Une étude d’OpenResearch fournit davantage de données sur les avantages du revenu de base universel, la solution privilégiée par Sam Altman, fondateur d’OpenAI, pour un avenir dans lequel l’IA ferait disparaitre certains emplois.
Article de Sarah Emerson pour Forbes US – traduit par Flora Lucas
Depuis huit ans, un projet expérimental financé par Sam Altman, cofondateur et PDG milliardaire d’OpenAI, teste discrètement une idée utopique : que se passerait-il si tout le monde recevait de l’argent gratuitement, régulièrement et sans condition ?
L’étude d’OpenResearch sur le revenu de base universel
Le « revenu de base universel » a été l’un des premiers concepts étudiés par OpenResearch, un laboratoire de recherche lié à OpenAI auquel Sam Altman a personnellement consacré des dizaines de millions de dollars dans le cadre d’une croisade visant à façonner un avenir qu’il considère comme inévitablement perturbé par l’IA. Aujourd’hui, OpenResearch publie les résultats d’un vaste essai qui a permis de distribuer 45 millions de dollars à des milliers de personnes à travers les États-Unis. Il s’agit de « l’étude la plus complète » jamais réalisée sur le revenu de base universel outre-Atlantique.
Les conclusions de l’étude ont été communiquées le 22 juillet dans deux documents publiés par le National Bureau of Economic Research. Il s’agit du premier d’une série d’articles qu’OpenResearch prévoit de publier, détaillant un essai de trois ans au cours duquel 3 000 participants du Texas et de l’Illinois ont été choisis au hasard pour recevoir une allocation mensuelle de 1 000 dollars ou de 50 dollars. L’objectif de l’étude était d’apprendre comment les vies des Américains pourraient changer s’ils recevaient une petite allocation sans condition. Les premières conclusions de l’étude révèlent que les personnes qui ont reçu cet argent ont eu tendance à le consacrer à des besoins fondamentaux, à des soins médicaux et à l’aide aux autres. Les prochaines études porteront sur des sujets tels que les enfants, la mobilité, la criminalité et la politique.
« Nous disposons de nombreuses données sur les possibilités offertes par le revenu de base universel. Nous ne sommes pas d’accord sur la question de savoir si nous voulons que cela se produise. »
Karl Widerquist, professeur à l’université de Georgetown au Qatar
Tout au long de l’essai, les chercheurs ont recueilli des données à partir d’enquêtes téléphoniques et en ligne, d’entretiens et de carnets de temps, ainsi que de sources tierces telles que les dossiers scolaires et les rapports de solvabilité. Ils ont également effectué des prélèvements sanguins sur des participants volontaires afin de suivre l’évolution de certains biomarqueurs de santé. Une fois l’analyse terminée, l’équipe espère dépersonnaliser et partager publiquement son ensemble de données. « Notre objectif est de produire les données et de les rendre disponibles sous la forme qui convient le mieux au public et le plus largement possible », a déclaré Elizabeth Rhodes, directrice d’OpenResearch, à Forbes.
Une solution pour venir à bout de la pauvreté ?
Ce n’est pas la première fois que l’on tente de mesurer les avantages d’un revenu de base universel, mais l’étude d’OpenResearch se situe à l’extrémité supérieure de plusieurs douzaines de programmes pilotes dans le monde. Le plus important est un essai de 12 ans au Kenya qui a débuté en 2017 et qui est financé par l’organisation philanthropique GiveDirectly. Des pays comme les États-Unis et le Canada ont également flirté avec le concept. Depuis les années 1980, les habitants de l’Alaska reçoivent des paiements annuels générés par les redevances pétrolières et gazières de l’État. L’année dernière, la Californie a lancé son premier test de revenu de base universel financé par l’État, qui s’adressera aux anciens jeunes placés en famille d’accueil.
