Le terme « Metaverse » a été inventé par l’écrivain de science-fiction et d’uchronie* par l’américain Neal Stephenson. il a été le premier à le décrire en 1992 dans son roman : « Le Samouraï virtuel » (« Snow Crash »). (*réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé.)
Vers un post Internet ? Vers une dystopie concrétisée à moyen terme ?
Si le terme est à la mode, il recouvre des technologies et des concepts différents selon ceux qui l’utilisent. Indifféremment, il désigne les univers de jeu et de simulations « immersifs », les plateformes virtuelles de collaboration, la réalité augmentée, ou encore, et c’est cas de la vision portée par Mark Zuckerberg, une utopie technique, sociale et économique bien plus vaste et profonde, que préciserons. Rappelons la définition du terme « Utopia » : un lieu ou un état de choses imaginaire dans lequel tout est parfait.
Un concept « utopique » à 800 milliard de dollars très concrets.
Lorsque « Facebook » est devenu « Méta », la firme cherchait un second souffle : elle vivait sur un capital utilisateur que la firme aurait eu bien du mal à renouveler face à la concurrence, Tik tok etc. Impossible de se réinventer. Par ailleurs, son image a été, depuis sa création, régulièrement ternie par moult scandale… Stratégiquement, en changeant le nom, elle prenait sémantiquement le leadership du tournant « Metaversien », appuyé par une communication « faussement » dystopique, Meta vendant ni plus ni moins qu’un « après Internet ». Le tout dans un contexte de difficultés de trésorerie récurrentes, de recettes publicitaires en baisse, et pour tout dire la perte de l’image d’innovateur de rupture qui a fait la réputation de la firme. L’ambition de Zuckerberg est donc d’initier la norme future dans ce domaine, comme Facebook a été la norme initial des plate-formes de réseaux sociaux.
Séduit par cette glorification, conforté dans leur dynamique par une pandémie nécessitant des expériences clients augmentées sans possibilité de présentiel, les projets métavers embryonnaires* (*Nous y reviendrons) et partiels (sans équipement) ou totalement immersifs se sont multipliés, s’appuyant, pour leur dimension marchande et pour les « immersifs » sur les Non-Fungible token, (NFT). Durant la période pandémique traversée ces Metavers embryonnaire sont sorti progressivement de l’univers usuellement réservé au « gaming » : les entreprises, les états, les collectivités, tous les acteurs économiques de la société pressentant, à juste titre, un nouvel Eldorado économique. Le métavers est vu, par de nombreux secteurs comme « The Place to be » dans l’amélioration de l’expérience client. Et pour cause : quelques chiffres « parlant » ont été portés à leur connaissance par le blog du modérateur en 2022 en terme financier le cabinet Bloomberg évoque un revenu de l’ordre de 800 milliards de dollars en 2024.
Le Metavers n’existe pas encore, il n’existera peut-être « jamais »…
L’avènement du metavers tel que Méta le promeut, n’a pas, selon les experts, réellement commencé. Méta ne le nie pas puisqu’il l’annonce pour dans une vingtaine d’année. Soyons précis lorsque nous parlons de Metavers ! À ce jour, au risque de surprendre, de Metavers au sens strict, il n’en existe pas ! Les metavers vendus n’en sont pas non plus ! Explication : La réalité virtuelle des jeux en ligne implique une séparation entre le monde réel et le monde digital proposé, sans juxtaposition de l’espace-temps. Soit vous intéragissez avec l’un, soit avec l’autre. La réalité augmentée n’est pas non plus, à elle seule, un metavers, mais l’ajout d’une surcouche digital au monde réel (sous la forme d’information en direct sur l’environnement, par exemple.
