En 2019, Sycamore, le processeur quantique de 53 qubits mis au point par Google, effectuait une opération particulièrement complexe 158 millions de fois plus rapidement que le plus puissant des ordinateurs conventionnels. Deux ans plus tard, la start-up QuEra annonçait la finalisation d’un processeur de 256 qubits. Un machine 5 fois plus rapide que le Sycamore de Google. La puissance des ordinateurs quantiques croît de façon exponentielle. Cette puissance de calcul pourrait bouleverser les places acquises par les grandes entreprises à l’horizon de 10 ans.
La loi de Moore nous a convaincus que la puissance d’un ordinateur doublait tous les 18 mois.
Mais cette loi ne s’applique pas à l’ordinateur quantique. Suivant Harmut Neven[1], les processeurs quantiques verront leur puissance quadrupler tous les 18 mois. Bon nombre des problèmes de modélisation et d’optimisation qui ne trouvaient pas de solution avec des ordinateurs conventionnels pourront être résolus. L’ordinateur quantique soutiendra le développement de l’IA. Il conduira à des nouvelles formes de cryptage des données et révolutionnera nos approches de la cybersécurité.
Le secret de la puissance des ordinateurs quantiques
Les ordinateurs conventionnels sont fondés sur le traitement de chaine de variables binaires, les bits, prenant la valeur 0 ou 1, suivant la tension électrique parcourant des transistors. La vitesse d’exécution des calculs restent intiment liée à la longueur de ces chaines de variables qui sont passées au fil du temps de 8 bits à 16 bits, 32 bits et 64 bits.
Un ordinateur quantique utilise les propriétés de la mécanique quantique telles que la superposition et l’intrication[2] pour traiter les données. Des particules élémentaires de matière, comme les photons, remplacent les bits. Ces qubits ont la capacité à prendre simultanément la valeur 0 et 1 ainsi que toutes les valeurs intermédiaires entre ces deux bornes. La quantité d’information portée par un qubit est donc virtuellement supérieure à celle détenue dans un bit. Conformément à l’expérience de pensée imaginée par Shrödinger, un qubit superpose plusieurs états et contient donc une information qualitativement différente de celle d’un bit. La superposition quantique est importante, car elle permet à un groupe de qubits d’explorer différents chemins dans un calcul. Si la programmation est conforme aux attentes, les chemins menant à des réponses incorrectes sont annulés, laissant la ou les bonnes réponses en évidence.
De plus, la propriété d’intrication assure que des ensembles de qubits séparés ou distants interagissent simultanément, c’est-à-dire au-delà de la vitesse de la lumière. Du fait de la corrélation entre les qubits intriqués, la mesure de l’état d’un ensemble de qubits fournit aussi des informations sur l’état des autres ensembles qui lui sont intriqués. Cette propriété particulière modifie les règles traditionnelles de la complexité algorithmique et rend possible la résolution de problèmes qui ne pouvaient être résolus jusqu’à présent par des ordinateurs.
Les propriétés de superposition et d’intrication utilisées par les ordinateurs quantiques garantissent des puissances de calcul inatteignables par des ordinateurs conventionnels. Les premiers autorisent également la représentation et le traitement d’informations qualitativement plus complexes, comme le langage. L’ordinateur quantique dépasse ainsi les limites intrinsèques des ordinateurs conventionnels.
Bien qu’un ordinateur quantique commercialement viable, tolérant aux pannes et entièrement corrigé des erreurs n’ait pas encore été construit, la puissance des ordinateurs quantiques augmente rapidement. Certains défis techniques importants subsistent. En particulier, le « bruit ou la précision » sont deux problèmes importants qui n’ont pas encore été résolus. Les phénomènes électroniques de bruit ainsi que l’interférence des qubits génèrent des erreurs de calcul 10 à 100 fois plus élevées que les ordinateurs classiques et il n’existe pas encore de correction d’erreurs. Par ailleurs, la taille et la consommation d’énergie des ordinateurs quantiques est aujourd’hui vertigineuse. La compréhension et l’acceptation de cette technologie par le plus grand nombre nécessitent que des efforts importants soient réalisés dans ces deux domaines.
D’ici 10 à 20 ans, les ordinateurs quantiques seront fiables et corrigeront automatiquement les erreurs. Ils disposeront de suffisamment de qubits et d’environnements matériels et logiciels sophistiqués pour exécuter des algorithmes ou des simulations impossibles à exécuter sur des ordinateurs classiques. C’est à ce niveau de transformation que des impacts véritablement disruptifs peuvent se produire.
Les 4 capacités fondamentales des ordinateurs quantiques
Les ordinateurs quantiques possèdent quatre capacités fondamentales qui les différencient des ordinateurs conventionnels.