Karl Widerquist, historien du revenu de base et professeur à l’université de Georgetown au Qatar, a déclaré que la société vit actuellement un « mouvement de troisième vague du revenu de base » après avoir vu sa popularité augmenter par à-coups au cours de plusieurs décennies. Il a été contacté par OpenResearch il y a quelques années pour donner son avis sur l’essai, qui n’avait pas encore commencé, et a déclaré à Forbes qu’ils avaient choisi des « montants décents » à étudier. Aujourd’hui, il souhaite que le gouvernement américain aille de l’avant dans la mise en œuvre du revenu de base. « Nous disposons de nombreuses données sur les possibilités offertes par le revenu de base universel. Nous ne sommes pas d’accord sur la question de savoir si nous voulons que cela se produise. »
Sam Altman a déclaré à plusieurs reprises qu’il considérait le revenu de base universel comme une solution à la pauvreté, et ce depuis l’époque où il était président de l’accélérateur de start-up Y Combinator. Dans un billet de blog datant d’il y a près de dix ans, il a lancé un appel unique aux chercheurs : « Nous aimerions financer une étude sur le revenu de base », écrit-il. « L’idée m’intrigue depuis un certain temps, et bien qu’il y ait eu beaucoup de discussions, il y a assez peu de données sur la façon dont cela fonctionnerait. » Récemment, le revenu de base a été prôné par les technologues de la Silicon Valley, qui le considèrent comme un remède au chômage humain causé par l’automatisation. « Cela va être nécessaire », affirmait Elon Musk en 2017, car « il y aura de moins en moins d’emplois qu’un robot ne pourra pas mieux faire qu’un être humain ». Le milliardaire a changé d’avis cette année, déclarant : « Nous n’aurons pas de revenu de base universel. Nous aurons un revenu universel élevé », sans expliquer la différence. Sam Altman a qualifié de « conclusion évidente » sa prédiction selon laquelle « les ordinateurs remplaceront effectivement toutes les activités manufacturières ».
« Les gens ne diront pas “Vous êtes si gentil”, ils diront “Je vous déteste, vous me dites qu’on a besoin de vous et pas moi, et je suis dépendant de votre générosité”. »
Jaron Lanier, informaticien américain
Le revenu de base universel ne fait pas l’unanimité
Certains technologues restent sceptiques. L’informaticien et « parrain de la réalité virtuelle » Jaron Lanier entretient un désaccord amical avec Sam Altman et d’autres partisans d’une aide sociale subventionnée par l’IA. Jaron Lanier a déclaré à Forbes que, dans le but de créer une société plus égalitaire, le revenu de base universel risquait de centraliser ce flux de richesses. En supposant que l’on soit à l’aube de la superintelligence, « j’aimerais que les gens deviennent de fiers fournisseurs de données dans une nouvelle économie » pour échapper à ce scénario ploutocratique, a-t-il déclaré. En attendant, il craint que les technophiles aient fait passer le message qu’une catégorie d’humains sera bientôt obsolète. « Les gens ne diront pas “Vous êtes si gentil”, ils diront “Je vous déteste, vous me dites qu’on a besoin de vous et pas moi, et je suis dépendant de votre générosité”. »
Elizabeth Rhodes a refusé de commenter la vision du monde de Sam Altman et la manière dont elle a pu influencer l’essai, notant que l’étude n’avait pas pour but d’être prescriptive. « Il n’y a pas de solution unique à un problème difficile », a-t-elle déclaré. « Il n’y a jamais de solution unique. »
Cependant, Sam Altman est connu pour vouloir donner vie à ses visions, parfois à grands frais, une caractéristique qui a fait de lui une figure polarisante de la technologie. En 2019, il a fondé Worldcoin, la société de cryptomonnaie à balayage d’iris qui, selon lui, créerait une « monnaie mondiale détenue collectivement qui serait distribuée équitablement à autant de personnes que possible ». Le projet est loin d’avoir atteint son objectif d’embarquer un milliard d’utilisateurs d’ici 2023, et a été embourbé dans un défilé de controverses. Maintenant qu’il pilote l’entreprise d’IA la plus puissante au monde, il est difficile d’imaginer que même le projet de recherche le mieux intentionné échappe à sa sphère d’influence.
