Alors que Tesla voit ses ventes chuter sur ses marchés traditionnels, la Chine reste son principal moteur de rentabilité. Un enjeu stratégique pour Elon Musk, dont la fortune repose largement sur le constructeur automobile, mais qui pose un véritable conflit d’intérêts face à son rôle au sein du DOGE (département de l’Efficacité gouvernementale).
Elon Musk et ses jeunes alliés du DOGE ont provoqué un tollé cette semaine en scrutant les bases de données gouvernementales et les systèmes de paiement sensibles dans une tentative de réduction des dépenses fédérales. Problème : Musk n’est pas un représentant élu, plusieurs de ses actions pourraient être illégales – voire inconstitutionnelles – et son influence au sein du DOGE pourrait directement servir les intérêts de ses entreprises. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
La rentabilité de Tesla, principal pilier de la fortune d’Elon Musk, repose sur la Chine, l’un des plus grands rivaux des États-Unis.
Tesla bénéficie d’un traitement de faveur en Chine, où Elon Musk entretient des relations particulièrement étroites avec les dirigeants du Parti communiste. Contrairement aux autres constructeurs automobiles étrangers, la marque a obtenu le droit de posséder et d’exploiter son usine locale sans s’associer à un partenaire chinois – une exception majeure.
Ce privilège a été déterminant : alors que les ventes de Tesla se sont effondrées aux États-Unis et en Europe l’an dernier, la Chine est restée son seul marché en croissance. C’est l’ouverture de la Gigafactory de Shanghai, il y a cinq ans, qui a changé la donne. Après une décennie de déficits, elle a permis à l’entreprise de retrouver l’équilibre financier. Depuis 2020, année où l’usine a atteint sa pleine capacité, Tesla est restée durablement rentable.
Aujourd’hui, face à des perspectives de ventes incertaines, la Chine représente plus que jamais un levier essentiel pour l’avenir de Tesla… et pour la fortune personnelle d’Elon Musk.
Elon Musk doit composer avec Pékin, qui pourrait exercer des pressions sur lui si les politiques de Donald Trump venaient à contrecarrer les priorités chinoises. Loin des critiques acerbes qu’il réserve à l’ancien président Joe Biden, Musk adopte un ton bien plus conciliant envers les dirigeants chinois sur X, son réseau social. Cette proximité ne date pas d’hier : dès 2015, lors d’une visite en Chine, il proposait déjà aux responsables du Parti communiste d’y implanter une usine Tesla, selon Forbes.
Cette relation privilégiée s’est renforcée au fil des ans, notamment lors de la négociation pour l’ouverture de la Gigafactory de Shanghai, qui a bénéficié d’au moins 1,4 milliard de dollars de prêts accordés par des banques affiliées à l’État chinois. Durant ce processus, Elon Musk a travaillé en étroite collaboration avec Li Qiang, alors gouverneur de Shanghai et représentant du Parti communiste. Une alliance stratégique qui a porté ses fruits : aujourd’hui, Li est devenu le numéro deux du régime chinois, occupant depuis 2023 le poste de Premier ministre, juste derrière Xi Jinping.
À la veille de l’investiture de Donald Trump le mois dernier, le vice-président chinois Han Zheng s’est rendu à Washington pour rencontrer Elon Musk. Son objectif ? Encourager Tesla et d’autres entreprises américaines à « renforcer les liens économiques et commerciaux » entre les deux pays, selon l’agence de presse d’État Xinhua. Fidèle à lui-même, Elon Musk, d’ordinaire prompt à des réactions impulsives sur X, s’est cette fois montré parfaitement conciliant, affirmant que Tesla était prête à jouer ce rôle.
Si plusieurs grandes entreprises américaines, comme Apple, entretiennent des relations étroites avec la Chine, celles de Tesla vont bien plus loin. Loin des contraintes imposées à Toyota, General Motors et d’autres constructeurs étrangers, la marque d’Elon Musk a obtenu un traitement de faveur unique : le droit d’exploiter sa Gigafactory de Shanghai sans s’associer à un partenaire local, échappant ainsi à la règle des coentreprises imposée par Pékin.