Le véritable metavers ne pourrait voir le jour qu’avec l’avènement de la réalité hybride.. (Mixed Reality) impliquant la possibilité d’interagir simultanément avec le monde réel et le monde virtuel, par la présence par exemple d’avatars dans l’environnement quotidien des utilisateurs (sous la forme d’hologrammes ?). Le rêve ultime ? que cet environnement « enrichi » se fasse sans dispositif d’interface pour l’utilisateur, la mise en relation avec le metavers se faisant par le biais de dispositifs omniprésents dans l’environnement réel : une galaxie de capteurs, synthétiseurs de voix et projecteurs 3D qui va plus loin que l’Internet des objets puisque ces dispositifs connectés seraient autonomes, grâce au déploiement d’IA de prochaine génération.. et l’ensemble dans un monde post westphalien (sans frontière) et accessible à toutes et tous… nous pensons que vous mesurez le chemin.
Un Metavers dans quarante ans ? Des experts divisés !
Un metavers annoncé à l’horizon 2040 divise la communauté d’experts quant au réalisme de cette échéance : 46% des interviewés par l’enquête de Pew Research Center en juin 2022 pensent cet horizon inatteignable (Janna Anderson et Lee Rainie « the metaverse in 2040 », Pew Research Center, juin 2022, www.pewreasearch.org). ! D’autres chercheurs, experts du domaine, à l’instar du Professeur Michel Beaudouin-Lafon (professeur au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN – unité CNRS/Université Paris-Saclay) sont tout aussi dubitatifs. Dans une interview pour le Journal CNRS, le 27 janvier 2022, accordé à Sebastián Escalón titrée « Le métavers au carrefour des illusions », ce dernier livre une analyse sans concession. Sa conclusion reboucle sur la définition de ce qui serait constitutif d’un véritable Metavers : « Est-ce que, vraiment, le métavers de Mark Zuckerberg est le meilleur modèle ? Moi je pense que c’est un univers assez étriqué car il crée un environnement virtuel modélisé sur l’environnement physique. »
Une révolution « potentiellement » colossale face à des prérequis vertigineux !
Mené à son terme, un Metavers « mixed reality », méritera le terme de « révolution ». Toutefois les prérequis donnent le vertige : dissémination de capteurs, de synthétiseurs de voix, de projecteurs holographiques ou non dans l’environnement des usagers, développement d’une IA de nouvelle génération (IA quantique ?) avec un haut niveau de fiabilité et de vitesse de réponse, sans parler de l’intégration des dispositifs dans les appareils et bâtiments existants. Par ailleurs, le contexte de son développement est porteur de nombreuses craintes et réticences :
- Risque perçu de renforcer les régimes totalitaires : comme le souligne l’avocate Laure-Alice Bouvier si les métavers dédiés à la vie publique pourront être vendus par les autorités comme « un moyen de favoriser la participation des citoyens à la vie démocratique » l’avocate prévient « que les régimes autoritaires pourraient l’instrumentaliser à des fins de manipulation politique »,
- Risque de favoriser le « capitalisme de surveillance ».
- Inquiétude sur les dérives comportementales et sociétales induite par les NTIC (notamment les réseaux sociaux)…
- Inquiétude sur l’empreinte environnementale, la raréfaction et la surenchère des prix des matières premières !…
« Meta », en tant qu’en Entreprise-Nation semble faire fi de ces questions, la logique est purement financière et commerciale et peut-être guidée en partie par l’orgueil. Le marketing, lui, reprend toutes les codes avec lesquelles le progrès technologique a été vendu aux masses depuis longtemps : le Metavers, c’est plus d’efficience sanitaire, éducative, professionnelle, plus de simplicité au quotidien, plus de liberté pour chacun. Lik-Hang Lee et Al. (All one needs to know about metaverse : a complete survey on technological singularity, virtual ecosystem and research agenda, journal of Latex class Files N°8, septembre 2021.) posent clairement l’ensemble de ces enjeux.
Si l’économique va alors.. tout va ?
