Pour certains c’est le dernier pays où investir, pour d’autres c’est au contraire le pays le plus prometteur pour les années à venir. L’Iran et ses 80 millions d’habitants, jeunes et bien formés, attise depuis longtemps les curiosités des grands groupes internationaux. Mais qu’en est-il des start-up ? La conférence Silk Road Start-up, qui s’est tenue les 18 et 19 avril sur l’île de Kish, a permis de mettre en lumière un écosystème en plein essor.
Pour vous déplacer en Iran, tous les locaux vous le diront, Snapp est l’application à télécharger dès votre arrivée – du moins si vous lisez et écrivez le farsi. Après seulement deux ans d’existence, le « Uber » local réalise plus d’un million de trajets par jour via ses 600 000 chauffeurs dans les grandes villes du pays. Sur la capitale Téhéran, la start-up revendique plus de trajets quotidiens qu’Uber dans n’importe quelle ville où l’américain opère. Au-delà de l’engouement populaire pour ce service très pratique de VTC, Snapp est la figure de proue des start-up iraniennes. Avec 85% de parts de marché, c’est la licorne potentielle d’un marché protégé de la concurrence par les sanctions américaines. Snapp est en train de se diversifier dans les réservations d’hôtels (Snapptrip), les livraisons de repas (SnappFood) et d’une manière générale dans les services.
Sanctions américaines : protecteur aujourd’hui, accélérateur demain
Pour arriver à ce succès, Snapp a bénéficié du soutien de son actionnaire semi-public Irancell (deuxième opérateur mobile en Iran) ainsi que des capitaux de l’opérateur télécom australien MTN. Il a lui a fallu développer par exemple un système de cartographie pour l’application, vu que Google Maps, Maps et autres sources américaines n’étaient pas disponibles. Son arrivée sur le marché a fini par recevoir l’aval des autorités. « La rébellion des taxis traditionnels n’a rien eu à voir avec celle constatée à Paris ou aux agissements de TFL à Londres » sourit Jhubin Alaghemand, vice-président en charge de la stratégie de Snapp présent à la conférence Silk Road Startup.
Les start-up iraniennes profitent ainsi de l’absence des géants du web sur leur territoire pour grandir et se développer. Mais l’accès aux capitaux demeure difficile. Pour les investisseurs étrangers présents à la conférence, les stratégies de sortie (revendre ses parts avec un multiple, NDLR) ne sont pas applicables en Iran en l’état actuel des choses. Les sanctions américaines ne permettent pas à la bourse locale de se développer, pas plus qu’aux grandes sociétés étrangères de racheter facilement des sociétés locales malgré les accords de Vienne (JCPOA).
L’accès limité au système bancaire international et la stabilité financière fragile sont également des freins. » Dans quelques années, dès que le marché iranien va s’ouvrir, nous allons assister à un vent de fusions-acquisitions venu de l’étranger » prédit Jhubin Alaghemand de Snapp. Du point de vue du pouvoir, le guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, prône une économie de » résistance » (aux Etats-Unis) depuis 2010. Mi-avril 2018, le vice-président des sciences et technologies Sorena Sattari a cependant encouragé publiquement les investisseurs iraniens à soutenir les start-up du pays… pour qu’elles ne tombent pas dans des mains étrangères.
Investir en Iran, c’est jouer le décalage entre perception et réalité
Mieux vaut donc voir à moyen-long terme pour les non-iraniens. Mais les meilleurs retours sur investissement profitent de forts décalages entre perception et réalité. Côté perception, à court terme, rares sont les pays qui ont si mauvaise presse. Côté réalité, certains croient au potentiel de l’Iran à moyen terme. » Nous jouons sur ce décalage, explique Kiyan Zandiyeh, gérant d’origine iranienne expatrié à Londres travaillant pour Sturgeon Capital, nous misons sur une population jeune et diplômée, des entreprises qui vont décoller une fois les sanctions levées, des valorisations parmi les plus faibles au monde, des taux d’intérêts qui étaient au-dessus de 20% et qui sont aujourd’hui sous les 10%, et une économie qui sort de la récession. «
Pour apporter sa pierre à cette dynamique, la conférence Silk Road Startup a sensibilisé les entrepreneurs iraniens sur l’avenir de l’Internet des Objets avec notamment Olivier Andrieu de Sigfox et Vanessa Humphrey de mOmkin, et sur l’Intelligence Artificielle avec Annabelle Kwok de Neural Bay et Hanan Salam de Women in AI. L’écosystème start-up européen a été présenté dans sa diversité par Maral Kalajian (Suède), Jurgen Furian (Autriche) et Bertier Luyt (France).