Tout d’abord, les ordinateurs quantiques sont capables de modéliser des systèmes complexes et cette capacité leur a dès à présent ouverts les portes des grandes entreprises du secteur de la chimie et de la pharmacie. La conception de nouveau matériaux pourrait également naître de l’exploitation de la capacité de modélisation des ordinateurs quantiques. La simulation quantique permettra aux scientifiques de modéliser des molécules complexes. Elle pourra simuler la réaction d’un médicament à l’intérieur du corps humain. Elle conduira à effectuer des tests avancés sur des produits chimiques sans risque de dommage ou de gaspillage. Les ordinateurs quantiques réduiront le champ des options, en traitant de grands ensembles de données permettant aux techniciens de tester les substances identifiées comme les plus probables par l’ordinateur.
Ensuite, les ordinateurs quantiques présentent des aptitudes particulières pour les exercices d’optimisation. Celles-ci ont déjà attirées l’attention des institutions financières qui utilisent des solutions quantiques dans leurs recherches d’optimisation de portefeuilles. Les fournisseurs d’énergies exploitent également cette technologie pour optimiser leurs productions et acheminer celles-ci vers les utilisateurs. Par ailleurs les problèmes de pricing, d’organisation des flux logistiques ou de gestion de clientèles pourront bientôt trouver des solutions nouvelles grâce à l’ordinateur quantique.
Par ailleurs, le développement et les progrès de l’intelligence artificielle associés au machine learning exigent un accroissement de la puissance de calcul des ordinateurs. Intelligence artificielle et machine learning nécessitent également le traitement d’informations qualitativement complexes et difficilement codifiables comme une suite de 0 et 1. L’une et l’autre apparaissent donc intrinsèquement liées à la technologie quantique. A titre d’exemple, le développement des véhicules autonomes nécessite que l’intelligence artificielle qu’ils utilisent soit testée sur un nombre incroyable de situations et ces tests sont inenvisageables sans le recours à l’informatique quantique.
Enfin, à l’horizon 2030, les ordinateurs quantiques seront assez puissants pour factoriser les nombres premiers qui sous-tendent les systèmes actuels de sécurité des données. A cette échéance, les entreprises devront repenser complètement les systèmes de cryptographie assurant la cybersécurité de leurs données.
2030, c’est demain !
L’informatique quantique suscite beaucoup d’attentes. Nous avons ici tenté de mettre en lumière ses domaines d’excellence mais également le chemin restant à parcourir pour disposer d’une technologie quantique fiable. Les rapports d’experts s’accordent pour estimer à une décennie le temps nécessaire pour que l’informatique quantique s’impose dans un grand nombre d’industries.
2030 est un horizon managérial éloigné. L’énoncé de cette échéance pourrait pousser beaucoup de décideurs à un attentisme déguisé en prudence. Toutefois, il est possible qu’à cette échéance le caractère profondément disruptif de la technologie quantique bouleverse rapidement la structure concurrentielle des marchés d’un nombre important de secteurs d’activité.
Dès à présent, nous conseillons aux décideurs de se tenir prêts et de définir un plan assurant la transition de l’entreprise vers l’informatique quantique.
Voici quelques pistes :
Tout d’abord, il convient de réaliser un état des lieux des processus internes. Il faut également verbaliser les besoins propres à l’entreprise en vue d’augmenter la valeur servie aux clients.
Également, il nous semble important de considérer les domaines dans lesquels l’informatique quantique pourrait soutenir, améliorer ou créer des opportunités commerciales. L’organisation d’une veille informationnelle des entreprises ayant débuté cette transition peut être un moyen simple d’évaluer les intérêts et les limites de l’implémentation de l’informatique quantique dans l’entreprise.
Ensuite, un état des compétences présentes dans l’entreprise et susceptibles d’accompagner cette transition nous semble primordiale. Des partenariats avec des start-up spécialisées dans les technologies quantiques ou d’autres entreprises peut également aider à trouver le bon rythme de cette transition.
Par ailleurs, le sourcing de compétences pouvant intégrer rapidement l’entreprise mérite une attention soutenue. En 2022, encore trop peu d’institutions françaises forment des spécialistes en technologie quantique de niveau master. La situation n’est guère meilleure chez nos voisins même si 4 institutions anglaises ou espagnoles et 3 universités allemandes délivrent des diplômes équivalents dans ce domaine. D’ici quelques années, le recrutement de spécialistes en technologie quantique s’avérera très difficile. Pour cette raison, nous insistons une nouvelle fois sur la formation et l’accompagnement des compétences déjà présentes dans l’entreprises ainsi que sur la multiplication des partenariats externes et la mutualisation de ressources.
Enfin, nous conseillons aux entreprises de tester dès à présent les intérêts des capacités quantiques au travers de la planification de projets pilotes permettant d’évaluer les succès, les échecs mais surtout les progrès de cette technologie.
[1] Hartmut Neven : Scientifique travaillant dans les domaines de l’informatique quantique, de la vision par ordinateur, de la robotique et des neurosciences computationnelles.
[2] L’intrication est un phénomène quantique dans lequel deux particules au moins partagent les mêmes propriétés.
Tribune rédigée par : Eric Braune, Professeur associé – INSEEC Bachelor et Pascal Montagnon, Directeur de la Chaire de Recherche Digital, Data Science et Intelligence Artificielle (OMNES EDUCATION )
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