Par-delà, les réserves des experts que nous portons à votre connaissance, des cabinets prestigieux soutiennent l’opportunité économique de ce « virage » Metaversien, il est ainsi estimé à 800 milliards de dollars en 2024 par Bloomberg Intelligence et 1,5 trilliard de dollars en 2030 selon PwC. Ces chiffrent ne doivent pas occulter des échecs cuisants : : dans certains secteurs comme l’immobilier – achat de terrain dans le « métavers » actuel – la bulle spéculative a déjà explosé – Terrains de jeux des marques, les investisseurs ont acheté des terrains pour les revendre rapidement au prix fort. « Selon un rapport de Chainalysis, le coût de l’immobilier virtuel aurait augmenté de 879 % entre septembre 2019 et mars 2022 ». En aout 2022 the Information titrait : « The Metavers Real Estate Boom Turns Into a Bust » (le boom immobilier du « métavers » se transforme en effondrement) pointant une chute vertigineuse de 66% des biens achetés.
Ce chiffre vertigineux ne doit pas non plus masquer des débuts laborieux pour certains. pour Meta qui souhaitait prendre le leadership, les faits sont sans appel : « Horizon Tour » ne séduit ni en interne ni en externe, les objectifs d’utilisateurs ont été revus à la baisse. Comme le note Marie Terrier « la firme à vu son bénéfice net fondre à 4,4 milliards de dollars au troisième trimestre (-52% sur un an) et son chiffre d’affaires baisser de 4%, à 27,7 milliards de dollars, selon les données présentées ce mercredi par le patron. Au lendemain de ces résultats le jeudi 27 octobre, 2021 Meta perdait 23% à l’ouverture de Wall Street.». Quant aux emplois la firme annonçait, le 9 octobre 2002 la suppression de 11 000 emplois, soit 13% de son effectif, quand la même firme annonçait le 18 octobre 2021, un plan d’embauche étalé sur cinq ans pour son prochain grand projet technologique, dont 10 000 emplois en Europe. De quoi laisser les observateurs et les investisseurs dubitatifs… Derrière les chiffres mirobolants annoncés par les différents cabinets, la réalité terrain montre déjà des limites, avant même l’avènement du Metavers ultime – tel que nous l’avons précisé – d’où la nécessité pour les entreprises de réfléchir par deux fois à leurs stratégies immersives.
Une duplication du monde pensable, une bulle spéculative vraisemblable !
La duplication du monde au travers de ces univers immersifs est « pensable ». Le principe de réalité, c’est qu’il n’y aura pas demain quatorze ou quinze « métavers » (non mixed reality) majeurs et viables comme aujourd’hui, mais – si la tendance perdure – des milliers, voire des millions, plus ou moins finalisés, plus ou moins rentables disséminés de par le monde. La prudence demeure de mise. Le quantitatif d’embryon de Metavers qui vont naître est aujourd’hui impossible à estimer ! Par ailleurs chaque État voudra avoir le sien propre et surtout le maitriser, à savoir surveiller les métavers naissants (cf. souveraineté numérique) leur imposer des contraintes permettant d’instaurer une gouvernance que les entreprises-nations voudront disputer !
Nous dirigeons-nous dès lors vers de multi-constellations à savoir des « Intrametavers embryonnaire» étatique ? Cela nous semble plus crédible qu’un Metavers mixed reality holistique. On voit mal en effet pourquoi des états qui luttent aujourd’hui pour constituer des sanctuaires informationnels à l’abri des « idées corruptrices » de l’Occident accepteraient-ils demain une hégémonie dont ils ne seraient pas maître dans le quotidien de leurs citoyens ? Certainement pas pour de simples raisons de performances des systèmes impliqués.
Quid du Metavers « ultime » ?
Un Metavers « ultime » appuyé par les NFTS est pensable nous ne doutons nullement que ce qui est concevable par l’homme est réalisable. Toutefois ce Monde virtuel posé à côté du monde, et selon la définition que nous avons porté à votre connaissance, qui est celle d’un Metavers, non pas d’un artefact de Metavers multiples et singeant le gaming… est improbable, pour ne pas dire impossible à l’horizon de vingt ans. La technologie va plus vite que l’intelligence collective, beaucoup plus vite ! Internet a rapidement montré ses limites, dès lors que le monde marchand a investi la place : « humains trop humains », était un ouvrage pour esprit libre, nous voilà arrivé à « Technologie trop technologie » un ouvrage non écrit pour esprits asservis !
L’humain a été renvoyé pas à pas à son rôle de consommateur, très éloigné des savoirs qu’il se devrait de maitriser pour garder le contrôle de technologies qui se font de plus en plus intrusives et qui sont souvent dévoyées, le rendant très vulnérables à toutes les formes d’escroqueries . Si ce metavers devait voir le jour, dans une bonne centaine d’année, nous pensons qu’il pourrait prendre la forme d’un un artefact holistique, proposant un monde ouvert, dans des limites définies par les états, il serait un monde d’apparence sans frontière, fondée sur un panem et circences, consensuel… pour supporter la vie réelle, et encore un monde accessible aux plus nantis, une came pour le citoyen du monde… un monde ou les guerres persistent et ou les vies sont dures.
Internet a donné le « la » d’une utopie qui aura été dévoyée par le monde marchand, à ce jour. Il demeure toujours difficilement contrôlable par les états, qui voit en Internet un contre-pouvoir citoyen dérangeant, en capacité d’intervenir dans la vie publique, à cela s’ajoute la censure contournable, les fake news, l’astroturfing, les fake reviews (CHATELAIN Yannick. 2018. « Lutte contre les « fake reviews »,: le bon sens plutôt que la loi », Contrepoints.org, 18 février 2018) le harcelèment, et enfin l’improbable « souveraineté numérique » si souvent évoquée. Cette dernière ne pourrait se véritablement concrétiser qu’au travers d’intranet nationaux, c’est-à-dire un fractionnement et une déconstruction progressive de l’Internet, une voie déjà empruntée par des régimes autoritaires comme l’Iran !
Avec RuNet, la Russie est dans la même dynamique… En France comme ailleurs le Metavers investi le discours politique, dès le 17 mars 2022 Emmanuel Macron avait parlé d’un Metavers européen institutionalisé selon ces termes « Il faut] se battre pour créer un métavers européen. Il le faut (…) pour ne pas dépendre d’agrégateurs américains ou chinois. C’est très important pour défendre le droit à créer. « sans qu’on ne comprenne véritablement les contours de la chose, affirmant vouloir un « Metavers pas français, mais pas mondial non plus »… Nous avouons ne pas comprendre très exactement ce à quoi le président pense, toutefois la France, au travers de ces mots, s’aligne sur la ligne de départ. Dubaï en est déjà à l’étape supérieure. : « Dans son communiqué de presse, diffusé sur WAM – l’agence de presse officielle qui apprécie l’État – le gouvernement de Dubaï, en son représentant le prince héritier Hamdan bin Mohammed, a présenté son projet de « stratégie metaverse ». Cette démarche est inédite. En effet, c’est la première réforme d’État qui entend créer les infrastructures pour – peut être – gouverner un espace virtuel. ».Le lecteur comprendra que, de fait, le Metavers ultime, mondial et mixed-reality… l’après-Internet Metaversien pour homme libre dans un Monde qui deviendrait post- Westphalien rencontrera beaucoup d’obstacles !
“Le progrès n’est que l’accomplissement des utopies.” Disait Oscar Wilde, il n’avait pas tord, mais pour certaines, cette utopie va demander de grand progrès du genre humain !
Par Yannick Chatelain, professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM) et Jean Marc Huissoud, professeur et chercheur, Relations Internationales, Stratégies d’internationalisation, Grenoble École de Management (GEM)
<<< A lire également : Comment faire du métavers une réalité ? >>>
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