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Matt Calkins : Entre Champion De Jeux De Société Et Millionnaire Geek

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GettyImages

Êtes-vous un champion des jeux de stratégie complexes ? Si oui, vous pourriez avoir les aptitudes nécessaires pour devenir un magnat de la programmation, à l’image de Matt Calkins.

« Je pense que je devrais présenter mes excuses », concède Matt Calkins à son adversaire alors qu’ils se serrent la main. Nous sommes en milieu de soirée dans une cafétéria du Seven Springs Mountain Resort (Pennsylvanie) et Matt Calkins vient de jouer un coup décisif dans sa partie de Sekigahara. Lorsqu’on lui souffle que ce n’est qu’une question de chance, son adversaire secoue la tête : « Tu m’as tendu un piège ».

De la chance ? Balivernes. Matt Calkins est un génie des jeux de société. Ce n’est pas innocent lorsqu’on est un entrepreneur accompli. Lorsqu’il ne conçoit pas ou ne joue pas à des jeux de société, le millionnaire dirige Appian Corporation, une entreprise sise à Reston, en Virginie, qui fournit des logiciels afin d’aider les entreprises à développer des applications plus rapidement. La société, introduite en bourse en 2017, vaut 2,1 milliards de dollars, et Matt Calkins en possède un peu moins de la moitié.

Le championnat tenu à Seven Springs en juillet dernier a attiré plus de 1700 joueurs dans les Monts Allegheny, au sud-ouest de la Pennsylvanie, afin de s’affronter dans 185 jeux différents. Mais Matt Calkins ne s’est pas rendu à l’événement en tant que seul joueur : il a en effet créé deux de ces jeux. Le premier, Sekigahara est une simulation de combat de shoguns japonais, et le deuxième, Tin Goose, met au défi les joueurs de créer l’une des premières compagnies aériennes commerciales.

Dans sa deuxième vie, Matt Calkins, 46 ans, est le cofondateur d’Appian. Il y a 20 ans, l’entreprise développait des outils informatiques, comme un portail intranet pour l’armée américaine. Depuis 2014, la société s’attaque à la question de la numérisation, qu’elle souhaite rendre moins complexe pour les programmeurs. Grâce au logiciel d’Appian, une société cliente peut créer ses propres applications (pour les clients d’une banque afin qu’ils regardent leur compte, ou un organisme gouvernemental afin de gérer ses paiements), à un prix plus attractif que si elle le faisait seule.

Mais quel rapport avec la conception de jeux ? Dans les deux cas, il faut décomposer chaque concept ou chaque règle jusqu’à son fonctionnement le plus simple. Calkins explique : « J’aime comprendre les choses compliquées et les rendre accessibles ».

Le millionnaire américain a grandi au nord de San Francisco, d’un père promoteur immobilier et professeur de mathématiques. Petit, il passe son temps à aller camper, étudier la musique et jouer aux jeux vidéo. Au Dartmouth College, dont il est diplômé en 1994 en tant que major de promotion en économie, Matt Calkins passe du jeu de stratégie Diplomacy aux subtilités des stratégies de jeu (l’un de ses articles explique par exemple à quel moment une équipe de hockey perdante devrait faire sortir son gardien de but). Il prend ensuite quelques cours d’informatique, puis rejoint après ses études MicroStrategy, une entreprise commercialisant des logiciels qui connaît un succès fulgurant sur la Toile (avant de subir un krach boursier).

En 1999, Matt Calkins et trois de ses amis apprennent ensemble les langages de programmation. La même année, l’Américain quitte MicroStrategy et fonde Appian avec eux. Il raconte : « Je me suis dit que je pouvais le faire. La confiance est un atout ».

D’autres start-up ont fait une percée fracassante après avoir réuni d’importantes sommes auprès d’investisseurs de capital-risque, puis se sont évanouies tout aussi rapidement qu’elles étaient arrivées. C’est Matt Calkins qui a amorcé le mouvement. L’entreprise Appian n’a pas cherché à obtenir d’importants financements extérieurs avant 2008, lorsqu’elle collecte 10 millions de dollars, puis 36 millions de dollars sous l’égide de la société de capital-risque NEA en 2014.

