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#Metoo Chinois : Le Milliardaire Chinois Richard Liu Dans La Tourmente

Richard Liu
GettyImages

Chaque semaine, Forbes propose une série de reportages intitulée « Dark Capital », dans laquelle des journalistes décryptent les dessous du business opaque, à mi-chemin entre luxe et criminalité. Voici aujourd’hui le récit de Richard Liu, patron de JD.com et accusé de viol par une jeune étudiante chinoise.

C’est peu après 3 heures du matin, dans un immeuble de Minneapolis, que tout a commencé. Trois officiers de police s’approchent alors de la porte d’un appartement, un taser à la main pour l’un d’entre eux, une arme à feu pour un autre. Les policiers interviennent en fait suite à la déclaration d’un habitant de l’immeuble, qui affirme qu’une de ses amies, également résidente du même bâtiment, lui a envoyé un texto, car elle aurait été violée par un homme toujours présent dans son appartement. Lorsqu’un officier de police toque à la porte, la femme qui ouvre semble surprise. Les trois hommes pénètrent alors l’appartement et y trouvent un homme, couché sur le lit, vêtu d’un seul t-shirt. Ils le menottent immédiatement et l’escortent sans tarder hors du bâtiment.

Le monde entier découvrira quelques jours plus tard que l’homme en question était en fait Richard Liu, 46 ans, fondateur de JD.com et célèbre milliardaire réputé pour être l’un des hommes d’affaires les plus influents de Chine. Par la suite, il a déclaré à la police avoir eu des rapports consentis avec la jeune étudiante que cette dernière avait « appréciés ». À 21 ans, Liu Jingyao, qui à l’origine ne souhaitait même pas contacter la police, a finalement décidé de porter plainte contre le milliardaire pour viol et a ainsi été propulsée sur la scène internationale, s’exposant à la fois à l’admiration et aux regards critiques.

Réflexion faite, les autorités ont choisi de ne pas poursuivre Richard Liu en justice, invoquant une insuffisance de preuves. Au mois d’avril, Liu Jingyao a tout de même déclenché une procédure civile contre lui et JD.com, accusant l’homme d’affaires de viol et demandant à ce titre plus de 50 000 $ qu’elle a indiqué vouloir donner à des associations caritatives. Le milliardaire reste campé sur ses positions et clame toujours son innocence. Alors que les deux parties se préparent à la première audience qui aura lieu le mois prochain, l’affaire a pris une importance démesurée en Chine, où le mouvement #MeToo est en plein essor. Le procès fait l’objet de débats houleux et les détails sont fréquemment déformés sur les réseaux sociaux du pays.

Aucune des deux parties de cette affaire n’a souhaité faire de déclarations à Forbes pour cet article.

Richard Liu s’était rendu à Minneapolis en août 2018 en tant qu’étudiant doctorant en administration des affaires de l’Université du Minnesota. Cela paraît invraisemblable, mais le milliardaire (dont la fortune est estimée par Forbes à 7 milliards de dollars) a bien participé au programme universitaire, qui envoie des cadres chinois à Minneapolis pour une résidence d’une semaine à la Carlson School of Management, l’école de commerce de l’Université du Minnesota.

Liu Jingyao était pour sa part une étudiante de premier cycle universitaire qui souhaitait poursuivre des études supérieures à la Carlson School of Management. Elle travaillait par ailleurs bénévolement à l’accueil de ladite école de commerce lorsqu’un cadre participant au programme l’a invitée à dîner. La jeune femme a alors accepté mais, ne souhaitant pas se rendre seule au dîner, a proposé à un autre bénévole et ami de l’accompagner. Tous les détails de cette affaire sont décrits dans les comptes-rendus de ses entretiens avec la police et dans le cadre de son action en justice.

Elle a par la suite expliqué à des policiers qu’une fois dans le restaurant, une personne l’a fait asseoir à côté de Richard Liu alors que son ami a été dirigé vers une autre table. Au cours du dîner, elle se serait sentie obligée de boire sous peine de ne pas « perdre la face », ou ne pas perdre le respect des hommes assis à sa table. Le milliardaire a alors murmuré à son oreille et l’aurait invitée dans son jet privé. Plus tard, l’ami de Liu Jingyao a quitté la soirée.

