Pandémie mondiale, pénurie énergétique… de crise en crise, le manque de souveraineté européen a été criant. Et avec le rééquilibrage des grandes puissances économiques, le secteur bancaire doit voir émerger sans attendre de grands leaders européens.
Un système bancaire européen assaini mais affaibli
Grâce à un cadre réglementaire renforcé l’obligeant à se conformer à de mêmes règles et pratiques de supervision, la crise des subprimes de 2008 aura permis d’assainir considérablement le système bancaire européen en renforçant ses fonds propres de plus de 60% et en améliorant la qualité de ses actifs. Ses ratios de solvabilité ont ainsi augmenté de près de 7% depuis 2008. Pour autant, sur la même période, la rentabilité des banques a fortement diminué. Les cours de Bourse ont beaucoup souffert pour nombre d’entre elles, alors même que leurs coefficients d’exploitation restent très élevés entraînant ainsi un manque d’attractivité.
Dans ce contexte frileux où les banques européennes ont réduit leurs profils de risques, les banques américaines ont quant à elles largement augmenté leurs parts de marché, passant de 40 à 63 % en dix ans, dominant largement en Europe le secteur de la BFI (Banque de Financement et d’Investissement). Un marché de capitaux profond et un accès facilité à la titrisation leur permettent également d’être très rentables sur leur propre territoire. Face à ces institutions outre atlantique qui ne cessent de gagner du terrain en Europe, seule l’apparition de leaders européens sur le marché bancaire permettra une concurrence équitable.
L’émergence de grands leaders bancaires européens est-elle possible ?
Le secteur bancaire européen est un marché très atomisé, composé d’acteurs nombreux et divers. Les cinq plus grandes banques européennes représentent uniquement 20% du marché ! Une trop faible consolidation au sein du Vieux Continent avec des surcapacités est source d’opportunités pour l’émergence d’acteurs de taille critique. Pour exemple, l’Europe compte environ 25 agences par établissement contre 17 aux Etats-Unis.
L’Europe, qui tient à disposer d’une grande diversité d’établissements et de modèles – petites banques, banques coopératives, banques à mission sociale…- alors que majorité d’entre eux sont difficilement viables et/ou transformables, se retrouve dans une situation paradoxale : le nombre d’agences par habitant doit diminuer mais une volonté persistante de maintenir une inclusion des territoires et un rôle de proximité subsiste en parallèle. Corolaire de cette diversité, ces marchés très différents en termes de pratiques et d’habitudes révèlent un marché bancaire européen encore très compartimenté.
Par ailleurs, des contraintes réglementaires obèrent de façon substantielle la réalisation de fusions transnationales dont l’objectif cardinal est la création de synergies en supprimant les doublons. Ainsi, les contraintes liées aux règles prudentielles appliquées aux banques systémiques représentent un obstacle à la consolidation bancaire. Dans l’absolu, ces contraintes pourraient être levées par des waivers en capital et en liquidité. A l’heure actuelle, rien n’est fait.
En réalité, les possibilités de fusions transnationales achoppent sur la volonté de chacun des États membres de garder la mainmise sur leur propre secteur financier et à conserver leurs spécificités. Alors même que l’objectif initial était de rompre le lien entre banques et émetteurs souverains, la poursuite de l’Union bancaire se trouve dans l’impasse.
De la consolidation découlerait 3 avantages majeurs : une meilleure efficacité de la politique monétaire, des marchés financiers et un système bancaire plus intégrés en Europe et une meilleure régulation de la zone euro. Même si cette consolidation est vivement encouragée par la Banque Centrale, ses déclarations n’engagent en réalité que son Président qui, sans le soutien de son conseil, restent un vœu pieu.
Des perspectives restant à construire
Conditionné en tout premier lieu par des assouplissements réglementaires, le développement de leaders européens de la banque résultera d’un juste équilibre entre la nécessité de se prémunir des risques d’être confronté à des situations de « Too big to fail », et celle d’empêcher leur émergence avec de trop fortes contraintes comme celles des G-SIB. Certaines évolutions vont ainsi dans le bon sens : la révision du traitement des expositions transfrontières des banques systémiques au sein de la zone euro a permis de réduire les fonds propres et de faciliter des rapprochements. Inciter les régulateurs à harmoniser encore davantage la réglementation des produits bancaires et financiers et ainsi permettre aux banques de profiter d’économies d’échelle et de synergies est nécessaire. Les initiatives en matière d’open banking avec la mise en œuvre DSP2 en 2018 vont dans le bon sens.
Dans tous les cas, une parfaite connaissance de l’environnement bancaire des États Membres avec leurs spécificités de marché et leurs réglementations locales est une absolue nécessité pour surmonter la fragmentation du marché.
La consolidation du secteur devra être appréhendée suivant deux approches avec d’une part des fusions à visées purement nationales touchant notamment les activités de banque de détail, et d’autre part des fusions transnationales avec un raisonnement par business model et activité, qui impliqueraient des activités de banque de gros ou de gestion d’actifs où la taille critique est clé.
Dans une Union Bancaire à l’arrêt et freinant l’émergence d’un leader européen de la banque, une volonté politique doit s’enclencher pour atteindre deux grands objectifs. Il s’agira tout d’abord de dépasser les souverainetés nationales pour une véritable souveraineté européenne, mais aussi de substituer une approche purement orientée vers la stabilité financière pour une vision où l’industrie bancaire constitue un acteur stratégique, notamment de la transformation numérique et environnementale.
Le secteur bancaire doit constituer un acteur fort de la souveraineté européenne. Car en plus des banques américaines, les acteurs de la Tech dont les GAFAM sont déjà en embuscade…
Tribune rédigée par Benoit Ranini, président de TNP Consultants.
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