Et puis, il y a les liens réels. OpenResearch et OpenAI partagent leur ADN, puisque l’entreprise d’IA affirme avoir été soutenue par un don du laboratoire. Ils ont aussi parfois partagé du personnel (un ancien conseiller général et une personne qui a occupé simultanément des fonctions différentes dans chaque entreprise). L’année dernière, un chercheur affilié à la fois à OpenResearch et à OpenAI a coécrit une étude sur les effets de l’IA sur le marché du travail. OpenResearch a déclaré que les deux organisations ayant été fondées en même temps, il s’agissait là d’opportunités évidentes de collaboration. Enfin, le laboratoire ne compte que deux membres au conseil d’administration : l’un d’entre eux est Sam Altman, l’autre est Chris Clark, l’ancien responsable des initiatives stratégiques et à but non lucratif d’OpenAI. Chris Clark a quitté la société d’IA au début de l’année, expliquant qu’il souhaitait « consacrer plus de temps aux personnes et aux projets qui me tiennent à cœur en dehors d’OpenAI », comme l’a rapporté The Information en mai. Il reste directeur de l’exploitation d’OpenResearch, où il continue à gérer des opérations de haut niveau dans l’ensemble de l’organisation.
OpenAI et Sam Altman n’ont pas répondu à une demande de commentaire de Forbes.
Le parcours de Sam Altman et les essais d’OpenResearch
Après avoir obtenu un doctorat en travail social et en sciences politiques à l’université du Michigan, Elizabeth Rhodes a répondu à l’offre d’emploi de Sam Altman en 2016, n’ayant « jamais entendu parler de Sam ou de Y Combinator ou de quoi que ce soit d’autre ». Sam Altman a embauché Elizabeth Rhodes cette année-là, faisant d’elle l’une des premières employées d’YC Research, qui deviendra plus tard OpenResearch. Le laboratoire a été créé pour incuber des projets à long terme posant des questions ouvertes. Il hébergeait également un pôle technologique humaniste dirigé par le pionnier de l’informatique Alan Kay, ainsi qu’un projet de « villes meilleures ». Plus particulièrement, il a soutenu une équipe d’experts en IA qui a créé OpenAI dès le début.
Depuis son lancement en 2015, OpenResearch et ses entités ont accumulé quelque 60 millions de dollars de financement : dix millions de dollars proviennent de la branche à but non lucratif d’OpenAI, tandis que Sam Altman a fait don de 14 millions de dollars par le biais d’une ligne de crédit de 25 millions de dollars avec le laboratoire, selon des déclarations d’impôts récentes. Parmi les autres soutiens figurent Jack Dorsey, cofondateur de Twitter et défenseur du revenu de base universel, qui a donné 15 millions de dollars par l’intermédiaire de sa fondation caritative Start Small, et Sid Sijbrandij, cofondateur de GitLab, qui a contribué à hauteur de 6,5 millions de dollars. Par l’intermédiaire de certains de ses chercheurs, le projet a également reçu environ 1,1 million de dollars de subventions des National Institutes of Health et de la National Science Foundation.
Le laboratoire, qui compte six employés à temps plein, six partenaires universitaires bénévoles et 17 membres bénévoles du conseil consultatif, a délibérément gardé un profil bas pour éviter l’ombre de ses bienfaiteurs. Cependant, il a attiré l’attention il y a plusieurs années après avoir lancé deux projets pilotes de revenu de base universel à Oakland, en Californie, destinés à mettre en lumière les problèmes susceptibles de se poser lors d’essais futurs de plus grande envergure. Moins de 100 personnes ont reçu jusqu’à 1 500 dollars par mois pendant environ un an. En 2018, Wired a qualifié l’effort de lent et a obtenu un courriel qu’Elizabeth Rhodes avait envoyé au maire d’Oakland de l’époque, Libby Schaaf, disant : « Bien que ce soit frustrant pour les bailleurs de fonds, c’est une bonne chose du point de vue de la recherche. » OpenResearch a refusé de dire qui étaient ces bailleurs de fonds frustrés, mais a fait remarquer que les projets pilotes visaient uniquement à mieux comprendre des aspects tels que le recrutement et le transfert d’argent à des personnes non bancarisées.
Son dernier essai auprès de 3 000 personnes s’est déroulé de novembre 2020 à octobre dernier, et près de 40 000 personnes ont répondu à 1,1 million de courriers promotionnels envoyés à des adresses au Texas et dans l’Illinois. Les candidats, âgés de 21 à 40 ans et dont les revenus du ménage ne dépassent pas 300 % du niveau de pauvreté fédéral, ont été sélectionnés dans des zones urbaines, suburbaines et rurales. Dans son appel original, Sam Altman a déclaré qu’ils cherchaient à recruter des personnes « motivées et talentueuses, mais issues de milieux défavorisés ». Un tiers des participants ont été choisis au hasard pour recevoir 1 000 dollars par mois, tandis que le reste du groupe de contrôle a reçu 50 dollars par mois.