La jeune femme a déclaré à la police être si ivre après le dîner qu’elle n’avait même pas la force d’appeler un Uber pour la ramener chez elle. À la place, elle a été conduite dans une limousine, accompagnée de Richard Liu et de ses assistants. Dans son accusation, elle affirme que l’homme d’affaires chinois lui a attrapé le bras et l’a poussée sur le siège arrière de la voiture, l’embrassant et la pressant de retirer ses vêtements bien qu’elle ait clairement fait comprendre son non-consentement, repoussant son agresseur à maintes reprises. L’homme qui avait été engagé pour être le chauffeur de Richard Liu à Minneapolis dit avoir vu le milliardaire attraper la jeune fille par le bras. En regardant dans le rétroviseur intérieur, il aurait vu son client allongé sur Liu Jingyao, mais n’a cependant pas pu confirmer si les ébats étaient consentis ou non.

Des images des caméras de surveillance de l’immeuble de Liu Jingyao la montrent au bras du milliardaire, se dirigeant vers son appartement. Selon les dires de l’étudiante, elle pensait que l’homme d’affaires l’aidait simplement à rentrer chez elle, mais une fois arrivés, il l’a suivie à l’intérieur et a tenté de la déshabiller. Il a fini par se calmer et s’est dirigé vers la salle de bain pour prendre une douche, mais a alors tenté de la faire venir dans la salle de bain avec lui. Elle explique qu’une fois tous deux dans la pièce, il l’a immobilisée puis violée : « Il me tenait les bras, il était bien trop fort pour moi. Je ne pouvais pas m’échapper, il essayait de retirer mes vêtements. J’essayais de le repousser ».

Richard Liu

Lors d’un entretien avec la police, Richard Liu a affirmé que la jeune femme l’avait aidé à prendre une douche puis qu’ils avaient eu un rapport sexuel. Jill Brisbois, l’avocat de la défense, a déclaré à Associated Press en avril que les images de vidéosurveillance montraient que l’étudiante n’était clairement pas affaiblie.

Plus tard dans la soirée, Liu Jingyao a envoyé des textos à trois amis, y compris celui qui l’avait accompagnée au dîner, leur expliquant qu’elle avait été violée. Un des messages envoyés à son petit ami en Chine raconte : « Il m’a traînée jusqu’au véhicule. Il a commencé à m’agresser une fois dans la voiture. Je l’ai supplié de me laisser tranquille. Maintenant tu sais. Mais je ne veux pas être sa maîtresse moi, je veux juste fuir ». Un autre texto poursuit : « Je ne pouvais pas m’échapper… Maintenant j’ai envie de mourir. Je t’en supplie. Je vais faire de mon mieux pour m’enfuir mais je t’en supplie, n’appelle pas la police ».

Bien qu’elle ait précisé dans ses textos ne pas vouloir impliquer la police, son ami qui était parti plus tôt du dîner a annoncé aux forces de l’ordre avoir appelé le 911 (le numéro d’appel d’urgence nord-américain) pour essayer de la soutenir. Mais après avoir coopéré avec les officiers de police le soir de l’agression, il a par la suite supprimé tous les messages et retiré ses déclarations à la police. Un inspecteur a écrit dans le rapport de police : « Il m’a rappelé pour me dire que ses propos concernant l’incident n’étaient pas factuels et que je devais les ignorer ».

Une source proche de l’enquête a annoncé que l’ami en question craignait des représailles de la part de l’homme d’affaires et a demandé une protection policière. Il n’a pas souhaité commenter l’affaire pour Forbes.

Les officiers de police ont menotté puis escorté Richard Liu hors de l’appartement, et par la suite Liu Jingyao a été interrogée par des policiers. Elle a ainsi passé des jours entiers dans le système judiciaire américain, qui lui était étranger et inconnu, et de plus sans avocat. Elle a répété plusieurs fois à la police avoir eu peur que le milliardaire utilise son influence pour riposter contre sa famille en Chine.

Les événements qui ont suivi ne sont pas des plus communs. La jeune femme a tout d’abord déclaré qu’elle avait été violée, mais quelques instants plus tard elle a changé sa version des faits, affirmant qu’elle n’avait pas été violée et qu’elle craignait d’avoir des ennuis en Chine. Pensant qu’elle ne voulait plus accuser Richard Liu de viol, la police a ainsi relâché l’homme d’affaires.