Mais l’avantage ne s’arrête pas là. Grâce à une main-d’œuvre et des matériaux à moindre coût, ainsi qu’à une logistique optimisée, Tesla a transformé son usine chinoise en une véritable machine à cash. Une dépendance stratégique qui renforce encore davantage l’influence de Pékin sur le géant américain. « Leur capacité de production en Chine dépasse désormais celle du reste du monde », souligne Sam Fiorani, vice-président d’AutoForecast Solutions. « Ce marché s’impose par défaut comme le plus important, surpassant tous les autres. »
Contrairement aux États-Unis, les acheteurs chinois de Tesla continueront de bénéficier d’incitations gouvernementales, estimées en moyenne à 2 000 dollars par véhicule. De plus, un système de crédits de pollution, inspiré du programme californien « Zero-Emission Vehicle », permet à l’entreprise de générer des revenus supplémentaires. À l’inverse, sous l’administration Trump, l’assouplissement des normes de consommation de carburant pourrait réduire drastiquement les ventes lucratives de crédits d’émissions de Tesla aux autres constructeurs.
Cependant, ces privilèges accordés par Pékin ne viennent pas sans contrepartie.
« La Chine ne fait pas de cadeaux. Les lois du pays permettent au Parti communiste d’exiger des renseignements de toute entreprise opérant sur son territoire en échange de son accès au marché chinois », a écrit le lieutenant général à la retraite de l’armée américaine Russel Honoré dans une tribune publiée le 29 décembre dans le New York Times. Selon lui, cette réalité fait d’Elon Musk une menace pour la sécurité nationale. « Les liens commerciaux de M. Musk avec la Chine pourraient l’amener à transmettre des informations sensibles, qu’il aurait obtenues soit via ses activités économiques, soit grâce à sa proximité avec Trump », a-t-il ajouté.
Même si Pékin n’a pas encore exercé de pression directe sur lui, il dispose de tous les leviers nécessaires pour le faire. Une influence qui fait de Musk un personnage particulièrement problématique au sein de l’entourage rapproché de Trump – et plus encore s’il parvient à façonner le gouvernement fédéral selon ses propres intérêts.
En l’espace d’une semaine, le DOGE, largement composé des proches lieutenants de Musk au sein de ses entreprises et d’une équipe de jeunes ingénieurs recrutés pour mettre en œuvre sa vision, a pris des mesures spectaculaires. Il a lancé des rachats massifs de postes fédéraux, auxquels au moins 40 000 employés ont déjà souscrit, obtenu l’accès à des informations fiscales et financières sensibles concernant des millions d’Américains et pénétré le système de paiement du département du Trésor.
Désormais, c’est au Congrès et aux tribunaux fédéraux d’intervenir au plus vite pour éviter des perturbations potentiellement majeures dans le fonctionnement des programmes gouvernementaux.
Mais le plus préoccupant reste le conflit d’intérêts flagrant qui découle de cette mainmise. Musk a désormais la capacité de modifier ou supprimer les agences fédérales qui encadrent ses propres entreprises, comme la FAA pour SpaceX, ou la NHTSA, l’OSHA et le NLRB pour Tesla. Une situation totalement contraire aux principes d’éthique gouvernementale.
Les règles fédérales sont pourtant sans équivoque : toute personne occupant un poste sensible au sein du gouvernement est tenue à l’écart des décisions pouvant affecter ses intérêts financiers personnels ou ceux de son entourage professionnel et familial. Pourtant, Elon Musk semble échapper à ces restrictions fondamentales, contournant ainsi l’un des principes clés de l’éthique gouvernementale.
En plus de cela, Musk n’a pas été soumis à l’examen financier habituellement requis pour détecter d’éventuels conflits d’intérêts, une étape pourtant incontournable pour les hauts responsables de l’État. Malgré cette absence de contrôle, il a tout de même obtenu une habilitation de sécurité de haut niveau, comme l’a révélé CNN cette semaine.
