Alors que le marché automobile européen fait face à une baisse des ventes et à une adoption plus lente que prévu des véhicules électriques, les constructeurs doivent naviguer entre incertitudes réglementaires et évolutions technologiques. Louis-Carl Vignon, président de Ford France, revient sur les stratégies mises en place pour s’adapter à ces défis et sur les perspectives d’avenir de l’industrie.
Depuis votre retour à la présidence de Ford France en 2017, quelles ont été vos priorités et vos principales réalisations ?
Lorsque j’ai repris la direction de Ford France en 2017, l’entreprise sortait d’une période d’instabilité, notamment vis-à-vis de son réseau de distribution. Il était essentiel de retrouver une dynamique solide. Nous avons d’abord concentré nos efforts sur le renouvellement de notre gamme de produits, puis nous avons amorcé la transition vers l’électrification. Ces six derniers mois, cette transition s’est accélérée avec une orientation marquée vers le tout-électrique.
Nous avons également travaillé à la consolidation de notre réseau, car Ford a la particularité de ne pas avoir de filiale dédiée à la distribution. Cette situation nécessitait un engagement fort pour redonner confiance à nos partenaires et embarquer l’ensemble du collectif dans cette transformation.
En 2022, Ford a restructuré son organisation avec le plan Ford+. Qu’est-ce que cela a changé pour Ford France ?
Jusqu’en 2022, Ford fonctionnait avec une organisation traditionnelle : un siège mondial et des sièges régionaux. Mais avec Ford+, nous avons repensé notre structure autour de trois grandes entités : Ford Blue, pour les véhicules thermiques, Model e, pour l’électrique, et Ford Pro, qui regroupe qui regroupe un ensemble de services pour accompagner la productivité des entreprises : les véhicules utilitaires, le financement, l’entretien, la recharge et la gestion 100% connectée des flottes automobiles..
Ford France fait partie du comité de direction européen, qui regroupe cinq pays majeurs – Angleterre, Allemagne, France, Italie et Espagne – et qui reporte directement aux États-Unis. Cette nouvelle organisation nous permet d’avoir une approche plus segmentée et adaptée aux spécificités de chaque marché.
La fin du thermique en Europe est un enjeu majeur. Quelle est la position de Ford sur cette transition ?
Ford s’est engagé à devenir neutre en carbone en Europe d’ici 2035 et au niveau mondial d’ici 2050. Cette ambition ne concerne pas uniquement nos véhicules, mais aussi l’ensemble de notre chaîne de valeur, de la production à la logistique. Contrairement à d’autres constructeurs, nous n’avons pas demandé de report de l’échéance de 2035. Nous savons que cette transition représente un défi, notamment sur la question des pénalités, mais nous croyons en notre capacité à nous y adapter.
D’ici fin 2025, notre gamme sera entièrement renouvelée et comprendra une offre complète de véhicules et utilitaires électriques. Le lancement du Puma Gen-E au deuxième trimestre s’inscrit dans cette dynamique.
Les ventes de véhicules électriques ralentissent en France. Comment l’expliquez-vous ?
Effectivement, l’électrification représentait 17 % des ventes automobiles en France l’an dernier, avec une disparité marquée entre les particuliers (22 %) et les entreprises (14 %). En janvier, nous avons observé une augmentation chez les entreprises (19 %), tandis que les ventes aux particuliers ont légèrement fléchi.
Cette évolution s’explique en partie par l’instabilité réglementaire en France. D’un côté, le gouvernement affiche une volonté de transition écologique, de l’autre, il réduit les aides comme le bonus écologique, ce qui crée un signal contradictoire pour les consommateurs. Or, la voiture reste le deuxième poste de dépense des ménages, qui attendent des garanties avant de franchir le cap de l’électrique.
Quels leviers peuvent permettre d’accélérer cette transition ?
Il est essentiel d’avoir une approche homogène à l’échelle européenne. Une meilleure harmonisation fiscale et des réglementations plus cohérentes faciliteraient l’adoption de l’électrique. Aujourd’hui, les différences de traitement entre pays créent une distorsion du marché.
Par ailleurs, les infrastructures jouent un rôle clé. L’Europe a déjà bien avancé sur le déploiement des bornes de recharge, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires. Il en va de même pour les aides aux entreprises et aux collectivités. La loi LOM de 2019, qui prévoit des pénalités pour celles qui ne mettent pas en place des solutions de mobilité électrique, va enfin entrer en vigueur cette année. C’est une avancée importante.
Nous proposons également des solutions comme l’E-Switch, qui permet aux entreprises d’analyser leurs usages et de déterminer si le passage à l’électrique est pertinent.
Quels sont les défis de Ford face aux barrières douanières et aux tensions commerciales internationales ?
Ford produit ses véhicules en Europe ou en Turquie, ce qui nous permet d’éviter les barrières douanières sur notre marché principal. Seuls certains modèles, comme le Ranger ou la Mustang, sont importés et intègrent ces coûts dans leur business model.
Nous sommes attachés à un marché basé sur des règles équitables et veillons à ce que notre modèle économique ne soit pas fragilisé par des pratiques de dumping. La crise des semi-conducteurs nous a montré l’importance de réintégrer des éléments stratégiques dans notre chaîne de production. Par exemple, nous avons renforcé notre autonomie industrielle en installant une usine d’assemblage de batteries en Angleterre.
Quel est le positionnement de Ford face aux tensions entre les États-Unis et l’Europe, notamment en cas de retour de Trump au pouvoir ?
Ford est une entreprise américaine, mais nous avons une identité forte en Europe. Nous sommes présents sur ce continent depuis 1903 et en France depuis 1907. Cette double culture fait partie de notre ADN.
Nous prônons le libre-échange et nous nous adaptons aux contextes politiques. La politique peut impacter le cadre réglementaire, mais elle ne change pas nos engagements stratégiques. Notre ambition est claire : consolider notre position en Europe et accompagner la transition vers une mobilité plus durable.
Ford est la troisième marque importée en France. L’électrique est-il une opportunité pour renforcer cette position ?
Absolument. L’électrique nous permet de consolider notre place sur le marché français, notamment grâce à une offre diversifiée. Nous misons sur une approche multi-énergies, en proposant non seulement des véhicules électriques, mais aussi hybrides rechargeables et au bioéthanol, pour répondre aux besoins variés des consommateurs.
L’avenir est incertain, mais nous ne partons pas perdants. Nous devons nous préparer à un marché en constante évolution et continuer à proposer des solutions adaptées aux attentes de nos clients et aux évolutions réglementaires.
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