Quelques heures plus tard, après s’être entretenue avec des amies et des membres du personnel de l’université, Liu Jingyao a finalement appelé la police pour signaler le crime officiellement. Son assaillant a été arrêté sans tarder, mais la jeune femme a indiqué qu’elle ne voulait pas porter plainte, mais préférait plutôt recevoir des excuses et de l’argent de la part du milliardaire. Elle a d’ailleurs précisé à un inspecteur qu’à défaut de quoi, elle raconterait toute l’affaire aux médias.

Comme Liu Jingyao ne voulait pas engager de poursuites judiciaires, la police a relâché Richard Liu une nouvelle fois, et le milliardaire a pu rentrer en Chine. Le service de police de Minneapolis a fait connaître les exigences de la jeune femme à Jill Brisbois, l’avocat de l’accusé, décision relativement inhabituelle de la part des autorités. L’étudiante a déclaré à l’avocat lors d’une conversation téléphonique (qu’elle a enregistrée et transférée à la police par la suite) : « Je ne veux pas que mon nom soit publié dans un journal, non. Je veux juste une rétribution et des excuses, c’est tout ».

Jill Brisbois considère que sa demande d’argent constitue une extorsion de fonds et discrédite complètement la jeune femme. Cette dernière soutient que sa demande était un acte désespéré : « À ce moment, quand j’ai senti que je ne pouvais pas rivaliser avec lui, je voulais calmer les choses et j’ai pensé qu’il était complètement raisonnable de demander des excuses et une compensation financière… Je n’avais alors pas d’avocat et je pensais que son influence était bien trop importante », a-t-elle déclaré au média chinois Caijing en avril.

Forbes a pu consulter l’enregistrement de la conversation téléphonique, fournie par une source proche de l’enquête. À certains moments, Liu Jingyao paraît sûre d’elle dans sa demande, mais quand Jill Brisbois lui pose plus de questions, notamment sur le montant qu’elle souhaite recevoir, la voix de la jeune femme se brise et elle semble submergée par l’émotion : « OK, OK. Je ne sais pas. Je suis encore jeune ! Je ne sais vraiment pas ! Je ne sais pas et je, je ne peux pas [inaudible], je suis désolée, je ne sais pas ».

La plainte au civil de Liu Jingyao contre Richard Liu.

Aucune entente pour des excuses ou de l’argent n’a jamais été conclue. Finalement, Liu Jingyao a appelé la police, déclarant qu’elle voulait porter plainte. Son avocat, Wil Florin, explique que la jeune femme a pris sa décision en discutant avec ses parents en Chine, qui lui ont assuré qu’elle ne devait pas s’inquiéter pour eux. C’est parce qu’ils l’ont rassurée que l’étudiante a décidé d’engager des poursuites judiciaires, affirme Wil Florin, et non pas parce qu’elle n’avait pas reçu d’argent.

Entre-temps, Richard Liu était rentré en Chine. Mais sa photographie d’identité judiciaire a rapidement été diffusée sur les réseaux sociaux, en particulier dans son pays.

Richard Liu
Photographie d’identité judiciaire de Richard Liu

Deux anciens procureurs spécialisés dans les crimes sexuels, mais qui ne sont pas intervenus dans cette affaire, ont déclaré à Forbes qu’il était inhabituel pour une victime viol de demander de l’argent avant même que l’enquête criminelle soit terminée. Ils estiment tous les deux que cela pourrait expliquer pourquoi les procureurs ont finalement renoncé à exercer des poursuites judiciaires contre Richard Liu.

Selon Laurence E. Hardoon, un avocat spécialisé dans la représentation des victimes de violences sexuelles à Boston : « En règle générale, cela ne devrait pas compromettre la crédibilité. Dans un monde parfait, la sanction criminelle et l’argent sont des objectifs légitimes. Mais ce monde n’est pas parfait, et je pense que cela pourrait être utilisé pour décrédibiliser une victime ».

L’ascension de Richard Liu, dans un pays où la mobilité verticale est aussi honorable que difficile, est digne d’un roman. Élevé dans une famille pauvre de la campagne chinoise, il a impressionné tous les habitants de son petit village en étant admis à la prestigieuse université de Pékin. Selon un article du New Yorker : « Sa famille n’avait pas suffisamment d’argent pour payer son trajet jusqu’à la capitale, alors tous les habitants du village se sont cotisés. Ceux qui n’avaient pas d’argent lui ont donné des œufs pour se nourrir dans le train. Lors de sa première semaine à Pékin, il n’a d’ailleurs mangé que des œufs ».

