Il semble que tous les deux jours, une entreprise du Fortune 500 annonce une série de licenciements importants, de Levi’s à Google en passant par Citi. Habituellement, les réductions de coûts incessantes annoncent une récession économique imminente.
Un article de Dev Patnaik pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
En l’occurrence, dans un contexte de ralentissement de l’inflation et de forte croissance de l’emploi, les perspectives sont tout à fait inverses. Les dirigeants profitent de l’optimisme économique ambiant pour optimiser leurs budgets, passer au crible les stratégies de croissance antérieures et réinitialiser complètement leurs entreprises en vue d’une nouvelle phase de croissance agressive. En d’autres termes, ils se débarrassent de l’ancien pour faire de la place au nouveau.
Dans tous les secteurs, les dirigeants s’efforcent de trouver un moyen de stimuler la demande des consommateurs. Certains cherchent à stimuler l’innovation en matière de produits pour atteindre leurs objectifs de croissance ambitieux. D’autres élaborent de nouveaux programmes de fidélisation qui inciteront les consommateurs à revenir. De leur côté, les entreprises B2B se concentrent sur de nouveaux programmes d’incitation à la vente pour faire grimper les chiffres.
Mais il ne suffit pas de susciter une demande massive pour déclencher une croissance exceptionnelle. Alors que la première vague de résultats de ces initiatives de croissance arrive, certains dirigeants commencent à remarquer une faille sous-jacente dans leurs hypothèses. Et cette faille a des implications considérables sur la manière dont les grandes entreprises envisagent la croissance.
Pendant des décennies, l’innovation a reposé sur la conception d’une offre qui fonctionnait pour un groupe de clients, puis sur l’adoption de cette offre par le « grand public ». Les entreprises de l’habillement lançaient (ou remarquaient simplement) une nouvelle tendance que les jeunes citadins portaient, et produisaient ce look en masse pour tous les habitants de la banlieue. Dans le domaine de la musique, une maison de disques découvrait un artiste aimé par un groupe de niche, puis l’emmenait vers le grand public. Amy Winehouse a commencé par séduire des gothiques désargentées. Deux ans plus tard, des mères de famille chantaient ses musiques en voiture. C’est ainsi que l’innovation est censée fonctionner.
Les consommateurs se divisent en micro-tribus
Mais il semble que ce ne soit plus le cas aujourd’hui. Du moins, pas aussi souvent. Qu’il s’agisse de musique, de nourriture, de vêtements ou de voyages, les consommateurs se divisent en micro-tribus de plus en plus petites, définies par des préférences de niche. Et cela n’arrange pas les affaires d’entreprises telles que Disney, Diageo, Nestlé et Nike. Taylor Swift a commencé par séduire les fans de musique country, mais elle s’est rapidement tournée vers un public plus large pour devenir une superstar. La prochaine Taylor Swift pourrait ne pas être en mesure d’étendre sa popularité au-delà d’un seul genre ou d’une seule communauté.
Le problème se pose même sur les marchés B2B. Des entreprises telles que SAP et Salesforce ont dominé en s’imposant comme des normes de facto dans leurs secteurs respectifs. Le produit principal de gestion des relations avec les clients de Salesforce est utilisé par tous, des compagnies pétrolières aux agences de publicité. Aujourd’hui, cependant, une multitude de nouveaux concurrents se sont emparés de parts de marché en adoptant une stratégie extrêmement ciblée. Par exemple, il existe un CRM qui se concentre uniquement sur les paysagistes.
Le rôle des réseaux sociaux
Bien entendu, de multiples facteurs expliquent l’essor de ces micro-tribus. La fragmentation sociale accrue et la disparition des biens communs publics amènent les gens à se retrouver au sein de leurs propres tribus. Les plateformes de réseaux sociaux sont conçues pour stimuler l’engagement en filtrant les gens dans des communautés partageant les mêmes idées. Des plateformes comme TikTok utilisent des algorithmes pour vous donner des informations adaptées à vos besoins. Et les améliorations technologiques, comme le développement de logiciels sans code, ont considérablement réduit le coût de création d’une plateforme destinée aux paysagistes.
Que doit donc faire une entreprise lorsqu’il n’y a pas de courant dominant définissable ? Comment créer une entreprise très ciblée ?
