Les dirigeants ne se contentent pas de prendre des décisions, ils font des paris. Qu’il s’agisse de lancer un produit, de pénétrer un marché ou de restructurer une équipe, chaque décision stratégique comporte une part d’incertitude. Cependant, les dirigeants avisés savent que tous les paris ne se valent pas et que toutes les incertitudes ne suivent pas les mêmes règles.
La clé n’est pas d’éviter l’incertitude, mais de la comprendre, de travailler avec elle et de prendre des décisions en conséquence. C’est ainsi que les dirigeants passent de la fatigue décisionnelle à l’agilité décisionnelle, et c’est la raison pour laquelle ceux qui repensent le risque finissent par surpasser ceux qui y réagissent.
1. Adaptez votre stratégie au type d’incertitude
Les dirigeants doivent distinguer deux types d’incertitude :
- L’incertitude épistémique, où les inconnues sont connaissables et peuvent être réduites grâce à davantage d’informations.
- L’incertitude aléatoire, où l’avenir est régi par le hasard et où aucune quantité de données ne peut changer cela.
Comprendre à quel type d’incertitude vous êtes confronté vous aidera à définir votre réponse. S’il s’agit d’une incertitude épistémique, ralentissez. Recueillez davantage de données, recherchez des points de vue diversifiés ou testez un prototype.
Une étude publiée dans la revue Organizational Behavior and Human Decision Processes a révélé que les dirigeants qui prenaient le temps de réduire l’incertitude épistémique prenaient de meilleures décisions à long terme que ceux qui se précipitaient sans disposer d’informations suffisantes.
Lorsque l’incertitude est aléatoire, comme dans le cas des changements réglementaires, des modes de consommation ou des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, ne suranalysez pas. Agissez plutôt. Menez des expériences à petite échelle et à faible risque, et faites plusieurs petits paris qui vous permettront de tester différents résultats.
Netflix a compris cette distinction. Le passage radical du DVD au streaming impliquait une incertitude épistémique : comportement des consommateurs, contraintes de bande passante et droits sur les contenus. Au lieu d’opérer un changement radical, Netflix a testé son service, l’a affiné en fonction des retours en temps réel et l’a progressivement développé. Son succès ne tient pas à sa rapidité, mais à sa capacité à savoir quand faire une pause et apprendre.
2. Remettez en question le biais du « cas particulier »
Une erreur courante dans les environnements incertains est de croire que « notre cas est différent ». Ce biais du « cas particulier » alimente la surconfiance, qui pousse les dirigeants à ignorer les précédents et à supposer qu’ils vont défier les probabilités. Une étude publiée dans la revue Psychological Review montre que la surconfiance fausse les prévisions et empêche les dirigeants de voir les risques systémiques, même lorsque des données solides sont disponibles.
Les dirigeants stratégiques font le contraire. Ils fondent leurs décisions sur des données comparatives : qu’est-ce qui s’est passé lorsque d’autres ont tenté quelque chose de similaire ? Quelles variables se sont révélées les plus volatiles ? Cette approche ne consiste pas à jouer la carte de la sécurité, mais à apprendre plus rapidement.
L’échec de Target au Canada en est un bon exemple. En se précipitant sur le marché, l’entreprise a négligé les signaux d’alerte auxquels d’autres détaillants avaient été confrontés : goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement, préparation des magasins et adaptation culturelle. En considérant sa situation comme unique, elle a ignoré les précédents et en a payé le prix : deux milliards de dollars de pertes et une sortie complète du marché canadien.
Contrastez cela avec l’entrée prudente d’IKEA en Inde, qui a nécessité plus de dix ans de préparation. IKEA a compris la complexité du marché et a résisté à la tentation de reproduire son modèle européen. Au lieu de cela, la société a collecté des données, mené des projets pilotes et adapté ses prix et son agencement aux besoins locaux. Cette décision d’apprendre avant de se développer est aujourd’hui le moteur de sa croissance à long terme.
3. Pensez en termes de portefeuilles, pas de prédictions
Dans des environnements empreints d’ambiguïté, miser gros sur une seule stratégie est très risqué. Les dirigeants visionnaires adoptent une approche de portefeuille, en répartissant plusieurs petits paris sur différentes initiatives. Cela permet non seulement de limiter les risques, mais aussi d’accélérer l’apprentissage en multipliant les boucles de rétroaction.
Amazon en est un parfait exemple. De l’AWS au Kindle en passant par Alexa, son modèle d’innovation repose sur des expériences parallèles. Certains paris échouent (comme le Fire Phone), mais d’autres redéfinissent des secteurs entiers. Le secret ? L’évaluation des risques avant de miser, l’apprentissage rapide et le développement de ce qui fonctionne.
Cette approche est corroborée par une étude de McKinsey, qui a révélé que les entreprises qui adoptent une approche de l’innovation par portefeuille surpassent leurs concurrents en termes de croissance et de retour sur investissement, même en période de volatilité des marchés.
Dans le domaine du développement de produits, l’approche par portefeuille peut consister à prototyper trois solutions plutôt que de s’engager dans une seule. Dans le domaine des fusions-acquisitions, cela peut signifier tester des expansions régionales avant de se lancer à l’échelle mondiale. L’idée centrale est de privilégier la résilience plutôt que la précision.
4. Repensez votre approche du risque
L’incertitude n’est pas un problème à résoudre, mais une réalité avec laquelle il faut composer. Les meilleurs dirigeants ne cherchent pas à prédire l’avenir avec précision. Ils mettent en place des systèmes qui les aident à naviguer, à s’adapter et à apprendre. En reconnaissant les différents types d’incertitude, en remettant en question leurs propres hypothèses et en intégrant une certaine flexibilité dans leurs paris, ils passent d’une approche réactive à une approche stratégique. Le succès n’appartient pas à ceux qui misent gros, mais à ceux qui misent intelligemment.
Une contribution de Paola Cecchi-Dimeglio pour Forbes US, traduite par Flora Lucas
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