Après avoir obtenu son diplôme, il un ouvert en 1998 un magasin d’électronique. Quelques années plus tard, il possédait 12 boutiques qui lui rapportaient environ 9 millions de dollars chaque année. Mais par la suite, une sévère épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a frappé la Chine et les gens ont commencé à avoir peur de sortir de chez eux pour acheter des biens non essentiels. Richard Liu a immédiatement anticipé le mouvement et a décidé de fermer ses magasins pour ouvrir une boutique en ligne. Son site internet JD.com a décollé très rapidement. Aujourd’hui, c’est même le deuxième plus grand commerce en ligne de Chine en parts de marché, et son réseau logistique tentaculaire est comparable à celui d’Amazon. Sa boutique en ligne est la plus importante du pays en termes de revenus.

Malgré son succès, Richard Liu n’est pas étranger au scandale. En 2015, il avait organisé à Sydney une soirée d’anniversaire pour Longwei Xu, un promoteur immobilier qui avait plus tard été condamné pour le viol d’une jeune femme également présente ce soir-là. Bien que le milliardaire ait assuré ne pas être lié au crime, ses avocats ont pourtant initialement déclaré qu’il ne connaissait aucune des deux parties de l’affaire et se sont battus pour que son nom ne soit pas révélé lors du procès criminel.

Depuis que Liu Jingyao a enclenché des procédures au civil, l’affaire captive le public chinois et chaque nouvelle information diffusée sur l’affaire crée de nouveaux débats sur les réseaux sociaux. Une pétition de soutien à la jeune femme a même circulé sur WeChat, une application mobile de messagerie chinoise, et compte des milliers de signatures. Pourtant la pétition a finalement été bloquée, de même que certains comptes qui l’avaient partagée. Personne ne sait si le gouvernement est impliqué dans cette censure, mais il n’est pas rare que des appels à l’action soient bloqués en Chine.

L’affaire a été particulièrement défendue par le mouvement #MeToo, qui est en plein essor en Chine malgré ses difficultés à maintenir son élan du fait de la censure du gouvernement. Pour Lu Pin, une activiste féministe aujourd’hui exilée dans l’État de New York, Richard Liu est l’homme le plus en vue à être accusé de violences sexuelles depuis que le mouvement a commencé à se développer dans le pays l’an passé. Les hashtags #HereForJingyao et #IAmNotAPerfectVictimEither circulent sur le réseau social chinois Sina Weibo.

Mais Liu Jingyao a également été confrontée à des détracteurs convaincus. Selon Business Insider, fin avril, un internaute anonyme a posté sur les réseaux sociaux une version modifiée d’images de vidéosurveillance destinées à discréditer la jeune femme. Des images du dîner au restaurant montrent l’étudiante assise à quelques mètres de Richard Liu, insinuant ainsi qu’elle aurait menti sur le déroulement de la soirée, mais la vidéo complète montre bien les deux individus assis l’un à côté de l’autre le reste du temps. Un autre extrait les montre marcher tous deux bras dessus, bras dessous jusqu’à l’appartement de la jeune femme, alors que cette dernière avait bien expliqué être trop ivre pour rentrer toute seule chez elle. Les partisans de l’homme d’affaires se sont multipliés lorsque le service de police de Minneapolis a annoncé que Liu Jingyao demandait une contrepartie financière à son assaillant.

Pour sa part, Richard Liu traque ses détracteurs en ligne. En mai, il a poursuivi un internaute en justice pour diffamation. Le mois dernier, il a intenté un autre procès pour diffamation, cette fois contre MaKuSiShuo, une internaute féministe. 

Malgré tout, certains soutiens de Liu Jingyao prévoient de se rendre dans le Minnesota en septembre pour la première audience, au cours de laquelle un juge devra décider si un tribunal américain a compétence sur JD.com, une entreprise étrangère, qui est également défenderesse dans cette affaire. Contacté par Forbes, l’avocat de JD.com, Peter Walsh a estimé que les réclamations de la jeune femme étaient « sans fondement » et que l’entreprise comptait « se défendre bec et ongles ».

Lu Pin a déclaré que de nombreux militants chinois souhaitaient être présents pour soutenir Liu Jingyao. Ils ne sont pas impressionnés le moins du monde par les critiques qui peuvent être adressées à la jeune femme. « Une victime peut demander de l’argent comme peine. Cela ne veut pas dire qu’elle a conçu un piège simplement pour lui soutirer de l’argent », ajoute la militante.

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