Les Sopranos ou encore House of Cards. Autant de séries modernes qui ont recours à la musique classique pour captiver les téléspectateurs. Mais d’où proviennent les enregistrements ?
Un homme, Klaus Heymann, a fait de Naxos Records l’un des principaux distributeurs et producteurs mondiaux de musique classique avec la vente de plusieurs millions de CDs, une révolution silencieuse dans le monde musicale orchestrée depuis Hong Kong. Retour pour Forbes France sur les rouages de l’industrie peu connue de la musique classique avec l’entrepreneur de 84 ans, Klaus Heymann.
« Mon secret : tous les artistes obtiennent le même cachet pour un CD et jamais de royalties. Qu’ils soient une star reconnue ou un jeune artiste en devenir. Et cette règle n’a pas changé depuis 33 ans… Au début, les artistes se plaignaient. Maintenant, ils ont compris l’intérêt de notre label pour leur carrière. Certains labels demandent même aux artistes de payer les coûts d’enregistrement car actuellement l’industrie est en péril. A cause du Covid 19, tout est simplement annulé. Et il sera difficile de faire revenir le public dans les salles. »
Naxos fait aussi le choix de ne jamais enregistrer en studio, mais uniquement en salle de concert. Pour profiter pleinement d’une acoustique optimale d’un piano, l’entrepreneur explique qu’il a besoin d’une salle d’au moins 9 m de haut, 12 m de large, 18 m de long pendant au moins 2 jours.
«Seulement 5 % de la production totale de musique classique a été enregistrée »
« Si vous étudiez l’histoire de la musique, il y aurait environ 2 millions d’heures de musique depuis l’époque médiévale jusqu’à aujourd’hui. Environ 120 000 heures ont été enregistrés soit un peu plus de 5 % de la production totale. Par exemple, Gaetano Donizzeti a créé plus de 70 opéras dont seulement 40 disposent d’enregistrements audio. Nous avons donc décidé de démarrer un projet d’enregistrement audio et vidéo de 3 opéras par an avec le festival Bergame, le lieu de naissance du composeur. Daniel Esprit Auber — compositeur français tombé dans l’oubli et qui a donné son nom à la station de métro parisien — a composé plus de 53 opéras dont seulement 4 disposent d’enregistrements audio. Clara Fréjacques, mezzo-soprano colorature de la Hochschule für Musik und Theater de Leipzig : « il existe des compositeurs comme Carl Nielsen qui sont sublimes et très peu connus. Et le label Naxos participe à leur démocratisation avec le CD Nordiska Klassiska Favoriter.» Klaus Heymann rend donc présents les compositeurs absents, mais encore ressuscite après de longs siècles des partitions méconnues, pour notre plaisir.
“Un enregistrement ne correspond pas à la réalité : il s’agit toujours d’une synthèse de plusieurs prises”
Un enregistrement, qu’il soit vidéo ou audio, ne correspond à aucune réalité. “Cela pose un problème car le public attend la même perfection en concert que lors d’une écoute d’une édition numérique. Les artistes d’aujourd’hui seraient en effet censés jouer avec la même précision sur le plan technique que leurs enregistrements. Ce n’est tout simplement pas possible. Avec la technologie actuelle, vous pouvez corriger jusqu’à 1/100 d’une note…”
Quel est alors le business modèle de Naxos ? Les labels disposent de 5 sources de revenus principales :
- Le streaming et le téléchargement qui correspond à 50% des revenus de droit de l’entreprise.
- La vente directe de CDs : plus d’un million par an avec 200 nouveautés annuelles.
- Les licences : pour de grandes chaînes comme HBO (les Sopranos) ou encore Netflix (House of Cards).
- Les performances publiques : Naxos reçoit des revenus à chaque fois que sa musique est jouée à la radio, à la télévision ou bien dans un centre commercial.
- Les plateformes : pour les écoles de musique comme la Yale School of Music, ou encore la BBC.
Le coût de production d’une vidéo pour un opéra est d’environ 40 000 € contre 5 000 € pour un CD — sans prendre en compte le cachet pour l’artiste. La marge brute pour l’exportation d’un CD est d’environ 50 % pour un prix d’exportation à 3 €. “Lorsque vous en vendez 1 500 000 comme mon épouse Takako Nishizaki pour les 4 saisons de Vivaldi, cela devient une affaire intéressante. Aujourd’hui, l’industrie ne peut survivre sans l’argent public en Europe pour financer les orchestres, les opéras et ballets. Aux États-Unis, le MET a par exemple licencié l’ensemble des musiciens, chanteurs et danseurs.
Klaus Heymann, entrepreneur qui a transformé l’industrie de la musique classique
Portrait de l’entrepreneur qui voulait être professeur de littérature
Tout a commencé quand sa mère l’a emmené à un concert à l’âge de 9 ans : la symphonie inachevée de Schubert et Leonore No. 3 Ouverture de Beethoven. Une passion était née et qu’il conserve encore aujourd’hui à 84 ans. Le jeune Allemand commence à l’époque des études de lettres et prend goût au voyage : Lisbonne, Londres, mais aussi Paris à la Sorbonne. A Hong Kong, il commence d’abord à enregistrer pour sa femme violoniste pour l’occuper : Naxos fut ainsi créée. “ Nous avons bénéficié de la baisse des coûts des CDs à partir de 1986. Une question épineuse fut la sélection de l’entreprise pour la fabrication des CDs. Notre choix s’est alors porté sur la société de très grande qualité Denon au Japon. Par la suite, nous avons déplacé notre production vers l’Europe plus près de nos principaux marchés. Aujourd’hui, nous enregistrons partout : de la Norvège à Hong Kong en passant par la Nouvelle-Zélande.” explique le mélomane.
Takako Nishizaki – femme et alter ego 知音 de Klaus Heymann. En chinois, l’alter ego est se dit 知 (connaissance)音 (musique) et signifie la personne qui comprend la musique de la même manière.
Klaus Heymann et la France
« En France, nous avons collaboré avec l’Orchestre National de Lyon et enregistré l’intégralité des œuvres orchestrales de Debussy et Ravel. Nous avons également produit de nombreux enregistrements avec l’Orchestre National de Lille. Nous travaillons depuis peu avec l’Opera Comique, par exemple pour l’opéra de La Nonne Sanglante de Charles Gounod en collaboration avec François Roussillon pour la production video.”
La musique classique aura connu un avant et un après Naxos. Quel est pour finir le secret de son succès dans le monde musical ? “Je ne lis pas de musique, je ne joue pas d’instrument et je n’ai jamais travaillé pour une autre maison de disques. Découvrir les opportunités là où les gens ne les voient pas, trouver une solution à un problème, et enfin rester proactif. Voilà mes clefs du succès.” Klaus Heymann continue aussi de développer des livres audio – un secteur en pleine expansion, mais aussi un moyen pour lui de revenir à sa passion première, la littérature.
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