L’une des participantes à l’étude, Cara, a été diagnostiquée avec une maladie nerveuse rare qui l’empêchait de travailler. Elle a bénéficié d’une invalidité de courte durée, a vendu ses biens et a même créé une page GoFundMe pour joindre les deux bouts. « C’était comme ressentir la perte de la capacité à prendre soin de soi », se souvient-elle dans un entretien enregistré et partagé par OpenResearch. Cara a été assignée au groupe d’essai à 1 000 dollars et a déclaré que les paiements mensuels « ont fait baisser la panique de quelques crans ».
« Ce qui m’a le plus surprise, c’est que [par rapport au groupe témoin de 50 dollars], la plus forte augmentation des dépenses concernait le soutien financier aux autres. »
Karina Dotson, responsable de la recherche et de l’analyse chez OpenResearch
Quel avenir pour les études sur le revenu de base universel ?
La conclusion la plus large de l’étude est que l’argent liquide crée de la flexibilité, notamment pour être plus sélectif dans la recherche d’un emploi, pour obtenir des soins médicaux ou pour aider un membre de la famille à payer ses propres factures. Les transferts d’argent liquide ont conduit les participants à dépenser davantage pour des besoins fondamentaux tels que la nourriture, le loyer et le transport, selon les résultats de l’étude.
« Ce qui m’a le plus surprise, c’est que [par rapport au groupe témoin de 50 dollars], la plus forte augmentation des dépenses concernait le soutien financier aux autres », a déclaré Karina Dotson, responsable de la recherche et de l’analyse des données chez OpenResearch. Selon elle, les participants ont déclaré avoir utilisé les fonds pour offrir des cadeaux et des prêts, faire des dons à des œuvres caritatives ou aider des proches incarcérés. « Et c’était particulièrement le cas pour les bénéficiaires à faible revenu de notre population, dont nous savons, d’après la littérature existante, qu’ils sont plus susceptibles d’avoir des réseaux sociaux à faible revenu. »
L’équipe a également demandé l’autorisation de procéder à des prises de sang, ce que 1 206 participants ont fait. Ils ont mesuré des biomarqueurs tels que le cholestérol, le risque de diabète et l’hypertension, mais n’ont constaté aucun changement significatif. « Personnellement, je ne m’attendais pas à constater à si court terme un changement réel de la santé physique », a déclaré Elizabeth Rhodes. « Surtout dans le cas de cette population qui a peut-être eu un accès limité aux soins pendant longtemps. » Ce que les chercheurs ont observé, c’est une légère augmentation de la probabilité qu’une personne ait recours à des soins de santé, comme une visite chez le dentiste.
Google a financé une étude sur le revenu de base universel et le sans-abrisme qui se déroulera bientôt dans la région de la baie de San Francisco. OpenResearch a également apporté son expertise pour aider les représentants de l’État de l’Illinois à adopter en 2019 une loi qui empêche les participants à des études sur les transferts d’argent non financés par le gouvernement de perdre leurs avantages existants.
On ignore si Sam Altman prévoit de continuer à financer la recherche sur le revenu de base universel. OpenResearch a soutenu d’autres projets qui ont finalement été abandonnés, comme une plateforme de promotion des essais cliniques covid-19. La société a déclaré qu’elle continuerait à collecter des fonds pour poursuivre ses travaux sur l’aide financière et peut-être commencer à étudier l’inégalité médicale. Au début du mois, OpenAI a annoncé un partenariat avec l’entreprise de bien-être Thrive Global pour créer un coach de santé personnalisé par l’IA.
Entre-temps, le point de vue de Sam Altman sur le revenu de base universel semble évoluer. Il y a quelques mois, il a lancé une nouvelle idée pour l’humanité : des dividendes financiers que « tout le monde » recevrait de grands modèles de langage comme ChatGPT. Il n’a pas expliqué comment ni pourquoi cela fonctionnerait, mais a décidé de l’appeler « calcul universel de base ».
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