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Les pénuries de produits de santé : comment sortir de l’impasse ?

Ce sont les difficultés d’approvisionnement lors de la crise sanitaire liée à la covid-19 qui ont permis de mettre en lumière auprès du grand public le sujet des problèmes d’approvisionnement en produits de santé en France, sujet qui ne cesse de résurgir au gré des pénuries affectant des produits emblématiques.

Dans un contexte aussi réglementé que celui des produits de santé, il est indispensable de trouver des solutions permettant d’approvisionner le marché français en quantité suffisante sans pour autant renoncer à la qualité des produits de santé. Si l’arsenal juridique permet une certaine souplesse, les solutions paliatives ne suffisent pas à endigeuer un phénomène plus profond et multifactoriel.

La rupture d’approvisionnement est définie comme l’incapacité pour une pharmacie de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures, après avoir effectué une demande d’approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments, délai pouvant être réduit en fonction de sa compatibilité avec la poursuite optimale du traitement du patient. La rupture d’approvisionnement peut être imputable notamment à une rupture de stock, qui se définit comme l’impossibilité de fabriquer ou d’exploiter un médicament[1].

En France, la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020[2] avait étoffé l’arsenal juridique applicable aux médicaments d’intérêt thérapeutique majeur[3], c’est-à-dire essentiellement ceux pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme. Cette réforme avait pour objet de prévenir et de pallier toute rupture de stock en complétant les obligations des laboratoires, notamment tenus d’élaborer et mettre en œuvre des plans de gestion des pénuries et de constituer des stocks de sécurité des spécialités. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (l’ANSM) a d’ailleurs pris très récemment plusieurs sanctions financières à l’encontre d’opérateurs qui n’avaient pas respecté leurs engagements, témoignant de l’attention portée au sujet.

D’autres situations critiques nécessitent des solutions d’opportunités. C’est le cas par exemple de l’amoxiciline, qui fait l’objet d’une recommandation du 29 décembre 2022[4] par laquelle la directrice générale de l’ANSM a permis aux pharmaciens, à titre exceptionnel et temporaire, de délivrer directement une préparation magistrale adaptée pour les enfants de moins de 12 ans si le médicament prescrit n’est pas disponible. Cette faculté est ouverte à certaines officines autorisées par leur agence régionale de santé à réaliser des préparations magistrales à visée pédiatrique, qui peuvent proposer à d’autres officines lesdites préparations, selon les monographies publiées sur le site de l’ANSM. Un autre moyen de limiter l’impact des pénuries est d’encadrer les conditions d’accès aux spécialités comme cela a été retenu pour le paracetamol. Outre un contingentement quantitatif depuis le mois de juillet 2022 pour l’approvisionnement des pharmacies de ville, la vente du paracétamol est désormais restreinte en l’absence d’ordonnance, en limitant la délivrance à deux boites par patient dans les dosages disponible depuis le 19 octobre 2022[5]. Un arrêté du 4 janvier 2023 a en outre suspendu la vente par internet de cess spécialités jusqu’au 31 janvier 2023[6].

Les dispositifs médicaux sont également concernés, ce qui a notamment conduit, le 6 janvier 2023, au report de l’application de deux règlements européens afin donner plus de temps aux opérateurs pour certifier les dispositifs médicaux et ainsi atténuer le risque de pénurie[7].

Pourtant, les initiatives françaises et européennes ne manquent pas. Le Programme d’investissement d’avenir du Gouvernement a pour objectif de de financer la localisation des activités de production en France, supporté par le plan d’action du comité stratégique de filière annoncé en novembre dernier. Les instances européennes se sont également saisies du sujet via des outils de financement dédiés et des initiatives à moyen terme. Un groupe de travail de l’Agence européenne du médicament dédié fonctionnera comme un « centre d’approvisionnement et de disponibilité » et suivra les progrès de l’approvisionnement et la disponibilité des médicaments dans le cadre de la stratégie du réseau de l’Agence européenne des médicaments jusqu’en 2025, de la stratégie pharmaceutique pour l’Europe de la Commission européenne et l’« Action conjointe sur les pénuries » et d’un plan triennal mis en place fin 2022, visant à renforcer les systèmes de lutte contre les pénuries de médicaments de manière harmonisée[8].

Cependant, au même moment, la pression financière exercée sur les laboratoires pharmaceutiques en France apparait en contradiction avec l’attractivité nécessaire à la réindustrialisation. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023[9] prévoit des baisses de prix à hauteur de 800 millions d’euros, qui visent notamment des produits anciens concernés par les pénuries. Les investissement consacrés sont donc au moins partiellement neutralisés par ces mesures, ralentissant d’autant le retour à la souveraineté de la production des produits de santé.

A l’instar de ce qui avait pu être mis en place par la Commission européenne lors de la crise sanitaire liée au covid, il convient donc de priviléger une certaine souplesse réglementaire pour palier aux urgences d’approvisonnement. Sur un temps plus long, une cartographie fine des molécules susceptibles d’être impactées est nécessaire afin d’organiser par étape la réindustrialisation le cas échéant[10]. Enfin, la revalorisation rapide de certaines molécules anciennes indispensables, dont le prix est parfois très bas, permettrait d’éviter de décourager les opérateurs économiques du secteur.

 

par Diane Bandon-Tourret, Avocat Associée chez Lexcase

[1] Article R5124-49-1 du Code de la santé publique.

[2] Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 n° 2019-1446 du 24 décembre 2019.

[3] les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur mentionnés à l’article L. 5111-4

[4] établie en application de l’article L. 5125-23 du code de la santé publique.

[5] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgs_urgent_no2022_81_relatif_aux_tensions_paracetamol.pdf

[6] Arrêté du 3 janvier 2023 modifiant l’arrêté du 1er juin 2021 relatif aux mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé maintenues en matière de lutte contre la covid-19 ainsi que la liste des actes et prestations mentionnée à l’article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale, https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2023/1/3/SPRZ2237066A/jo/texte

JORF n°0003 du 4 janvier 2023, Texte n° 25

 

[7] Proposition de la Commission Européenne du 6 janvier 2023 : https://health.ec.europa.eu/system/files/2023-01/mdr_proposal.pdf et communication de la Commission Européenne https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_23_23

[8] Work programme until 2025 of the HMA/EMA task force on availability of authorised medicines for human and veterinary use, EMA/724592/2022 Rev.1.

[9] Loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023, JORF n°0298 du 24 décembre 2022.

[10] Voir J. Biot, Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Numéro 35 « Stratégie pour une indépendance sanitaire : quelles recommandations ? »

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