« L’Iran est la Chine d’il y a 10 ans »
Le palmarès du concours de « pitch » de la conférence a permis de détecter les secteurs les plus en vue dans le pays. Les organisateurs avaient en effet sélectionné 16 start-up parmi plus de 80 prétendantes au cours d’un road-trip aux quatre coins de l’Iran en octobre dernier. Le vainqueur, EchoBaar, est une plateforme électronique de services de type « Uber » pour le frêt B2B – segment sur lequel se positionne une autre start-up finaliste. Les entreprises de livraison entrent en contact avec des chauffeurs routiers, entrent départ et destination de la cargaison puis valident le prix proposé. On peut ensuite suivre le trajet du camion… comme celui de son VTC préféré.
Keshmoon, arrivé deuxième (grâce notamment à l’énergie de son fondateur sur scène), facilite la commercialisation du safran iranien de manière responsable. Doctoreto, arrivé troisième, est un équivalent de Doctolib ou MonDocteur. A noter aussi des services de publicité géolocalisée comme Pinjob ou encore des réseaux sociaux comme LookOBook.
Ces domaines font écho au diagnostic de Kei Shimada, directeur de l’innovation chez IBM qui voit dans les paiements et les systèmes de messagerie deux secteurs porteurs en 2018-2019. Les biomédecines, la logistique et les infrastructures sont également à regarder à moyen terme. Pragmatique, Jackie Chen, fondateur Taishan Ventures, a déjà co-fondé une start-up dans les paiements mobiles dans le pays. » Nous pensons que l’Iran est la Chine d’il y a 10 ans, explique cet investisseur basé à Beijing, je vais d’ailleurs amener d’autres investisseurs chinois en Iran, il y a un énorme potentiel. Il faut voir à long terme, au-delà des stratégies de sortie à court terme. » Les secteurs les plus prometteurs selon lui sont les services financiers, le e-commerce pour les biens et services, les transports et tout ce qui touche à la vie quotidienne des iraniens.
Reza Kalantarinejad, directeur de l’accélérateur Shezan, spécialisé dans la high tech et les clean tech, veut croire à plus long terme dans l’émergence de start-up dans les nanotechnologies et les biotechnologies. « La prochaine génération sera au-delà du e-commerce, nos entrepreneurs doivent répondre aux grands problèmes de société au-delà de la situation politique actuelle. «
A noter le témoignage utile de Maxime Renault pour des entrepreneurs dans une société qui demeure traditionnelle. Par l’aventure de MonBanquet.fr, il a expliqué l’importance du dialogue avec les artisans (en l’occurence les boulangers) et l’empathie à aller sur le terrain pour mieux les comprendre, avant de leur proposer des plateformes digitales prêtes à l’emploi.
Femmes, start-up, Iran : un trio probable
La conférence Silk Road Startup a enfin permis la rencontre de trois mondes : des entrepreneurs iraniens, les membres de la diaspora de retour au pays et des experts internationaux. « Le principal handicap de cet écosystème est sa méconnaissance à l’international, explique Reza Malekzadeh, partner chez Partech Ventures basé à San Francisco, les jeunes Iraniens sont agiles, bien formés, et adaptables… or c’est sont notre critère numéro pour investir dans une start-up ».
Les participants étrangers ont pu confirmer que la gentillesse et la qualité de l’accueil des iraniens sont fidèles à leur légende. Mais l’un des messages des organisateurs Moojan Ashgari et Hadi Farnoud concernait aussi la place des femmes dans cet écosystème start-up. En Iran, près de 70% des diplômés en science, technologie, ingénierie et mathématiques sont des femmes. Cette statistique est prometteuse pour les femmes dans les start-up. Un panel était spécialement dédié à ce sujet. De même plus d’un tiers des start-up finalistes était représenté par des femmes sur scène.
Pour les occidentaux, la question du voile obligatoire demeure choquante. Si la plupart des iraniennes en ont fait un accessoire de mode, ce n’est pas un sujet quand il s’agit de parler business et technologie. Les deux lauréates choisies par le jury international, à la tête de la société EchooBar, étaient les seules à porter le voile monochrome et traditionnel.
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