La Maison Blanche a officiellement clarifié son statut le 3 février, le désignant comme « employé spécial du gouvernement », une fonction non rémunérée et temporaire, ne devant normalement pas excéder 130 jours. Quant aux collaborateurs de Trump, ils affirment laisser à Musk la responsabilité d’identifier lui-même tout conflit d’intérêts potentiel. Une approche qui soulève de sérieuses questions sur la transparence et l’indépendance du processus décisionnel.
Elon Musk sous le feu des critiques pour conflits d’intérêts
La Maison-Blanche n’a pas répondu aux interrogations sur les liens d’Elon Musk avec la Chine, et les républicains du Congrès ne contestent pas, pour l’instant, son rôle au sein du DOGE. Les démocrates, en revanche, passent à l’offensive.
« Le double rôle de M. Musk – diriger une entreprise privée tout en exerçant une fonction publique – crée des conflits d’intérêts flagrants qui menacent certaines des institutions les plus fondamentales du pays et pourraient même enfreindre la loi fédérale », a dénoncé le sénateur Richard Blumenthal dans une lettre adressée à Brandon Earhart, avocat général de Tesla.
Blumenthal, membre de la sous-commission permanente des enquêtes de la Commission sur la Sécurité intérieure et les Affaires gouvernementales du Sénat des États-Unis, exige des précisions sur l’implication de Tesla dans le DOGE, la façon dont Musk a présenté son rôle au conseil d’administration de l’entreprise, ainsi que les éventuelles répercussions sur les contrats fédéraux obtenus par le constructeur automobile. Il s’interroge également sur l’accès que Tesla pourrait avoir eu à des informations gouvernementales via les activités du DOGE.
L’affaire soulève de vives préoccupations sur l’influence croissante de Musk dans l’appareil d’État et les risques de conflits entre ses intérêts personnels et ses nouvelles responsabilités publiques.
Face aux graves conflits d’intérêts potentiels et au risque que Tesla enfreigne les règles éthiques, bénéficie d’un avantage concurrentiel déloyal ou viole la loi fédérale, les autorités exigent la conservation de tous les documents liés aux interactions de l’entreprise avec le DOGE ou ses représentants, a écrit le sénateur Richard Blumenthal.
Mercredi, le représentant démocrate Mark Pocan (Wisconsin) a introduit à la Chambre des représentants des États-Unis un projet de loi au titre évocateur : « Eliminate Looting of Our Nation by Mitigating Unethical State Kleptocracy (ELON MUSK) Act ». Cette proposition vise à interdire aux employés spéciaux du gouvernement – un statut dont bénéficie Musk – de recevoir des contrats fédéraux, une réponse directe aux préoccupations entourant son influence croissante.
Dans l’opinion publique, la défiance s’installe. Selon le dernier sondage Morning Consult, 46 % des Américains désapprouvent désormais son rôle au sein du gouvernement, contre 41 % d’opinions favorables. Un revers de 10 points depuis l’investiture de Trump.
La dépendance d’Elon Musk au marché chinois pourrait s’atténuer avec le temps, à mesure que la croissance de Tesla en Chine ralentit. L’entreprise n’a pas lancé de modèle à succès depuis cinq ans et son Cybertruck, vendu près de 100 000 dollars, peine déjà aux États-Unis sans être commercialisé en Chine. Par ailleurs, Tesla lutte pour rivaliser avec des géants locaux comme BYD, qui dominent le marché des véhicules électriques.
« Les seuls modèles de Tesla capables de rivaliser sur le prix sont la Model 3 et la Model Y, introduites en Chine en 2020 et 2021. Chacune a été mise à jour une fois depuis », explique Bill Russo, dirigeant du cabinet de conseil Automobility à Shanghai. « Pendant ce temps, BYD a lancé 129 modèles et variantes différentes, dont plusieurs sous de nouvelles marques. »
Si cette tendance se confirme, l’affaiblissement de Tesla en Chine ne fera pas les affaires des actionnaires, habitués à voir l’entreprise croître sous la direction de Musk. Cependant, une baisse significative de sa dépendance à Pékin pourrait, à terme, atténuer les préoccupations liées à son influence croissante du gouvernement chinois.
Un article de Alan Ohnsman pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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