Cela ne fait plus de doute, la décarbonation de nos activités est une condition indispensable à la viabilité de la planète. Cependant, sur le plan économique, prenons garde à ne pas en faire un mirage : atteindre le net zéro ne nous conduira pas vers une croissance saine et durable. Car, du point de vue des ressources, un tel scénario relève de l’utopie si nous ne transformons pas radicalement la manière dont nous concevons nos objets.
Une contribution de Frédéric Arnoux, ingénieur et docteur en sciences de gestion, cofondateur de Stim
Les ressources : la limite intangible de nos modèles économiques
Au plus haut niveau du management des entreprises, l’enjeu de la limitation de l’impact sur la planète s’institutionnalise, et c’est une bonne chose. Mais, dans la plupart des cas, le futur est vu comme une prolongation du présent : vendre plus de produits et de services pour plus de croissance, en réduisant les impacts au maximum. En revanche, considérer le problème du point de vue des ressources est beaucoup moins mis en évidence.
Pourtant, la démonstration de Philippe Bihouix, spécialiste des ressources non-renouvelables, est à la fois implacable et préoccupante. Si notre croissance économique mondiale se maintenait à 2% par an, alors nous aurions besoin d’une production d’énergie équivalente à un réacteur à fusion nucléaire de la taille du soleil d’ici 1500 ans. Avec 5% de croissance par an, ce serait dans 500 ans. Avec 10% de croissance, dans 300 ans. Quelques soient les prouesses technologiques à venir, c’est bien sûr impossible et ce constat exponentiel pourrait être élargi à une grande partie des ressources de la Terre.
On mesure alors, et de manière inopposable, la véritable limite de notre modèle économique. En effet, même si nous arrivions à contenir les impacts de notre croissance dans le cadre des limites planétaires, nous ne pourrions faire perdurer notre économie telle qu’elle est définie avec les paradigmes actuels. Il nous faut remettre en cause notre modèle d’extraction des ressources.
C’est une évidence, nous avons et aurons toujours besoin de produire des objets et ceux-ci nécessiteront toujours des ressources. Mais, si nous souhaitons vraiment inverser cette mécanique, c’est aux ingénieurs qu’il revient de repenser la conception de nos objets. Attention, il ne s’agit pas de verser dans une forme de techno solutionnisme en inventant des technologies salvatrices, mais bien de repenser la conception et l’usage même de nos objets.
Notre ingénierie doit revoir ses paradigmes de conception
Mais alors, quels objets concevoir pour demain ? Cela questionne notre rapport à la nouveauté. Du point de vue de l’ingénieur, cela pose deux défis. Le premier est de concevoir des gammes intemporelles, avec une désirabilité qui perdure. C’est la remise en cause du renouvellement des générations, le modèle dominant des entreprises. Dans l’automobile par exemple, c’est le passage de la Clio III à la Clio IV. La nouvelle génération rendant obsolète la précédente, le consommateur est tenté de s’offrir la nouvelle. A l’inverse, le stylo Bic ou la Converse sont deux gammes figées dans le temps. En revanche, si la gamme Bic est restée la même depuis plusieurs décennies, le Bic que je possède ne durera que quelques mois.
C’est le second défi de l’ingénieur : concevoir, au sein des gammes, des objets qui durent plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Ainsi, la Clio pourrait durer près d’un siècle, à condition de ne plus découpler l’évolution de version de l’évolution de l’objet. Cela suppose des versions d’objets stables sur les fonctions cœur tout en permettant des évolutions fonctionnelles. L’ingénierie de nos biens doit se rationaliser, s’épurer et se poser la question de ce qui est utile ou non. Cela n’exclut pas de faire évoluer l’objet au travers du retrofit. Par exemple, la Clio doit pouvoir s’équiper d’un nouveau type d’airbag ou de conduite autonome sans pour autant changer de voiture. La machine à laver « l’increvable » est le parfait exemple d’une conception à l’épreuve du temps. Son ossature a été conçue pour résister plusieurs décennies, tout en étant réparable, évolutive et même personnalisable.
Par ailleurs, un tel modèle conduit l’ingénieur et plus globalement l’entreprise à penser l’objet avec son modèle d’affaires. Dans l’exemple de la Clio à l’épreuve du temps, est-ce Renault ou un gestionnaire de flotte qui détient le véhicule ? La reconversion de l’usine Renault de Flins en « Refactory » dédiée à l’économie circulaire de l’automobile ou encore Revolte qui lutte contre l’obsolescence automobile sont d’ailleurs des initiatives qui défendent la conservation de la valeur d’usage de nos véhicules.
Au même titre qu’un appartement ou un bijou, nous devons accepter les marques du temps sur nos objets sans pour autant cesser d’en profiter. Nos trains et nos avions sont exploités, quasiment en continu, durant plusieurs décennies. Pourquoi nos voitures ne durent que 10 ans, à raison d’une heure d’utilisation par jour ?
Nous avons besoin de passer d’une vision d’objet jetable et remplaçable à une vision d’objet à conserver autant que possible pour sa valeur. C’est une rupture des mentalités. Dans notre société actuelle, la satisfaction de l’acte d’achat est l’élément déclencheur et le consommateur en est en quelque sorte prisonnier. Nos ingénieurs ont la capacité de faire évoluer ce paradigme en nous proposant, voire en nous imposant, de nouvelles formes d’usages.
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