La spécialité d’Appian, c’est le low code. En fournissant des éléments de programmation aux entreprises, la société diminue le temps nécessaire à un client pour développer sa propre application. Appian s’occupe des détails techniques, tels que la compatibilité avec les navigateurs internet, les appareils mobiles et les ordinateurs. Les clients comme Sprint et Bayer AG ont ainsi l’esprit plus tranquille ; chez Goldman Sachs, même les ingénieurs les plus qualifiés ont eu recours à Appian afin de développer des programmes rapidement, sans avoir à les coder depuis le début. Calkins précise : « Ce logiciel n’est pas simplement plus rapide, il est également plus puissant ». 

Les commandes pour Appian se sont multipliées lorsque les entreprises ont réalisé que leurs clients attendaient des expériences de navigation similaires à leurs applications pour smartphone préférées. Les ventes et les titres, presque équivalents au triple de leur prix d’introduction en bourse, se sont envolés. Ce n’est pourtant pas le cas des bénéfices, puisque comme de nombreuses entreprises de logiciels-services, Appian fonctionne à perte afin de soutenir ses secteurs marketing et R&D.

Alors qu’il dirigeait l’entreprise en croissance, Matt Calkins n’a pas pour autant laissé de côté la compétition de jeux de société. Il a récupéré plus de 700 jeux et étudie leur fonctionnement. Depuis presque 20 ans, il est un habitué des championnats du monde de jeux de société, mais s’absente de temps à autre pendant la compétition, par exemple pour se rendre à une conférence de la banque américaine Morgan Stanley, un an avant l’introduction en bourse de sa société.

Selon Calkins, les jeux offrent une boucle de rétroaction claire. En effet, chaque partie commence sur un pied d’égalité ; il n’y a que deux issues, la victoire ou l’échec. Le millionnaire ne perd pas souvent, mais quand c’est le cas, il recrée la situation et passe sa nuit à l’étudier. « Quand je rentre d’un tournoi, mon cerveau fonctionne à mille à l’heure. C’est comme si les parties passaient au ralenti, parce que j’observe tous les détails et toutes les personnes autour de la table ».

L’un des groupes concurrents à Appian est Pegasystems. La société, sise à Boston, est dirigée par Alan Trefler, un autre millionnaire diplômé du Darmouth College. Il est également, sans surprise, co-champion du monde d’échecs en 1975. Selon Alan Trefler, « pour jouer aux jeux de société, il faut perfectionner sa technique afin de reconnaître les stratégies, évaluer les possibilités et développer un sixième sens pour éviter les erreurs. Si vous perdez votre concentration, c’en est fini pour vous. Il en est de même dans les affaires ».

La conception de jeux de société force Matt Calkins à fouiller dans des récits historiques et des centaines de possibilités afin de mettre au point un ensemble de règles cohérent. Le résultat doit également être amusant ; ses amis considéraient même la première version de Sekigahara comme fastidieuse et trop complexe. Les besoins des clients Appian nécessitent une attention similaire.

Les univers des jeux et de l’informatique se croisent donc chez Appian, qui se targue même d’avoir sa propre collection de jeux de société. Tous les mois, les employés sont invités à des soirées jeux chez Matt Calkins, y compris les 42 stagiaires qui ont participé l’année dernière. « Les jeunes employés veulent tous essayer de le battre. Mais peu y parviennent », explique David Metzger, talentueux vice-président de l’entreprise qui a fait la connaissance du millionnaire au championnat de jeux de société, avant de rejoindre Appian. Le défi suffit à garder les jeunes talents dans l’entreprise, pour qu’ils ne se tournent pas vers d’autres aventures dans la Silicon Valley. Joel Fishbein, analyste chez BTIG, constate que bien qu’Appian dispose d’une position de choix sur le marché de la technologie et de relations solides avec des cabinets de conseil comme Accenture, PwC et KPMG, elle a du mal à faire percevoir la catégorie de ses services. Certes à ses débuts, la société n’a pourtant pas l’attrait d’une intelligence artificielle ou de fusées.

Cet été, Matt Calkins sera de retour à Seven Springs pour améliorer sa performance de 2018 (il avait alors raflé deux catégories, pour finir septième). L’attention ne le trouble pas pour autant, puisqu’il prévoit de continuer à résoudre des problèmes dans les deux univers pendant encore un moment. Selon lui : « Votre dernière partie vous définit. Ne dites pas qui vous êtes. Asseyez-vous simplement et montrez-le ».

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