dans le sous-sol.

Pour ce qui est de l’avenir, Takaya Awata a trois enfants adultes, mais il explique qu’ils ne reprendront pas l’entreprise familiale : « Ils suivent leur propre voie ». La société a indiqué qu’elle communiquerait ses plans de succession le moment venu. Awata visite fréquemment ses restaurants à l’improviste pour goûter les plats. La plupart du temps, le personnel ne le reconnaît pas, et il est traité comme un client ordinaire. « Il m’arrive parfois qu’on me demande de faire la queue, et j’obéis », confie-t-il.

En parallèle, Awata nourrit toujours le rêve de construire un empire mondial de la restauration. « J’ai cette ambition de diriger une grande entreprise », déclare-t-il. « Je n’ai pas l’intention de m’arrêter là. »


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