L’ère des micro-tribus pourrait obliger les entreprises à repenser fondamentalement leur approche de l’innovation. Plutôt que de chercher une idée d’un milliard de dollars, il pourrait être préférable de trouver dix ou vingt idées de 100 millions de dollars. Et nous pourrions avoir besoin d’une structure organisationnelle très différente pour gérer ces idées de 100 millions de dollars. Prenons l’exemple du secteur de la musique. Historiquement, les entreprises musicales étaient organisées autour de différents genres, comme la pop, le jazz ou la country. L’entreprise musicale de demain devra peut-être s’organiser en fonction du public, chaque unité commerciale ayant sa propre culture et proposant ses propres produits et messages en fonction de ce public. Il est vrai que cela peut être beaucoup plus difficile à gérer pour les entreprises. Mais les bénéfices peuvent être considérables.
Conserver son « avantage créatif »
Martin Sorrell s’en est rendu compte dans les années 1980. Il était le directeur financier du géant de la publicité Saatchi & Saatchi. Il a remarqué qu’à mesure que les agences rachetaient leurs concurrents et devenaient plus grandes, elles avaient tendance à perdre leur avantage créatif. Il a donc créé un modèle différent. M. Sorrell a utilisé une société écran appelée WPP pour acquérir des agences, mais il ne les a pas intégrées ensemble. Chaque agence est restée gérée séparément, dans ses propres bâtiments, avec ses propres équipes de gestion des comptes et de création. Seules les fonctions non stratégiques, comme les ressources humaines et le service juridique, ont été centralisées. De cette manière, les agences pouvaient conserver ce qui avait fait leur force au départ. Aujourd’hui, la plupart des grands réseaux d’agences de publicité comme Omnicom et Publicis s’appuient sur ce modèle. Et peut-être que le reste d’entre nous pourrait s’en inspirer.
Dans le secteur de l’habillement, ce modèle pourrait ressembler davantage à celui de VF Corporation, qui gère séparément Vans, Timberland et The North Face. Dans les médias, il pourrait ressembler davantage à Match Group, qui supervise séparément des applications de rencontres telles que Tinder et Hinge, ainsi qu’une série de propriétés plus petites. Chacune d’entre elles s’adresse à un public différent. Attention, il ne s’agit pas simplement de structures de gestion de marques différentes, comme dans l’ancien modèle de P&G. VF et Match gèrent toutes deux des organisations différentes dans des lieux différents, avec des cultures très différentes.
Une époque unique
Un « penseur conventionnel » pourrait suggérer que des entreprises comme VF et Match devraient regrouper leurs actifs pour réaliser des économies d’échelle. Mais nous vivons peut-être une époque peu conventionnelle. Et si Match pourrait probablement bénéficier d’une approche centralisée de la sécurité des données, elle pourrait vouloir maintenir la création de valeur réelle à l’écart. Il ne s’agit pas d’être une société holding passive, mais de fournir une plateforme qui permette aux idées et à la créativité de s’épanouir à plus petite échelle.
Bien entendu, cela suppose que les dirigeants sachent ce qui différencie véritablement leur entreprise. Ou, dans le cas de M. Sorrell, savoir ce qui relève de la création publicitaire et ce qui relève des ressources humaines ou du service juridique. Un nombre surprenant d’entreprises ne savent pas ce qui les différencie vraiment – les raisons uniques pour lesquelles leurs employés se présentent au travail tous les jours et pourquoi les clients continuent de leur acheter des produits. En identifiant vos différentiateurs stratégiques, vous pouvez donner vie aux idées novatrices qui correspondent le mieux à votre organisation, à votre marque et à votre avenir. Prenez le temps de discuter avec votre personnel et vos clients pour bien comprendre vos facteurs de différenciation concurrentiels et culturels. Il est important d’aborder cette tâche avec un regard neuf, c’est pourquoi il peut être judicieux de faire appel à un tiers pour guider le processus.
La fragmentation que nous observons dans l’économie n’est pas près de disparaître. En fait, elle ne fera que s’étendre à un plus grand nombre de marchés et de produits. Ce qui se passe aujourd’hui dans les secteurs de la musique, de l’alimentation et de la mode pourrait bien s’appliquer à l’automobile. Au lieu de rechercher le milliard de dollars de chiffre d’affaires en se basant sur la stratégie d’hier, les dirigeants devraient commencer à prendre des mesures pour s’assurer qu’ils sont toujours prêts à identifier et à mettre en œuvre les idées gagnantes de demain.
À lire également : Dry January et spiritueux sans alcool : une nouvelle tendance de consommation ?
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits