L’Assemblée Nationale vient d’adopter, contre l’avis du gouvernement, un amendement visant à soumettre à l’impôt les bénéfices « détournés ». Ce texte a la prétention de résoudre la question de la répartition des bases d’imposition des entreprises multinationales par un texte de droit interne contournant les dispositions des conventions fiscales bilatérales. Certains ont immédiatement parlé de « Google tax à la française».
Depuis que la Société des Nations, ancêtre de l’ONU, a jeté les bases de la fiscalité internationale, le partage des bases d’imposition entre Etats repose sur deux piliers : une entreprise n’est taxable que dans les pays où elle « exerce son activité », et les filiales d’un groupe sont censées se comporter comme des entités indépendantes. Ces deux principes sont à la base de la notion d’établissement stable et du principe de prix de pleine concurrence.
L’évolution de l’activité des entreprises a rendu l’usage de ces deux notions de plus en plus délicat pour plusieurs raisons :
- Les techniques modernes ont rendu de plus en plus facile la vente de biens ou la fourniture de services dans un pays sans y être établi ;
- La création de valeur repose de plus en plus sur des actifs immatériels (marques, brevets…) que l’on peut dissocier de l’activité de fabrication ou de commercialisation, et les isoler dans une entité distincte du groupe, qui facture les autres entités.
- Les transactions entre entités d’un même groupe deviennent très différentes de celles qui se pratiquent entre entités indépendantes ; il devient impossible de déterminer un prix de pleine concurrence.
Nouveau visage de l’économie mondiale
Ce sont donc les principes mêmes sur lesquels repose tout l’édifice qui se révèlent inadaptés au nouveau visage de l’économie mondiale. Ce n’est donc pas en prétendant les modifier à la marge (par une redéfinition de la notion d’établissement stable, ou par une présomption d’existence d’un tel établissement) que l’on résoudra le problème. De deux choses l’une : ou ces modifications sont vraiment, comme l’affirment leurs auteurs, compatibles avec les conventions fiscales, et elles seront inefficaces ; ou elles réussissent à déplacer les lignes, et elles ne sont pas conformes aux conventions et risquent de créer des doubles impositions. Ce que d’aucuns ont d’ores et déjà appelé une « Google tax à la française » pose une vraie question de fond.
En 1995, les Etats-Unis ont souhaité remplacer la règle du prix de pleine concurrence par des méthodes de partage de profits. A l’époque, en France, il y a eu une union sacrée entre le gouvernement et les entreprises pour s’opposer à cette initiative, le premier craignant que de telles méthodes n’aboutissent à des marchandages où l’Etat le plus puissant emporterait la mise, et les secondes redoutant une plus grande vulnérabilité en cas de contrôle. Les Etats-Unis ont dû se contenter de la possibilité d’utiliser le partage de profit non pas sur l’ensemble d’une entité mais pour certaines transactions, et uniquement lorsque les méthodes de prix se révèleraient inadaptées.
Approches des Etats unilatérales
Vingt ans ont passé, l’économie a changé, et le rejet de l’optimisation fiscale est tel que la priorité des Etats n’est plus d’éviter les doubles impositions mais les doubles exonérations. Ils n’hésitent plus à adopter des approches unilatérales, même s’il faut prendre le risque d’impositions multiples.
Le moment est peut-être venu, pour les Etats, de réfléchir en termes de changement de système et non de simple évolution des règles existantes. Quant aux entreprises, et aux organisations qui les représentent, elles doivent se poser la question de savoir si la tactique consistant à retarder les évolutions est toujours payante ou si l’insécurité et les doubles impositions ne vont pas atteindre un niveau tel qu’il vaudra mieux collaborer à l’émergence d’un système nouveau.
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